Corse : comment ces 1 300 cercles se sont-ils formés dans les fonds marins ?

Lorsque des centaines de cercles d’une surprenante régularité furent repérés au large de la Corse, nombre de théories tentèrent de leur trouver une explication. Quatre années de recherches sous-marines ont révélé un monde perdu.

De Veronique Greenwood
Publication 7 févr. 2025, 11:21 CET
En Méditerranée, à près de 120 m de profondeur, ont été découverts plus de 1 300 ...

En Méditerranée, à près de 120 m de profondeur, ont été découverts plus de 1 300 cercles énigmatiques, comme tracés sur les fonds marins.

PHOTOGRAPHIE DE Laurent Ballesta

Retrouvez cet article dans le numéro 305 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Par une chaude et lumineuse journée de la mi-septembre 2011, une biologiste marine du nom de Christine Pergent-Martini s’enfonce dans la cabine d’un petit navire de recherche, un catamaran de 30 m de long croisant en Méditerranée, à une vingtaine de kilomètres au large de la côte corse.

Devant elle, un écran projette les images transmises par le sonar embarqué : l’appareil émet une série de courtes impulsions acoustiques révélant la topographie du fond marin, à quelque 120 m sous l’eau. La biologiste arrive au terme d’une mission d’un mois durant laquelle elle a cartographié les fonds du secteur avec l’aide d’une petite équipe composée de son mari, l’océanographe Gérard Pergent, et d’un étudiant de troisième cycle de l’université de Corse Pasquale-Paoli. Cette tâche, au premier abord assez simple, est sur le point de révéler une zone d’ombre de l’océanographie.

Du détroit de Gibraltar, à l’ouest, jusqu’au Liban, à l’est, la Méditerranée couvre une superficie d’environ 2,5 millions de km2. Si toutes sortes de navires – des trières grecques aux navires de guerre étrusques – l’ont parcourue depuis les temps les plus anciens, ses profondeurs restent chargées de mystère pour la science moderne. Une bonne part de ses fonds se trouvent dans une zone intermédiaire trop peu profonde et trop proche de la côte pour intéresser les sociétés d’exploitation minière, mais déjà trop profonde pour que les plongeurs s’y aventurent. Pour Christine Pergent-Martini et ses collègues, l’objectif est de mieux comprendre les formes de vie qu’ils abritent. Au fil de l’avancée du bateau, les scientifiques voient apparaître sur le moniteur une suite d’images prévisibles : du sable, des petits rochers, à nouveau du sable. Mais soudain, quelque chose de totalement insolite surgit à l’écran.

Au milieu d’une vie sous-marine dense et colorée, alors qu’ils tentaient d’élucider l’origine des cercles, Laurent ...

Au milieu d’une vie sous-marine dense et colorée, alors qu’ils tentaient d’élucider l’origine des cercles, Laurent Ballesta et son équipe ont croisé une espèce rare en Méditerranée de corail jaune.

PHOTOGRAPHIE DE Laurent Ballesta

Un cercle parfait, puis un autre et encore un autre. Ils ont à peu près tous la même dimension – environ 20 m de diamètre –, un contour distinct et une remarquable symétrie. Encore plus étrange, la plupart présentent une zone sombre en leur centre. « On dirait des oeufs au plat », pense alors Christine Pergent-Martini. À première vue, il semble y en avoir plusieurs dizaines. « Nous n’avions aucune idée de ce que cela pouvait être », raconte la biologiste. L’équipe enregistre soigneusement leur emplacement, puis collecte des images à l’aide d’un robot téléopéré.

Quand ils présentent leur découverte lors d’un colloque scientifique en 2013, les chercheurs s’interrogent toujours sur la nature de ces cercles. Au cours de missions ultérieures, ils dénombreront finalement plus de 1 300 de ces cercles énigmatiques sur une zone de 15 km2. Mais, après des années de demandes de subventions pour poursuivre leurs recherches, les Pergent se retrouvent dans une impasse. « Il était très difficile d’obtenir des financements », explique Christine Pergent-Martini. C’est alors que Laurent Ballesta les contacte.

Ce photographe, biologiste marin et expert en plongée, codirige Andromède Océanologie, une entreprise qui mène des missions scientifiques visant à documenter certains des lieux les plus inaccessibles de la planète. C’est ainsi que, en Antarctique, il a eu recours à un système de câblage spécifique pour photographier la face inférieure d’un iceberg. En Afrique du Sud, il a exploré de profondes grottes sous-marines pour réaliser des images du très rare coelacanthe, un poisson que l’on croyait, jusqu’au siècle dernier, éteint depuis des millions d’années. En Polynésie française encore, grâce à un recycleur spécialement conçu pour plonger vingt-quatre heures d’affilée, il a pu observer les habitudes de chasse des requins gris de récif, expérience relatée par National Geographic en 2018.

Laurent Ballesta et son équipe sont constamment à l’affût de nouveaux objectifs. Le photographe connaît du reste les Pergent, ayant travaillé sous leur direction durant ses études universitaires. De sorte que, lorsqu’il découvre l’article de ses anciens enseignants faisant état des mystérieux relevés sonar, il est captivé. Certains organismes édifient des formations circulaires lors de leur croissance ; les coraux sont ainsi à l’origine des atolls. Mais ces cercles-là se répétaient avec une régularité très étrange.

les plus populaires

    voir plus
    Une baudroie rousse se dissimule dans le sable à proximité des cercles.

    Une baudroie rousse se dissimule dans le sable à proximité des cercles.

    PHOTOGRAPHIE DE Laurent Ballesta

    « Comment est-ce possible ? » se souvient-il avoir pensé. Ces cratères seraient-ils associés à des évents hydrothermaux ? Ou bien s’agirait-il d’une formation géologique insolite ? Christine Pergent-Martini et son mari sont, eux, sur une autre piste : ils pensent que les anneaux pourraient être des algues corallines se développant sous une forme inconnue jusque-là. Une autre théorie, avancée par certains scientifiques, évoque des cratères engendrés par les bombes inutilisées de la Seconde Guerre mondiale que larguaient les bombardiers américains à leur retour sur leurs bases corses. En accord avec les Pergent, Laurent Ballesta décide de reprendre les recherches là où ils les ont laissées, en utilisant leurs données pour localiser les cercles.

    En juillet 2020, avec deux autres plongeurs d’Andromède Océanologie, il se retrouve à l’aplomb des anneaux dans son navire de recherche. Tous trois revêtent leur équipement de plongée et s’enfoncent dans les profondeurs. Équipés d’une caméra étanche et de projecteurs, ils traversent les eaux supérieures tandis que la lumière du jour s’estompe peu à peu jusqu’à l’obscurité. En moins de deux minutes, les voilà quasi parvenus à destination, près de 120 m sous l’eau. « Je me suis arrêté avant d’arriver au fond, quelque 20 ou 30 m au-dessus, raconte Laurent Ballesta, parce que je voyais les cercles. » Ils émergeaient de l’obscurité, insolites, démesurés, telles de gigantesques assiettes gravées sur le fond de la mer.

     

    DÉCOUVRIR LA SUITE DU REPORTAGE

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.