De la forêt à la table : au cœur du commerce de la viande de brousse

La viande d'animaux sauvages fournit un apport en protéines à des millions de personnes, mais sa consommation menace la faune et peut représenter un danger pour la santé humaine. Existe-t-il d'autres solutions ?

De Rene Ebersole
Publication 13 juin 2023, 11:10 CEST
Une pirogue est remplie de chauves-souris piégées au filet sur une petite île boisée du fleuve Congo. Elles ...

Une pirogue est remplie de chauves-souris piégées au filet sur une petite île boisée du fleuve Congo. Elles sont destinées aux marchés de Brazzaville, capitale de la république du Congo, où les clients les achètent pour les cuisiner et les manger.

PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

Retrouvez cet article dans le numéro 285 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Sous un arc-en-ciel de parasols colorés, le marché de Poto Poto vibre de la clameur des commerçants: ils vendent du poisson fumé, des papayes, des aubergines, des robes, des fournitures scolaires, des tongs. Nous sommes un samedi matin à Brazzaville, capitale animée de la république du Congo, et Honor Toudissa s’arrête pour examiner deux gros poissons-chats qui se débattent au fond d’une bassine. À une femme portant un tee-shirt rose et un voile jaune, il propose 5 euros pour les deux. Ravie, elle place les poissons sur sa planche à découper et les décapite d’un grand coup de machette.

Ils serviront à préparer le liboké, un plat traditionnel. Pour cela, Honor Toudissa les mélangera à une marinade préparée avec de l’ail, du poivre, de l’huile et du basilic, et enveloppera le tout dans des feuilles d’arrow-root, avant de cuire ces papillotes au charbon de bois. Auprès d’autres marchands, le chef achète du bœuf d’élevages locaux, du gingembre, des cébettes, des larves et des criquets vivants – des mets fins, ici. Il aime les utiliser en salade avec de la mangue verte et dans des desserts chocolatés.

En 2012, son restaurant de Brazzaville, Espace Liboké, a été détruit dans l’explosion d’un dépôt militaire d’armes qui a fait 246 victimes. Son dernier projet culinaire en date fait partie d’une initiative visant à démontrer qu’il est possible de cuisiner à la congolaise sans gibier – appelé couramment « viande de brousse ». Manger de la viande d’animal sauvage – de l’antilope au singe, en passant par le porc-épic ou des espèces menacées comme le gorille, l’éléphant et le pangolin – a toujours fait partie de la culture congolaise. Mais Honor Toudissa a choisi de bousculer la tradition. « Si nous tuons tous les animaux, les gens n’auront plus la possibilité de les observer, fait-il valoir. Ma cuisine est naturelle. Elle vient de l’eau, des fermes, des forêts et elle n’utilise pas de viande de brousse. »

L’homme participe à une campagne novatrice appelée « de la forêt à la fourchette », menée par les équipes congolaises de la Wildlife Conservation Society (WCS), une association de protection de la vie sauvage basée à New York. Attachée à une communication positive plutôt qu’à des injonctions alimentaires, l’initiative met à l’honneur la gastronomie régionale, en promouvant des plats congolais sans viande de brousse, à coups de panneaux publicitaires, spots télévisés et recettes sur YouTube.

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Un agent de terrain de la Wildlife Conservation Society collecte des informations sur les animaux, dont ces duikers tués par balle dans une exploitation forestière où la chasse réglementée est autorisée. Ce suivi est un indicateur de la biodiversité de la forêt et renseigne sur la durabilité de la chasse.

PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

Le commerce à grande échelle de gibier vide les forêts d’Afrique et du monde entier. Des études montrent que la consommation de viande de brousse menace de faire disparaître plus de 300 espèces de mammifères terrestres. Dans le bassin amazonien, les chasseurs ciblent 200 espèces, ce qui correspond à plus d’un million de tonnes de viande par an. En Asie, la demande urbaine en hausse a créé un marché en forte expansion. Au Viêt Nam, les hommes fortunés sont demandeurs de gibier, signe extérieur de richesse et de prestige social, selon plusieurs études parues ces dix dernières années. À Madagascar, les lémuriens figurent au menu de foyers ruraux. Mais l’émergence d’une consommation haut de gamme en ville, où la viande d’animaux sauvages se vend deux fois plus cher, pourrait menacer la survie de certaines espèces de ces primates.

