Faut-il s'inquiéter des mutations du coronavirus ?

Il n'existe aucune preuve solide de l'augmentation de la mortalité ou de la transmissibilité du coronavirus, mais ces préoccupations sont le lot de toutes les épidémies.

De Monique Brouillette
Cette image obtenue par microscopie électronique en transmission montre le SARS-CoV-2, le virus à l'origine de ...

Cette image obtenue par microscopie électronique en transmission montre le SARS-CoV-2, le virus à l'origine de la COVID-19, isolé à partir d'un échantillon prélevé sur un patient américain. On y voit les particules virales émerger de la surface de cellules cultivées en laboratoire. Les pics présents sur la bordure extérieure des particules virales donnent son nom au coronavirus, en forme de couronne. Image obtenue et colorisée au Rocky Mountain Laboratory (RML) de l'Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID, National Institute of Allergy and Infectious Diseases) à Hamilton, dans le Montana.

Image by Niaid

Les mutations font peur. Elles sont un thème récurrent de nos craintes collectives des radiations nucléaires ou des cancers les plus sournois. Lors d'une pandémie, face à l'inconnu, la moindre suggestion qu'un virus puisse changer pour le pire, en devenant plus infectieux ou mortel, suffit à renforcer notre état d'anxiété.

Il n'était donc pas étonnant de découvrir, début juillet, des articles au titre inquiétant en réaction à une étude parue dans la prestigieuse revue scientifique Cell où il était question de propagation insidieuse d'une souche mutante du SARS-CoV-2 à travers le monde, peut-être à cause d'une transmissibilité accrue.

Début mars, pouvait-on lire dans l'étude, cette souche mutante ne représentait que 10 % des spécimens prélevés chez les patients du monde entier. Au mois de mai, ces 10 % s'étaient transformés en 78 % et la souche dominait la planète. Les chercheurs décrivaient également leurs expériences en laboratoires suggérant que la mutation en question, une simple variation de la protéine en « épine » qui entoure le virus telle une couronne, améliorait potentiellement la capacité du virus à se fixer sur les cellules humaines pour se reproduire.

Les virus mutent, cela ne fait aucun doute, c'est d'ailleurs pour cette raison que le vaccin de la grippe doit être mis à jour chaque année. Cependant, le doute plane au sein de la communauté scientifique quant à l'importance de cette mutation spécifique pour la pandémie de COVID-19. D'après l'article de la revue Cell, cette mutation permettrait au coronavirus de se lier plus efficacement aux cellules humaines et de s'y introduire.

« Aucune preuve ne soutient cela, » assure Vincent Racaniello, virologiste de l'université Columbia et auteur d'un article dans lequel il démontre que l'étude publiée dans Cell n'apporte aucune preuve de la transmission humaine accrue de cette souche mutante du SARS-CoV-2. Tout d'abord, les expériences menées dans cette étude l'ont été sur un virus « pseudotypé », ce qui signifie que les chercheurs n'ont pas utilisé le véritable virus SARS-CoV-2. Afin de prouver que la mutation augmente la transmissibilité, il aurait fallu observer le comportement de l'authentique mutant chez des sujets humains.

« Il y a un fossé immense entre l'infectiosité en laboratoire et la transmission humaine, » déclare Nathan Grubaugh, épidémiologiste et virologue rattaché à l'université Yale. Dans le monde réel, nous explique-t-il, un virus doit se frayer un chemin jusqu'aux poumons en traversant le mucus et les cellules immunitaires qui tapissent les voies aériennes. Il doit ensuite se répliquer puis survivre dans les gouttelettes relâchées dans l'air. Le scénario décrit dans la revue Cell est plausible, précise Grubaugh, mais « il y a tellement de variables à prendre en compte. »

Donc, à quel point les mutations du coronavirus devraient-elles nous inquiéter ? Voici les réponses apportées à National Geograpghic par d'éminents virologues et médecins.

 

MUTATION G614, ÉTAT DES LIEUX

Les auteurs de l'étude parue dans Cell, sous la direction de la biologiste Bette Korber du laboratoire national de Los Alamos au Nouveau-Mexique, ont coupé/collé la protéine Spike (S), une protéine en forme de pique également appelée péplomère, de la version mutante (G614) ou originale du coronavirus sur un germe totalement indépendant appelé lentivirus.

Comme nous l'explique Korber, les « pseudovirus » ainsi obtenus permettent de manipuler et de comparer différents pics viraux de façon sûre et reproductible.

