Agadez : la porte du Sahara

La ville commerçante d’Agadez, ancien carrefour des déplacements en lisière du Sahara, voit passer chaque année des milliers de migrants sur l’une des routes de transit principales dans le désert.

De Rédaction National Geographic
Publication 4 juil. 2019, 09:10 CEST
Agadez est depuis longtemps un carrefour commercial reliant le Sahel à l’Afrique du Nord, et l’Afrique ...
Agadez est depuis longtemps un carrefour commercial reliant le Sahel à l’Afrique du Nord, et l’Afrique de l’Ouest au Moyen-Orient. Sa gare routière est un pôle pour les migrants.
PHOTOGRAPHIE DE Pascal Maitre

De par sa situation géographique, au centre du Niger, à la lisière du Sahara, Agadez (le nom vient du mot touareg egdez – « visiter ») fut pendant des siècles un point de transit pour les caravanes du sel et d’autres commerces nomades à dos de dromadaires. C’est une vieille ville aux bâtiments bas, avec son palais du sultan et sa mosquée vieille de 500 ans dans le centre historique, des faubourgs construits pour l’essentiel en terre et en paille, et une population de plus de 130 000 habitants – sans compter les nombreux migrants qui ne font que passer.

Jusqu’à la fin des années 2000, la ville d’Agadez était une porte d’entrée touristique du Sahara. Elle recevait jusqu’à 20 000 visiteurs par an, beaucoup par vol direct depuis Paris. Après trois années d’accrochages violents entre les rebelles et l’armée nigérienne, ce secteur de premier plan s’est évanoui, les voyagistes considérant Agadez comme une « zone rouge ».

Sa situation et ses nombreux ex-guides et chauffeurs touristiques sont ainsi devenus autant d’atouts pour en faire une plaque tournante des migrants d’Afrique. « Jusqu’à 300 000 migrants arrivaient ici chaque année, se rappelle le maire d’Agadez, Rhissa Feltou. Les chauffeurs, les hôtels, les marchés, les banques, les entreprises de téléphones… toute la ville en profitait. »

En 2011, le flux de migrants s’est transformé en torrent, quand la chute du dictateur libyen Mouammar Kadhafi a pulvérisé la frontière entre le Niger et la Libye. De quoi favoriser l’épanouissement de ces « agences de transit », comme celle du Boss. Ce passeur règne sur un réseau de l’ombre, peut-être le plus important d’Agadez, qui regroupe au moins une centaine de chauffeurs et presque autant de « coxeurs » (les rabatteurs qui s’occupent des arrangements). « On me connaît de partout, déclare-t-il. Même sur Internet, on trouve des photos du Boss avec des immigrants. »

Il facilite la traversée transsaharienne d’Agadez à Sabha, une ville du centre de la Libye. Ensuite, il recrute un homologue pour mener ses clients de Sabha à Tripoli, puis un autre pour les convoyer sur la Méditerranée jusqu’en Occident. Où et comment s’achèvera leur périple – en Italie, aux États-Unis, dans une cellule avant expulsion, abandonnés dans le désert ou noyés en pleine mer –, tout cela n’est pas du ressort du Boss. Certains le tiennent pour un criminel, mais le Boss (le caractère obscur de son entreprise l’empêche de divulguer son nom) préfère se considérer comme un fonctionnaire dont le fort esprit d’entreprise contribue au bien public.

En 2015, après des incitations financières de l’Union européenne, le gouvernement nigérien a rendu illégal le transport des migrants. La police a saisi des dizaines de pick-up à Agadez, arrêté des rabatteurs et des chauffeurs. Le Boss a passé trois semaines en prison. La principale source de revenus de la ville étant officiellement bannie, l’économie post-touristique d’Agadez en fut réduite au marché noir.

Certains tentent de se reconvertir, comme Jamal. Il était basé à Agadez, d’où il supervisait six chauffeurs et guidait des migrants dans le désert. Après l’interdiction du gouvernement, la police a saisi deux de ses véhicules. Il est désormais un artisan sans le sou, qui cherche de l’or à la lisière sud du Sahara, à Amzeguer, à une centaine de kilomètres plus à l’est. En 2017, le gouvernement a fermé sa plus grande zone d’exploitation aurifère sur le plateau du Djado, dans le Nord. De nombreux mineurs nigériens se trouvent maintenant à Amzeguer, avec d’autres hommes d’Agadez, et tentent avec l’énergie du désespoir de gagner leur vie quasi honorablement.

Plusieurs des nouveaux collègues de Jamal ont trouvé la mort dans les puits, pour cause de chute d’outil ou d’effondrement de galerie. « Les deux boulots sont risqués », dit-il. Jamal ajoute, songeur : « Mais si quelqu’un m’appelait de la ville et me disait : “J’ai cinquante migrants, tu peux m’aider ?”, je le ferais, bien sûr. » Il parle d’une voix neutre. « Si je ne trouve pas d’or, je reprendrai. Et si ce n’est pas avec un Hilux [pick-up Toyota], ce sera avec des dromadaires, comme avant. »

Malgré la répression du trafic d’êtres humains, la localisation d’Agadez lui garantit de rester un point de transit pour les voyageurs étrangers. Leur flux n’a pas cessé et ne cessera pas. L’instabilité grandissante de l’Afrique de l’Ouest le garantit. Le Boss continue donc d’exercer malgré l’interdiction décrétée en 2015 par le gouvernement du Niger. Il marmonne : « La Communauté européenne a tout bloqué. Le tourisme, les migrations, l’exploitation des mines. Que faire, sinon dormir ? On vous mord, et on vous dit de ne pas crier. »

 

Extrait de l’article « Le Niger sur le fil », de Robert Draper, publié dans le numéro de juillet 2019 du magazine National Geographic.

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