SHC : le syndrome des consommateurs chroniques de cannabis
Nausées, douleurs abdominales aiguës et douches à répétition : certains de ces signes révèlent le syndrome d'hyperémèse cannabique, qui touche de plus en plus de consommateurs de cannabis.
Entre 2017 et 2021, les hospitalisations liées au syndrome d'hyperémèse cannabique ont doublé aux États-Unis. Les chercheurs tentent actuellement de comprendre ce qui rend la population si vulnérable à cette maladie causée par un usage fréquent et prolongé du cannabis.
Nausées. Vomissements. Douleurs abdominales aiguës. Prise compulsive de douches chaudes. Ces symptômes ne vous évoquent probablement pas une consommation régulière de cannabis, surtout en connaissance des vertus anti-nauséeuses de la substance, qui permettent notamment de lutter contre les effets secondaires de la chimiothérapie.
Pourtant, ce sont bien les signes révélateurs du syndrome d'hyperémèse cannabique (SHC), ou syndrome cannabinoïde, une mystérieuse maladie gastro-intestinale souvent associée à la consommation chronique de cannabis.
Décrite pour la première fois en 2004 par des médecins en Australie, le SHC affecterait environ 2,75 millions de personnes aux États-Unis chaque année et l'incidence de la maladie est à la hausse°: d'après une étude publiée en octobre 2024 dans la revue JAMA, le nombre de consultations aux urgences liées au SCH aurait doublé entre 2017 et 2021 aux États-Unis et au Canada.
Suite à la vague de légalisation de son usage récréatif qu'ont connu le Canada et les États-Unis, la disponibilité accrue du cannabis outre-Atlantique pourrait en partie expliquer ce phénomène. La recherche soutient cette explication. Dans une étude publiée en 2024 par le Journal of Clinical Gastroenterology, des chercheurs comparent les données relatives au SHC dans un grand hôpital du Massachusetts en 2012 et en 2021, soit avant et après la légalisation dans cet État, et leur constat est sans appel : le nombre d'hospitalisations a fortement augmenté.
Autre facteur : « Le cannabis vendu de nos jours est bien plus puissant que celui d'il y a 30 ans », indique Deepak Cyril D’Souza, professeur de psychiatrie à l'école de médecine de l'université Yale et directeur du Yale Center for the Science of Cannabis and Cannabinoids. Dans les années 1960, la teneur en delta-9-tetrahydrocannabinol (THC), la substance à l'origine des effets psychotropes du cannabis, se situait entre 2 et 4 %, poursuit D'Souza, alors que les produits actuels affichent une concentration comprise entre 18 et 35 % ou plus.
Toutefois, « cela n'explique pas pourquoi certaines personnes semblent plus vulnérables que d'autres », ajoute D'Souza. Si de nombreuses questions subsistent sur cette étrange maladie, les chercheurs ont déjà identifié certaines de ses caractéristiques, voici un aperçu de leurs connaissances.
FACTEURS DE RISQUE ET CAUSES
Le premier facteur de risque du SHC est la consommation chronique de cannabis, c'est-à-dire presque tous les jours ou plusieurs fois par jour pendant plusieurs années. Le syndrome peut apparaître à tout moment, même après plusieurs dizaines d'années d'usage de la substance.
Cela dit, « la plupart des personnes qui fument quotidiennement du cannabis ne sont pas affectées », indique Christopher N. Andrews, professeur de gastro-entérologie à l'université de Calgary, au Canada. Même chez les personnes affectées, la maladie n'est pas permanente. « Elle apparaît et disparaît en cycles », reprend D'Souza. « Si elle était permanente, cela forcerait la personne concernée à mettre un terme » à sa consommation de cannabis.
Dans une revue systématique de 271 cas publiée en 2019, les chercheurs ont constaté que les individus affectés par le SHC étaient en moyenne âgés de 30 ans et que 69 % d'entre eux étaient de sexe masculin. Ils ont également découvert que 68 % des sujets atteints du syndrome consommaient quotidiennement du cannabis et que la durée moyenne de consommation avant l'apparition du SHC était de 6,6 ans.
Pourquoi certaines personnes sont-elles plus vulnérables ? Pour D'Souza, cela pourrait être lié à leur système endocannabinoïde.
Le corps humain possède un système cannabinoïde endogène (interne) qui contrôle de nombreuses fonctions essentielles, comme l'apprentissage et la mémoire, la perception de la douleur et les défenses immunitaires. Ce système comprend des récepteurs cannabinoïdes, situés pour la plupart dans le cerveau et l'estomac, qui répondent aux signaux de l'organisme, mais aussi des composés appelés cannabinoïdes endogènes semblables à ceux présents dans le cannabis végétal.
Comme nous l'explique Andrew, « le SHC pourrait être lié à un déséquilibre dans le système de communication de l'organisme, l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS), qui contrôle les réponses au stress. Le système endocannabinoïde de notre cerveau module la réponse au stress et le cannabis perturbe cette modulation », ce qui peut déclencher les symptômes du SHC.