L'équipe de chercheurs a ensuite introduit ces pseudovirus dans des tubes à essai pour les mélanger à différents types de cellules hépatiques, un lot prélevé sur des singes Vervet il y a 60 ans et un autre sur des humains en 1973. Ces cellules ont également été immortalisées, sur le célèbre modèle des cellules d'Henrietta Lacks. Cela signifie qu'elles ont été modifiées naturellement ou artificiellement pour vivre éternellement, contrairement aux cellules contenues dans le corps humain. De plus, les cellules humaines utilisées dans l'étude de Korber ont été génétiquement altérées afin d'être plus facilement infectées par tout virus porteur de la protéine Spike.

Dans ce scénario artificiel, in vitro, les chercheurs ont bel et bien constaté que la protéine Spike mutante était plus infectieuse. Ajoutez à cela le fait que la domination de la mutation G614 se soit établie en l'espace de quelques mois, et vous obtenez un virus au profil déjà effrayant dont la capacité à sauter d'un individu à l'autre semble s'être améliorée. Il n'en fallait pas plus pour que les médias s'embrasent.

Mais alors, que signifient les résultats de l'étude en l'état actuel ?

« On ne sait pas, » répond simplement Racaniello. Même si les expériences faisant intervenir des pseudovirus sont une pratique courante en virologie, c'est un peu comme mettre des dents de tigres dans la bouche d'un koala. Quand bien même la morsure du koala mutant sera plus douloureuse, l'expérience ne vous dit rien sur la férocité des koalas ou des tigres en dehors du laboratoire.

Korber reconnaît les limites des résultats expérimentaux : « On ne sait pas » comment cela se traduira dans la transmissibilité entre humains, admet-elle, mais « ce point est actuellement à l'étude dans plusieurs laboratoires. »

En attendant, il existe une autre explication à la propagation fulgurante du virus à travers la population et son rôle dominant dans la pandémie, une explication qui laisse de côté la mutation G614 en elle-même.

 

L'EFFET FONDATEUR

Pendant leur réplication, les virus peuvent muter, chaque cycle étant assimilé à un lancer de dés génétiques. Bon nombre de ces mutations n'offriront aucun avantage mais seront tout de même transmises jusqu'à devenir fréquentes au sein d'une population. Ce phénomène est appelé « effet fondateur ».

La mutation G614 a été identifiée pour la première fois en Chine au mois de janvier 2020, période à laquelle le nouveau coronavirus s'immisçait en Europe. Cela suggère que la domination mondiale de cette souche mutante pourrait n'être due qu'à sa présence aux prémices de l'épidémie européenne, porte d'entrée du virus dans le reste du monde occidental. Ainsi, en intégrant l'effet fondateur à une analyse récente des génomes du coronavirus recueillis sur 23 000 patients à travers le monde, le Genetics Institute de l'University College de Londres n'a pu que constater l'absence de preuves d'une transmissibilité accrue des mutations actuelles du SARS-CoV-2, y compris G614.

Même si Korber reconnaît la plausibilité de l'effet fondateur, elle considère que la franche prévalence de G614 à travers la planète sous-entend que la mutation confère au virus un avantage fonctionnel et, d'après elle, les preuves suggèrent que la souche mutante surpasserait la souche initiale. « Presque chaque fois, sur les dizaines et dizaines de situations où les deux formes circulaient dans une région, le virus a fini par adopter à plus haute fréquence la forme G614, » déclare-t-elle.

Cependant, un autre groupe de chercheurs indépendants, le COVID-19 Genomics UK consortium, suit l'évolution de la mutation G614 chez les patients britanniques et a analysé à ce jour plus de 30 000 génomes viraux. Alors que la mutation G614 « serait potentiellement à l'origine d'une augmentation du taux de transmission entre individus, la différence que nous observons est nettement moins prononcée que la différence de pouvoir infectieux cellulaire mesurée en laboratoire, » peut-on lire dans le communiqué adressé par Erik Volz, épidémiologiste de l'Imperial College de Londres et membre du consortium.

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    Toujours d'après les résultats du consortium, aucune preuve ne permet d'affirmer que la mutation G614 aggraverait les infections au coronavirus ou augmenterait sa létalité, une tendance qui était également évoquée par l'équipe de Korber et un groupe de scientifiques travaillant sur un échantillon de patients de l'État de Washington.