La viande d’animaux sauvages se retrouve jusque dans de grandes métropoles d’Europe et des États-Unis. En 2019, la police britannique aux frontières a saisi plus d’une tonne de gibier, dont de la viande de chimpanzé et de girafe, auprès de voyageurs entrant sur le territoire.

Pour de nombreuses populations rurales d’Afrique centrale, la viande de brousse représente depuis longtemps un pilier de l’alimentation. Mais, aujourd’hui, des associations de protection de l’environnement craignent les répercussions de la surchasse dans les écosystèmes forestiers fragiles. En cause : la demande croissante dans les grandes villes, notamment à Brazzaville et à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), qui comptent à elles deux 16 millions d’habitants.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

    « Chaque année, plus de 5 millions de tonnes de gibier sont extraites des forêts dans le bassin du fleuve Congo, dont l’essentiel a pour destination des centres urbains. Ce n’est pas un produit de subsistance mais de luxe », affirme Lude Kinzonzi. En tant que membre du projet Bushmeat (viande de brousse) de la WCS, il m’accompagne en république du Congo durant trois semaines pour observer le commerce de viande de brousse. Si « les prélèvements continuent à ce rythme, certaines espèces vont disparaître, prévient-il. Nous espérons que la campagne [du WCS] convaincra les citadins de préférer au gibier d’autres viandes d’élevages locaux ».

    Récemment, au cours de ce qui a peut-être été la pire pandémie depuis la peste noire au milieu  du XIVe siècle, le souci d’empêcher la transmission des maladies infectieuses de la faune aux humains a pris le pas sur la crainte du recul de la biodiversité lié au commerce de la viande d’animaux sauvages. Plus de 70 % des maladies qui ont émergé chez l’homme depuis les années 1940 – dont Ebola, le VIH, la variole du singe et les coronavirus – sont venues de la faune. Les activités humaines en sont la principale cause, en particulier l’intrusion dans des zones sauvages pour l’exploitation forestière et l’agriculture, ainsi que le commerce et la consommation de viande de brousse. Lors d’une étude récente portant sur seize espèces d’animaux sauvages présents sur les marchés chinois et consommés couramment, soixante et onze virus mammaliens ont été détectés dans la viande, parmi lesquels dix-huit comportaient « un risque potentiellement élevé » pour les humains et les animaux domestiques.

    Dans le cadre des discussions actuelles sur les origines de la Covid-19 – qui a fait près de 7 millions de morts depuis son apparition en décembre 2019 – des spécialistes de la santé mondiale et des associations de défense des animaux ont appelé à l’interdiction définitive des marchés de viande de brousse. Leurs opposants font valoir qu’elle pourrait entraîner des pénuries alimentaires et une instabilité économique dans des régions pauvres. D’autres encore affirment que la protection de la biodiversité et de la santé humaine nécessite plutôt un renforcement des mesures sanitaires sur les marchés, la limitation de la vente d’animaux sauvages et une transition culturelle vers un abandon progressif de la consommation de leur viande.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Sitrton

    Depuis 2018, un consortium incluant la WCS et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture met en œuvre le Programme de gestion durable de la faune sauvage en Afrique centrale, une région où émergent de nombreuses zoonoses. Celui-ci entend com- battre le problème sur plusieurs fronts : réduire la consommation de viande de brousse comme produit de luxe en ville, encourager les pratiques de chasse durable, mais également développer des solutions locales pour remplacer le gibier, ou bien encore mener des recherches sur les maladies affectant la faune sauvage dans le but d’éclairer les stratégies de santé publique.