Il pourrait également exister une prédisposition génétique au SHC. Par ailleurs, la dépression ainsi que l'anxiété sont également fréquentes chez les personnes atteintes du syndrome. « Le paradoxe étant que nous ne savons pas pourquoi ces symptômes se déclenchent à tel ou tel autre moment », déclare David Levinthal, directeur du Neurogastroenterology and Motility Center au centre médical de l'université de Pittsburgh. Le manque de sommeil et le stress intense figurent parmi les principaux suspects.
Le tableau des symptômes associés au SHC se rapproche également du syndrome des vomissements cycliques (SVC), une maladie chronique impliquant l'axe intestin-cerveau et caractérisée par des épisodes récurrents de nausée, de vomissements et de haut-le-cœur séparés de périodes sans symptômes.
La principale différence entre les deux syndromes est la suivante : dans le cas du SHC, c'est la consommation chronique de cannabis qui déclenche les poussées de la maladie. « Certains suggèrent même que le syndrome d'hyperémèses cannabique serait un sous-type de syndrome des vomissements cycliques avec un déclencheur différent », précise Levinthal.
Quelle que soit sa classification, « cette maladie peut être grave et entraîner des complications en l'absence de traitement », indique Maria Isabel Angulo, professeure adjointe de médecine interne et de pédiatrie au sein de l'université d'État de l'Illinois à Chicago. Parmi ces complications figurent notamment une déshydratation sévère et un déséquilibre électrolytique, pouvant provoquer des lésions rénales, des anomalies du rythme cardiaque et des crises d'épilepsie. En outre, quelle qu'en soit leur cause, les vomissements fréquents peuvent conduire à une érosion de l'émail dentaire, ajoute-t-elle.
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
Pour émettre un diagnostic de SHC, l'American Gastroenterological Association a établi les critères suivants : subir trois épisodes ou plus de nausées, vomissements et douleur abdominale au cours d'une année, chaque épisode durant moins d'une semaine ; consommer du cannabis plus de quatre jours par semaine depuis plus d'un an ; et voir les symptômes disparaître après avoir arrêté le cannabis pendant au moins six mois.
« Pour confirmer le diagnostic, il est nécessaire de stopper la consommation de cannabis afin de prouver de manière rétrospective que les symptômes étaient bien causés par cette consommation », indique Andrew. D'après les experts, puisque cela nécessite plusieurs mois d'abstinence, de nombreux consommateurs chroniques de cannabis refusent de suivre le processus de diagnostic du SHC.
Pendant les poussées de SHC, les vomissements sont abondants et le patient risque la déshydratation, c'est pourquoi il est nécessaire de solliciter une aide médicale. Ainsi, le patient pourra recevoir une perfusion contenant des électrolytes en intraveineuse et des médicaments antiémétiques comme l'ondansétron, la prométhazine ou la prochlorpérazine pour mettre un terme aux vomissements. Dans certains cas, il peut également recevoir des benzodiazépines, comme l'alprazolam, ou un antipsychotique, comme l'halopéridol, pour tenter d'enrayer un épisode.
Pendant une poussée, les personnes atteintes de SHC ont tendance à prendre des bains ou des douches chaudes, parfois plusieurs fois par jour, dans le but de soulager les symptômes. « Souvent, les patients signalent que l'eau chaude apaise leurs symptômes, ce qui peut entraîner une prise compulsive de douches ou de bains », témoigne Angulo. Cela suggère que la zone du cerveau responsable de la régulation de la température, l'hypothalamus, pourrait être impliquée dans le SHC, ajoute D'Souza.
Un autre remède moins connu existe : l'application d'une crème contenant de la capsaïcine (à 0,1 %) sur le haut de la poitrine peut réduire les nausées et les vomissements associés aux SHC. Selon une étude publiée dans la revue Academic Emergency Medicine, l'utilisation de ce type de crème dans le traitement des patients atteints de SHC permet de réduire considérablement les nausées en moins d'une heure.
À ce jour, la solution la plus durable reste l'arrêt du cannabis. Cependant, un arrêt brutal risque de provoquer des symptômes de sevrage du cannabis, parmi lesquels : anxiété, irritabilité, colère, troubles du sommeil, humeur dépressive et perte d'appétit. Solliciter l'aide d'un spécialiste pour recevoir un éventuel traitement antidépresseur tricyclique peut « contribuer à faciliter le sevrage du cannabis », assure Angulo. Une autre option consiste à diminuer progressivement la consommation de THC.
Pour celles et ceux qui n'envisagent pas d'arrêter le cannabis, « il est également possible d'atténuer les symptômes du SHC en réduisant la consommation et en renonçant à l'utilisation de concentrés », indique Andrews. Il ajoute que le passage à une formulation plus équilibrée entre le THC et d'autres cannabinoïdes, comme le cannabidiol (CBD) qui ne provoque pas d'euphorie, représente également une alternative. Ces formulations hybrides sont moins puissantes.
En parallèle, la science continue d'explorer les mécanismes à l'origine de cette mystérieuse maladie et ses éventuels traitements. « Il est clair que nous devons étudier davantage le problème », conclut D'Souza.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.