    Bien qu'il soit théoriquement possible qu'un virus touche le jackpot génétique et se transforme en un mutant nettement plus mortel et transmissible, les mutations qui aboutissent à des « modifications dignes de X-Men » sont également très peu probables, déclare Tyler Starr, virologue au sein du Fred Hutchinson Cancer Research Center de Seattle, dans l'état de Washington.

    D'après Kristian Andersen, immunologiste pour l'Institut de recherche Scripps à La Jolla, en Californie, un scénario bien plus probable serait que « le virus continue de muter et que la plupart de ces mutations sans effet, certaines iraient légèrement à l'encontre de ses aptitudes alors que d'autres leur seraient sensiblement bénéfiques, rien de plus. »

     

    À quel moment les mutations virales devront-elles nous inquiéter ?

    Pour quiconque se souvient de l'épidémie Ebola de 2014 en Afrique, les débats actuels au sujet de la mutation G614 peuvent avoir un air de déjà-vu. À l'époque, certains experts laissaient planer la terrifiante possibilité pour le virus Ebola, dont le taux de mortalité s'élevait à 50 % mais qui n'était transmis que par les fluides corporels, de se transformer en une maladie aéroportée.

    Les études préliminaires menées au cours des trois premiers mois de la maladie montraient que le virus Ebola avait acquis une mutation similaire à celle observée aujourd'hui sur le SARS-CoV-2, le changement d'un unique acide aminé en surface du virus qui améliorait sa capacité à infecter les cellules au cours d'expériences en laboratoires menées avec des pseudovirus.

    Finalement, le virus Ebola n'a jamais franchi le cap de la transmission aéroportée et l'épidémie a pu être endiguée au travers de mesures sanitaires et de soins médicaux appropriés.

    D'après les experts interrogés pour la rédaction de cet article, les pandémies s'accompagnent quasi systématiquement de préoccupations du grand public au sujet des mutations. Peut-être à cause des incertitudes à l'égard de ces maladies dangereuses ou plus simplement parce que ces mutations hasardeuses n'en finissent jamais de faire couler l'encre.

    « Avec la COVID-19, il y a tellement d'inconnues qu'il est impossible d'avoir l'histoire au complet. Mais en tant qu'humains, nous la recherchons à tout prix, ce qui nous oblige à combler les trous, » illustre Seema Yasmin, directrice recherche et éducation pour la Stanford Health Communication Initiative. « Et parfois nous bouchons ces trous avec des informations sensationnelles qui suscitent certaines émotions. »

    Laisser flotter le spectre d'une mutation mortelle offre « un moyen fantastique d'éveiller l'intérêt, comme une intrigue de science-fiction » déclare Howard Markel, médecin et historien de la médecine rattaché à l'université du Michigan. « Si vous lisez des témoignages populaires au sujet de la grippe, par exemple des coupures de magazines, vous découvrirez que le virus grippal de 1918 avait muté pour devenir plus puissant. Mais aucune preuve scientifique ne soutient ces propos. »

    Une mutation qui modifierait profondément le comportement du coronavirus est peu probable. La grippe et le coronavirus rentrent dans la catégorie des virus à ARN et Racaniello cite d'autres membres de cette famille, comme le VIH ou la rougeole, n'ayant jamais subi de modification fondamentale de leur mode de transmission depuis leur apparition.

    « Il n'existe aucun précédent de virus modifiant son mode de transmission fondamental, » affirme-t-il.

    Ce qui est plus probable en revanche dans le cas du coronavirus, c'est d'observer de légères modifications qui rendraient le virus indétectable par le système immunitaire. Dans ce scénario, nous pourrions être réinfectés par le virus et les vaccins, une fois développés, perdraient leur efficacité au fil du temps, comme avec la grippe saisonnière : chaque année, le virus subit une légère mutation et nous devons ajuster nos vaccins en conséquence.

    Le SARS-CoV-2 était déjà doté d'une certaine aptitude à se propager dès son apparition à Wuhan fin 2019. Son mode de transmission, via des gouttelettes respiratoires et au travers parfois de patients asymptomatiques, suffisait dès le départ à causer une pandémie dévastatrice.

    Selon les experts, l'avenir de la pandémie dépendra davantage des actions que nous prenons pour limiter la propagation du virus que des propriétés intrinsèques du virus lui-même.

    Pour Claus Wilke, biologiste structurel au sein de l'université du Texas à Austin, les inquiétudes au sujet de la mutation G614 nous détournent du réel problème : « Cela n'aura aucun impact sur deux questions majeures, à savoir, comment empêcher la propagation du virus ? Et, le vaccin sera-t-il efficace ? »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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