    Parmi les obstacles au changement des habitudes de consommation figure l’image négative des viandes surgelées, notamment le poulet, le bœuf et le porc d’importation, qui ne sont pas considérées comme «naturelles». Des enquêtes de la WCS dans trois grandes villes d’Afrique centrale (Pointe-Noire, Brazzaville et Kinshasa) montrent que 85% des personnes interrogées mangent de la viande de brousse quand elles en ont l’occasion et que 24 % des restaurants en proposent au menu.

    Ainsi, Savoir manger, dans le centre de Brazzaville, ne vend que de la viande de brousse. Son propriétaire, Stany Morobo, nous accueille, Lude Kinzonzi et moi, dans une cour bétonnée située entre sa maison et un espace de restauration ombragé, fait de planches peintes en bleu. Des tee-shirts et des serviettes sont étendus sur un fil à linge, et une casserole d’eau bout sur un foyer ouvert. Le menu, inscrit à la peinture à l’arrière de la porte d’entrée, affiche de l’antilope, du porc-épic, du pangolin, du singe, de la civette, du python et du rat des roseaux, ou aulacode : « Veuillez régler avant de consommer : 1 500 francs CFA (environ 2,30 euros). Bon appétit. » 

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Sitrton

    Stany Morobo explique que, son réfrigérateur étant en panne, il n’a rien à nous proposer, mais, sourire aux lèvres, il évoque fièrement sa cuisine. « C’est de la viande fraîche, une préparation naturelle et un assaisonnement léger, pour bien faire ressortir le goût », décrit-il. Le restaurateur nous dit acheter sa viande directement auprès des chasseurs dans des villages près des forêts, tout en étant conscient que certaines espèces menacées sont interdites. « Normalement, le python et le pangolin ne sont pas autorisés, et la vente de certains singes est illégale, ajoute-t-il. C’est parfois difficile d’en obtenir. Il faut être très prudent. Si les écogardes vous attrapent, c’est cinq ans de prison. » Pour leur échapper, Stany Morobo cache la viande dans sa voiture, nous explique-t-il, avant d’ajouter qu’il fournit souvent de la viande de brousse à d’autres restaurants, à des particuliers, et même à des touristes venus de France et d’autres destinations lointaines, qui remportent clandestinement ces produits chez eux, dans leurs valises. « Les gens sont friands de cette viande, résume-t-il. Ils l’adorent. Ils ne peuvent pas s’en passer. »

    Même s’il cherche à réduire la consommation de viande d’animaux sauvages, Lude Kinzonzi comprend l’engouement qu’elle suscite. Quand il était petit, son père cuisinait souvent pour la famille du gibier chassé en forêt – et il n’aimait d’ailleurs rien tant que la civette grillée. « Manger de la viande de brousse fait partie de ma culture, dit-il, mais, si nous voulons que les habitudes changent, je devais donner l’exemple.» Aussi n’en a-t-il pas consommé depuis quatre ans, précise-t-il.

    Récemment, il a observé avec ses collègues une tendance inquiétante sur certains marchés. Chaque jour, de fin septembre à début décembre, au marché Total, qui se tient dans le centre de Brazzaville, des hommes préparent des roussettes paillées africaines vivantes pour les marmites de leurs clients. Ils les tuent d’abord en les tapant d’un coup sec sur le béton, avant d’en désosser les ailes avec les dents. Dans le monde entier, ces chauves-souris frugivores font partie de l’alimentation des populations vivant près des forêts. Pourtant, certains spécialistes de la faune sauvage et de la santé publique se montrent préoccupés par ce commerce à grande échelle, en particulier quand ceux qui préparent les animaux sont exposés à leurs fluides corporels.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Sitrton

