Cette nouvelle "peau" intelligente s'inspire de celle des caméléons
Un nouveau polymère peut changer de couleur en réaction à la lumière, une qualité qui pourrait se révéler très utile pour le camouflage.
À en croire les caméléons, rien de plus simple que de changer de couleur. En quelques instants, ces reptiles peuvent modifier la teinte de leur peau pour intimider des prédateurs, se camoufler ou trouver un partenaire. Les scientifiques ont passé des décennies en laboratoire à tenter de percer le mystère du changement de couleur des caméléons et leur dur labeur a porté ses fruits avec la mise au point d'une peau intelligente qui change de couleur lorsqu'elle est exposé au Soleil.
« C'est quelque chose de fréquent dans la nature, » déclare Khalid Salaita, bioingénieur au sein de l'université Emory d'Atlanta et auteur principal du nouvel article publié hier dans la revue ACS Nano. « Et nous pouvons déclencher ce changement de couleur grâce à la lumière directe du soleil. »
Les applications de ce matériau sont variées, des vêtements ou revêtements de camouflage aux capteurs chimiques et environnementaux.
Non impliquée dans l'étude, la biochimiste Leila Deravi de l'université Northeastern affirme que cette nouvelle peau intelligente relève un « défi majeur pour les ingénieurs » en comprenant comment susciter un changement de couleur sans altérer le volume d'un polymère.
DE L'ART D'IMITER
Bien avant qu'Harry Potter n'enfile sa cape d'invisibilité, les animaux de tous les milieux s'amusaient avec leurs couleurs pour différentes raisons. Cette capacité a évolué de nombreuses fois et de façon indépendante chez les reptiles, le poisson tétra néon, les papillons et les céphalopodes comme la pieuvre ou le calamar.
Les cellules épidermiques de ces animaux contiennent de minuscules cristaux agglutinés les uns contre les autres appelés cristaux photoniques. À l'inverse des pigments, dont la teinte est intrinsèque, ces cristaux reflètent et diffusent la lumière de façon différente en fonction de leur taille, de leur composition chimique et de leur configuration pour finalement créer des couleurs.
Les chercheurs ont découvert dans un article publié en 2015 dans Nature Communication que les cellules épidermiques des caméléons étaient constituées de cristaux de guanine intercalés de cellules épidermiques « normales ». Pour changer de couleur, ces lézards compressent ou étendent leurs cellules contenant des cristaux, ce qui provoque la réflexion de différentes longueurs d'onde, et parallèlement les cellules normales peuvent également se contracter ou s'élargir pour combler les espaces vides.
Pour mettre au point une peau intelligente capable de changer de couleur en laboratoire, les scientifiques ont en fait intégré des cristaux photoniques à un polymère gélatineux. Yixiao Dong, premier auteur de la nouvelle étude et doctorant dans le laboratoire de Salaita, a suggéré d'ajuster cette formule en créant un hydrogel composé de deux couches, un peu comme la peau du caméléon.
« Cette solution semblait être parfaite, » commente Salaita.
CHANGER FACE À LA LUMIÈRE
L'équipe a créé une petite structure flexible qui n'est pas sans ressembler à un bracelet en silicone et contient une couche intégrant des cristaux photoniques d'oxyde de fer mélangés à du dioxyde de silicium. Au niveau chimique, « c'est essentiellement un cœur de rouille dans une coquille de sable, » illustre Salaita. L'autre couche contient un polymère incolore.
Ils ont ensuite exposé la peau au soleil et à la lumière de lasers. C'est ce qui distingue cette expérience des tentatives précédentes de création d'une peau intelligente, qui étaient généralement soumises à un signal électrique haute tension.
Au cours d'une expérience, Dong a façonné une peau jaune intelligente en forme de feuille. Au bout de cinq minutes au soleil, la feuille était devenue verte, ce qui lui a permis de se fondre au sein d'un groupe de feuilles qu’il avait coupées sur un arbre à l’extérieur du laboratoire, démontrant ainsi le potentiel de camouflage de cette peau intelligente. Il a effectué un changement de couleur similaire avec un polymère en forme de poisson. Dong et Salaita ont ensuite créé des changements encore plus rapides à l'aide d'une lumière laser.
« C’est un moyen astucieux d’obtenir des changements de couleur grâce à la lumière », déclare Deravi. Elle considère ce résultat comme un premier pas prometteur, mais affirme qu'il faudra beaucoup de temps avant que les peaux intelligentes ne soient prêtes pour un usage commercial.
L'un des plus gros défis consistera à créer des peaux intelligentes suffisamment grandes pour fabriquer des vêtements, des panneaux ou d'autres utilisations humaines. Salaita fait également remarquer que les animaux contrôlent beaucoup mieux leurs changements de couleur et peuvent provoquer des changements plus dramatiques que les matériaux fabriqués par l'homme.
La peau ne peut pas (encore) changer de couleur en fonction de son environnement. Les céphalopodes et les caméléons le font probablement en détectant la lumière dans leur peau, et reproduire ce mécanisme impliquerait de nombreux miroirs ainsi qu'un système complexe d'optiques, ajoute Deravi.
« Il est toujours compliqué pour un laboratoire universitaire de traduire ses travaux en applications concrètes », estime la scientifique. Mais cela en vaut la peine.
Après tout, l'évolution a passé des millions d'années à perfectionner ces mécanismes de changements de couleurs. Les scientifiques ont donc tout intérêt à lui emprunter quelques secrets. « Ces polymères peuvent être transformés en tout ce que vous souhaitez », affirme Salaita.