Découverte du premier fossile d'oiseau aux plumes bleues
Un ancêtre des rolliers à la robe bleu profond vient renforcer notre compréhension de la palette des couleurs de la préhistoire.
Il y a 48 millions d'années, un petit oiseau bleu survolait la Terre et ses eaux turquoises… jusqu'à ce qu'il finisse sa course dans les profondeurs d'un lac acide, intoxiqué par les vapeurs nocives et enseveli dans les sédiments grâce auxquels il nous apparaît aujourd'hui dans un état exceptionnel de conservation, faisant de ce petit oiseau le premier fossile arborant des plumes bleutées.
Présentées hier dans la revue Journal of the Royal Society Interface, ces plumes appartiennent à une espèce éteinte d'oiseau, Eocoracias brachyptera, retrouvé en Allemagne dans le site fossilifère de Messel. Ce pays des merveilles des fossiles modèles remonte à l'Éocène, une époque qui s'étend d'il y a 56 à 33,9 millions d'années.
Les chercheurs ont pu extrapoler la couleur bleue des plumes de E. brachyptera uniquement après l'avoir comparé à ses cousins modernes, les rolliers. Les petites structures conservées dans les plumes fossilisées ressemblent à celles qui donnent aujourd'hui aux oiseaux des teintes bleues ou grises, selon leur arrangement. D'après nos connaissances actuelles, les plumes bleues ont toujours été plutôt rares : sur les 61 lignées d'oiseaux vivants, seules 10 comportent des espèces dont le plumage s'approche de la coloration la plus probable de E. brachyptera.
Étant donné que les rolliers d'aujourd'hui ont bien plus de chances d'avoir des plumes bleues que grises, les chercheurs ont conclu que cet oiseau ancien était d'un bleu profond. C'est la première fois qu'une telle couleur de plumage est reconstituée depuis la fossile chronique.
« Pour moi, c'était la partie la plus importante et passionnante de l'étude, » déclare l'auteur principal de l'étude Frane Babarović, doctorant à l'université de Sheffield, au Royaume-Uni.
Cette nouvelle découverte provoque une diminution de la précision des modèles prédictifs de la couleur des animaux fossilisés de 82 % à 61,9 % car, jusqu'à aujourd'hui, ces prévisions présumaient que les structures responsables du bleu et du gris ne donnaient que du gris. On pourrait croire à un pas en arrière, mais cela pose en fait un nouveau cadre pour mieux cerner l'apparence des animaux éteints.
« Pour moi, cet article a une application directe restreinte, mais une application indirecte très vaste, » commente Ryan Carney, Explorateur émergent National Geographic et paléontologue à l'université de Floride Sud qui étudie le dinosaure à plumes Archaeopteryx, notamment sa coloration. « Il est vrai que le degré d'incertitude augmente… mais on est en fait passés d'une inconnue inconnue à une inconnue connue. »
VARIATION STRUCTURELLE
Cette étude constitue le dernier effort en date destiné à lever le voile sur la coloration des animaux éteints, un domaine de la science en pleine expansion ces dix dernières années. La clé de cette révolution haute en couleur ? La découverte de poches microscopiques de pigments appelées mélanosomes susceptibles de se fossiliser. Les mélanosomes contiennent deux sortes de mélanine et peuvent aboutir à toutes sortes de teintes, du brun-rouge au noir. Des mélanosomes ont été prélevés sur de nombreuses créatures préhistoriques, des oiseaux aux dinosaures non-aviens en passant par les reptiles marins.
En outre, la coloration des plumes d'oiseaux peut provenir de la fine structure de leurs plumes plutôt que directement des pigments. À l'intérieur des barbules reliant les plumes, des couches de mélanosomes et un certain type de kératine, une protéine structurelle, diffractent la lumière et ne laissent ressortir que certaines couleurs. Si vous avez déjà vu la queue scintillante d'un paon ou les reflets irisés d'un étourneau alors vous avez déjà été témoin de ce phénomène appelé couleur structurelle.
Des études antérieures ont apporté des preuves de l'existence d'une couleur structurelle dans les plumes de dinosaures. Le petit théropode Caihong juji aurait par exemple exhibé un somptueux plumage irisé alors que les plumes noires du dinosaure « à quatre ailes » Microraptor auraient quant à elle affiché par moments des reflets bleutés.
Et si par chance vous avez déjà passé vos mains dans les plumes d'un paon, vous aurez sûrement remarqué qu'elles changent de couleur selon l'angle sous lequel vous les observez, une propriété appelée iridescence. Toutes les couleurs structurelles ne se comportent pas de cette façon. Les barbes de certains plumages se composent de trois couches : une gaine externe de kératine, une couche intermédiaire spongieuse et une couche interne de mélanosomes. Cette superposition permet au plumage de refléter les rayons bleutés depuis différents angles de vue et ce sont ces couleurs structurelles non-iridescentes qui donnent leur ton bleu aux geais bleus et leur couleur verte à certains perroquets.
BLEU ET GRIS
Chez les oiseaux actuels, les mélanosomes associés à des couleurs différentes ont tendance à avoir des formes différentes, le même scénario devrait donc s'appliquer pour les oiseaux de la chronique fossile. Les noirs sont cylindriques alors que les bruns-rouges sont sphériques. Babarović en est donc venu à se demander si les mélanosomes associés au bleu non-iridescent avaient également une forme bien à eux.
Pour percer ce mystère, Babarović et ses collègues ont examiné les mélanosomes contenus dans E. brachyptera et dans 72 plumes de groupes modernes d'oiseaux dispersés à travers le monde. Dans le fossile d'oiseau, les mélanosomes préservés sont environ trois fois plus long que large, ce qui correspond aux mélanosomes responsables des plumages bleu non-iridescent et gris. Afin de distinguer les deux, Babarović s'est rendu compte qu'il devait établir un arbre généalogique des oiseaux vivants et de leur coloration pour déterminer où prédominaient les plumes bleus et grises.
Une fois tous les calculs effectués, il a découvert que E. brachyptera avait 99 % de chances d'avoir une couleur structurelle non-iridescente et pas plus de 19 % de chances d'avoir un plumage gris. Selon ces statistiques il est donc plus probable que les mélanosomes de l'oiseau fossilisé lui aient conféré une teinte bleue.
Avec son entrée récente en doctorat, Babarović prévoit aujourd'hui d'étudier plus en détail l'histoire évolutionnaire de la couleur bleue chez les oiseaux. Rien qu'à l'idée de s'embarquer dans cette aventure scientifique, Babarović rayonne.
« Parfois, je n'arrivais pas à dormir tellement j'y pensais, » raconte-t-il. « C'est une obsession. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.