    Tôt le matin, Lude Kinzonzi et moi quittons Brazzaville pour rejoindre David Lakoutelamio ainsi que trois autres chasseurs de chauves-souris sur les rives du fleuve Congo. Les hommes ont chargé des cages oblongues en bois sur une pirogue avant de mettre le cap à contre-courant sur la toute petite île de Chie, au milieu du fleuve. David Lakoutelamio part dans la forêt pour relever ses quatorze filets, chacun mesurant plus de 25 m de long et environ 6 m de haut. Pendant qu’il retire une chauve-souris de l’un d’eux, je lui demande s’il ne craint pas d’être exposé à une maladie par ses contacts rapprochés avec les animaux. Il est impossible d’attraper une maladie par l’intermédiaire de ces chauves-souris, me répond-il, car elles ont un régime alimentaire sain, surtout composé de fruits. « Si l’une vous mord, ça vous fera très mal, mais ne vous rendra pas malade», affirme-t-il.

    Grâce à leur remarquable système immunitaire, ces animaux peuvent contracter des virus, mais rester des porteurs sains. C’est bien la raison pour laquelle ils sont les candidats idéaux à la propagation de maladies chez les humains qui les manipulent. Si l’un d’eux se retrouve en contact avec le sang ou les fluides corporels d’une chauve-souris infectée par un virus, il existe un risque de transmission de l’animal à l’homme.

    Ces mammifères sont de longue date soupçonnés d’être des vecteurs d’épidémies d’Ebola et d’autres virus, et ils continuent d’être étudiés par les chercheurs qui s’intéressent aux animaux pouvant être porteurs d’un vaste éventail de maladies. Dans le cadre d’une étude de 2021, des scientifiques subventionnés par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ont testé plus de 3 500 chauves-souris, rongeurs et primates dans le bassin du Congo afin de détecter d’éventuelles traces de coronavirus. Ils ont identifié la présence de marqueurs génétiques du virus chez 121 spécimens, tous des chauves-souris, hormis deux autres animaux.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Sitrton

    La WCS a lancé une nouvelle étude pour en savoir davantage sur la chasse aux chauves-souris, sur l’île de Chie ainsi que sur d’autres sites : un dépistage sanguin doit notamment déterminer si les bêtes sont porteuses d’anticorps contre Ebola et d’autres maladies. Selon Michelle Wieland, directrice Afrique pour les droits et les communautés à la WCS, « le commerce des chauves-souris semble risqué du point de vue sanitaire. Cela pourrait constitue la source d’un nouveau foyer infectieux. »

    Une grande partie du gibier que l’on trouve à Brazzaville transite par la ville d’Ouésso, sur la rive ouest de la rivière Sangha, à plus de 800 km au nord de la capitale. Ouésso compte environ 30 000 habitants qui sont considérés comme carencés en protéines. La nourriture chassée en forêt n’y est pas un luxe, mais une nécessité. Ici, le régime alimentaire se compose de poissons, de viande de brousse, de légumes, de pain à base de farine de manioc ainsi que de viandes d’élevage locales et importées.

    Ouésso est à la fois un port et une porte d’entrée vers les exploitations forestières du nord, qui encerclent l’une des forêts tropicales les plus reculées de la planète : le parc national de Nouabalé-Ndoki, un espace de plus de 4200 km2 à la frontière avec la République centrafricaine. Chaque matin à l’aube, des pirogues quittent Ouésso pour collecter de la viande de brousse dans des dizaines de petits villages le long de la rivière. Elle est ensuite acheminée jusqu’aux marchés de la ville, où une partie est fumée directement sur place.

