Quand elle a fui l'Afghanistan, Shabana Basij-Rasikh a emmené ses élèves avec elle

Shabana Basij-Rasikh, désignée Exploratrice Rolex National Geographic 2023, a été contrainte à l’exil par les Talibans. N’écoutant que son courage, elle a emmené 256 membres du personnel de l'école qu'elle avait fondée au Rwanda.

De Nina Strochlic, National Geographic
Publication 21 juin 2023, 16:42 CEST
Les parents de Shabana Basij-Rasikh, fondatrice de l’École du Leadership (SOLA), en Afghanistan, lui ont appris ...

Les parents de Shabana Basij-Rasikh, fondatrice de l’École du Leadership (SOLA), en Afghanistan, lui ont appris très tôt que l’éducation valait une certaine prise de risques, une leçon qui l’a conduite à travers deux régimes talibans.

PHOTOGRAPHIE DE PARI DUKOVIC

Deux enfants munis de sacs de courses viennent de quitter leur domicile dans un Kaboul occupé par les Talibans. La plus grande porte une burqa et le petit, aux cheveux courts, un pantalon ; une sœur et son frère qui partent aux commissions, penserait un observateur quelconque. Chaque jour, le chemin change. À destination, il faut s’assurer que personne ne regarde avant de se faufiler derrière une porte.

Ils vont à l’école.

Nous sommes à l’automne 1996 et l’éducation des filles vient juste d’être interdite ; enseignants et parents risquent la mort s’ils sont pris à envoyer leurs filles à l’école. La plus jeune des deux enfants, Shabana Basij-Rasikh, qui a six ans, se déguise en garçon pour se faire passer pour l’accompagnateur masculin de sa sœur. Elles ont caché des livres dans leur sac pour les leçons qu’elles suivent en secret. Un jour, pensant avoir été suivies, les sœurs supplieront leurs parents d’arrêter de les envoyer à l’école. Les parents refuseront : recevoir une éducation en vaut la peine.

Il y a deux ans, Shabana Basij-Rasikh, désormais âgée de 31 ans, a vu les Talibans reprendre le contrôle de l’Afghanistan. Fondatrice du seul pensionnat exclusivement féminin du pays, la School of Leadership (SOLA), cela faisait des mois qu’elle avait prévu de s’enfuir. Elle a donc brûlé les archives de l’école et s’est faufilée avec 256 membres du personnel, de sa famille et du corps étudiant à travers le chaos de l’aéroport de Kaboul et est parvenue à les faire embarquer dans un avion à destination du Rwanda, seul pays à avoir accepté de les accueillir.

Des étudiantes se détendent sur le campus de la School of Leadership, à Kigali, seul et ...

Des étudiantes se détendent sur le campus de la School of Leadership, à Kigali, seul et unique pensionnat exclusivement féminin d’Afghanistan. Sous l’impulsion de sa fondatrice, Shabana Basij-Rasikh, ses étudiantes et son personnel ont pu être évacués vers le Rwanda après le retour des Talibans en 2021.

PHOTOGRAPHIE DE Yagazie Emezi

L’éducation des filles a toujours fait partie des premières choses à être interdites quand les Talibans arrivent au pouvoir. Aujourd’hui, en Afghanistan, on empêche les filles d’aller à l’école au-delà de la sixième ; moins de 20 % des filles ayant l’âge d’aller à l’école vont en classe. De nouvelles lois ont considérablement réduit les droits qu’elles avaient autrefois, jusqu’à la possibilité même de se rendre dans les parcs publics.

Femmes et filles sont progressivement effacées, comme le rappelle Shabana Basij-Rasikh, nommée Exploratrice Rolex National Geographic 2023 pour son courage, son indépendance et sa détermination, qui ont permis à de jeunes Afghanes d’avoir accès à l’éducation.

Shabana Basij-Rasikh et son équipe administrent la SOLA en exil depuis un campus au Rwanda, dont les habitants ont vécu leurs propres longues années de guerre et de migrations et savent ce que cela signifie de chercher refuge. Les professeurs de la SOLA font cours à soixante-et-une étudiantes, dont certaines viennent d’arriver de communautés de réfugiés Afghans d’Ouzbékistan, du Pakistan et d’Iran.

Mais Shabana Basij-Rasikh a décidé qu’une école physique, ce n’était pas assez. Les réfugiés afghans, dont fait partie son mari Mati Amin, qui a grandi dans un camp au Pakistan, sont désormais la troisième plus importante population de réfugiés au monde. Le réfugié moyen connaît un exil de dix à quinze ans. Shabana Basij-Rasikh et Mati Amin, qui ont accueilli leur premier enfant en 2022, veulent aider à compenser ce temps perdu.

« Chez nous et dans notre vie personnelle, la SOLA ça commence dès le réveil et ça s’arrête quand on va se coucher », dit-elle en riant.

Pour la troisième année d’exil de la SOLA est prévu le lancement de SOLA X, un cursus mobile qui permettra aux enfants d’étudier sur leur téléphone grâce à l’application WhatsApp. Ce programme de fortune proposera des chats qui feront office de salles de classe et où les enseignants pourront publier des leçons et des devoirs. Les cours seront ainsi accessibles n’importe où dans le monde, et même en Afghanistan. SOLA X fournira à chaque étudiante un certificat de fin d’études. Shabana Basij-Rasikh repense aux archives qu’elle a brûlées ; ces étudiantes n’auront pas à se soucier que les preuves de leur éducation puissent disparaître.

Dans le même temps, la SOLA s’implante au Rwanda et est en train d’acquérir un terrain et de construire un campus qui accueillera et formera plus de 200 enfants, de la sixième à la terminale. Quand, un jour, l’école retournera en Afghanistan, ce nouveau campus restera ouvert ; un refuge lointain, un sanctuaire, au cas où l’extrémisme viendrait à déchirer l’Afghanistan de nouveau.

Dans le monde entier, des cursus scolaires sont interrompus par la guerre, par le changement climatique et par la politique. Il y aurait dans le monde 244 millions d’enfants en âge d’aller à l’école n’étant pas en classe. Shabana Basij-Rasikh considère que sa mission consiste à édifier un modèle permettant de donner une éducation aux élèves réfugiés. « La SOLA n’est pas qu’une école, clame-t-elle. C’est un mouvement. »

les plus populaires

    voir plus

    Le dernier article de notre rédactrice Nina Strochlic s’intéresse au patrimoine et au renouveau des montagnes Catskill, dans l’État de New York.

    Pari Dukovic est un photographe multi-récompensé versant autant dans le portrait et la mode que dans le reportage. Son article sur le COVID-19 a paru dans le numéro de novembre 2020.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.