    Plus de quatre-vingts écogardes, employés par le gouvernement, forment des patrouilles mobiles pour empêcher les chasseurs et les braconniers en quête d’ivoire d’entrer dans le parc de Nouabalé-Ndoki, surnommé par le magazine américain Time le « dernier éden » en raison de ses forêts préservées, de ses gorilles des plaines occidentales, de ses chimpanzés et de ses éléphants de forêt. Les relations entre les écogardes et les populations locales ont été conflictuelles, mais la prévention du braconnage est efficace.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Sitrton

    Gorilles, éléphants et chimpanzés, qui sont autant d’espèces menacées, étaient autrefois communs sur les marchés d’Ouésso. Avec le ren- forcement de leur protection, ainsi que le risque d’emprisonnement pour quiconque est pris à tuer ou transporter ces animaux, ils se font rares aujourd’hui sur les étals, même si les autorités soupçonnent qu’ils sont toujours vendus clandestinement. Au marché d’Ouésso, j’ai vu de la viande d’antilope et de singe être fumée au charbon de bois. Mais, comme on ne peut pas savoir où les animaux ont été tués, il est impossible de déterminer s’ils ont été chassés légalement. Aussi la police s’en tient-elle à l’application des lois relatives aux espèces protégées. Une vendeuse de viande m’a déclaré qu’elle aimerait pouvoir proposer à nouveau du gorille, de l’éléphant et du bongo (une espèce d’antilope protégée) : elle ferait fortune. Et puis, « les gens seraient contents», a-t-elle ajouté.

    L’essentiel de la viande de brousse qui afflue à Ouésso – mais aussi à Brazzaville et Kinshasa, où elle se négocie plus du double du prix – vient de petits campements de chasseurs, de villages en forêt et d’exploitations forestières. Ces concessions sont omniprésentes, souligne Michelle Wieland, et nombre d’exploitants du bois se moquent de savoir si leurs chauffeurs transportent du gibier illégal. Néanmoins, la Congolaise industrielle des bois coopère avec la WCS et le ministère de l’Économie forestière depuis près de vingt-quatre ans afin de montrer l’exemple. Aux côtés de la WCS, l’entreprise finance une initiative qui rémunère des écogardes pour patrouiller dans les exploitations forestières et sur les routes d’acheminement du bois afin de repérer les trafiquants de viande de brousse. Elle encourage également une chasse durable auprès de ses employés.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Sitrton

    Le programme soutient aussi de petits élevages de bétail, notamment à Ouésso. Sur place, je rencontre Pierrette Bouesso, qui vend des yaourts, des gâteaux et des plats congolais faits maison. Elle se prépare à recevoir 200 poulets d’élevage issus de ce programme, qui forme aussi à la gestion d’un petit commerce. Ses poulets coûteront plus cher que la volaille de supermarché, mais ils seront plus écoresponsables que la viande de brousse, et elle est certaine qu’ils trouveront preneurs. Cette femme divorcée, qui subvient aux besoins de ses enfants et petits-enfants, explique que ce complément de revenus sera très utile à sa famille.

    À Brazzaville et dans d’autres grandes villes, manger de la viande de brousse a la même connotation que manger du homard en France – c’est un luxe. Alors que je suis attablée chez le chef Honor Toudissa avec Lude Kinzonzi, ce dernier me fait part d’une question qu’on lui pose parfois : si je n’achète pas de viande de brousse, qu’est-ce que je vais acheter ? Voici sa réponse : « Si vous avez les moyens d’acheter de la viande de brousse, vous avez les moyens d’acheter de la chèvre, du bœuf ou du poulet local. » 

    Honor Toudissa montre aux Congolais comment profiter des saveurs traditionnelles sans risquer d’éradiquer la faune sauvage. Au crépuscule, il nous présente des amuse-bouches de larves et de criquets sautés, accompagnés de mangues fraîches cueillies dans son jardin. Suivent deux types de liboké, au poisson-chat et au bœuf, mijotés dans un mélange d’herbes, de tomates, de concombres et d’ail. Puis il nous sert un dessert au manioc avec de la confiture de mangue et de mbila ya esobe, un fruit de forêt.

    Ce repas est l’un des premiers organisés par Honor Toudissa, qui prévoit d’en servir bien d’autres dans sa cour : il est en train d’y installer une école culinaire pour enseigner aux enfants comme aux chefs professionnels des recettes congolaises sans gibier, et ainsi préserver les forêts et les animaux qui y demeurent.

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