Requins, crocodiles, araignées : pourquoi les animaux géants nous fascinent

Pour chaque espèce, il existe un mastodonte sur lequel se braquent les projecteurs, mais ces animaux de tous les records peuvent également nous aider à percer de nombreux mystères biologiques.

De Jason Bittel
Publication 17 juil. 2020, 15:00 CEST
Sarcosuchus imperator, surnommé SuperCroc, était une créature de l'ère du Crétacé qui pesait près de 8 ...

Sarcosuchus imperator, surnommé SuperCroc, était une créature de l'ère du Crétacé qui pesait près de 8 000 kilos et mesurait 12 mètres de long.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration de DON FOLEY, Nat Geo Image Collection

Admiration, crainte ou simple fascination, quel que soit le sentiment que nous éprouvons, le gigantisme nous attire.

Rien d'étonnant, donc, à ce que la plus grande femelle requin blanc filmée à ce jour, Deep Blue, avec ses six mètres de long, fasse les gros titres chaque fois qu'elle est aperçue en train de grignoter la carcasse d'une baleine. Rien d'étonnant, non plus, à ce que le monde connaisse le nom de Lolong, l'un des plus grands crocodiles marins jamais observés, dépassant même Deep Blue de quelques centimètres.

Récemment, une équipe de scientifiques s'est lancée dans une expédition visant à trouver Kamakai, une femelle requin-tigre aperçue en Polynésie française qui pourrait bien être l'une des plus imposantes de son espèce.

Mais au-delà de l'aspect sensationnel de chacun de ces récits, les experts affirment que de tels colosses ont énormément de choses à nous apprendre.

« Le simple fait de relater l'observation d'un grand requin est-il intéressant ? Non, » répond Chris Fischer, président fondateur d'Ocearch, un organisme de collecte de données qui a balisé et suivi certains grands requins blancs parmi les plus imposants.

En revanche, si l'on parvient à capturer un tel animal, à réaliser des prélèvements, à poser une balise puis à le relâcher en toute sécurité, alors il devient utile pour la science, témoigne Fischer. Par exemple, suivre les déplacements d'une grande femelle comme Deep Blue permet de révéler « les endroits où les grands requins blancs s'accouplent, où se déroule leur période de gestation et où les femelles mettent bas, » explique Fischer.

Et en ce qui concerne les espèces menacées d'extinction, comme le grand blanc, ce type de données est essentiel pour déterminer la meilleure façon de protéger ces animaux et d'accroître leurs populations.

 

VOYAGE DANS LE TEMPS

Une autre raison nous pousse à nous intéresser à ces animaux sans pareil : ils ouvrent une fenêtre sur le passé.

« Les très grands animaux constituent des points de données vraiment utiles, » déclare Stephanie Drumheller-Horton qui étudie les ancêtres des crocodiles à l'université du Tennessee.

Par exemple, si l'on souhaite deviner ce que mangeait le Sarcosuchus imperator, un crocodyliforme long de 12 m surnommé Supercroc, pendant le Crétacé, il peut être utile d'étudier le régime alimentaire des plus grands crocodiles actuels. Ainsi, Lolong, mort en captivité aux Philippines en 2013, se nourrissait probablement de poissons, d'oiseaux, de mammifères et même de bétail à l'état sauvage.

« On peut émettre des hypothèses en se basant sur des groupes vivants, y compris sur certains des plus grands spécimens, » explique Drumheller-Horton.

Parallèlement, les relevés contemporains peuvent être utilisés pour déterminer la façon dont une espèce vivante s'est adaptée à la chasse, la pêche ou d'autres impacts d'origine humaine.

« En s'attardant sur l'historique de certains de ces animaux, comme les raies mantas ou les requins-baleines, on s'aperçoit qu'ils étaient nettement plus grands que ceux qui peuplent aujourd'hui nos océans, » indique Andrea Marshall, explorateur National Geographic et co-fondateur de la Marine Megafaune Foundation, dont le siège se situe en Californie mais qui étudie également la faune du Mozambique.

Cela signifie que nous avons « pêché les individus les plus grands, les plus vieux et les plus développés dans la nature, » explique Marshall, ce qui implique que les écologistes ont encore beaucoup de travail pour rétablir les espèces dans leur état initial.

 

ÊTRE GRAND, UN INCONVÉNIENT ?

Les animaux ayant survécu jusqu'à une taille gigantesque sont le fruit de plusieurs facteurs, parmi lesquels un bon patrimoine génétique et un écosystème sain. Cependant, cette réussite fait parfois d'eux une cible privilégiée.

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    Un garpique alligator dévore une perche noire. Cette espèce est l'un des plus grands poissons d'eau douce d'Amérique du Nord.

    PHOTOGRAPHIE DE Paulo Oliveira, Alamy Stock Photo

    Prenez par exemple le garpique alligator, un poisson d'eau douce à l'allure préhistorique évoluant dans les eaux du sud des États-Unis dont la longueur peut atteindre les 2,50 m et le poids dépasser les 130 kg.

    « Une fois qu'ils ont atteint une certaine taille, ils n'ont presque plus aucun prédateur à craindre, » déclare Solomon David, écologiste de la vie aquatique à l'université d'État Nicholls en Louisiane.

    Cela dit, même le plus grand des garpiques alligators ne fait pas le poids face à un chasseur maniant un arc à poulie. Selon David, ces poissons sont aujourd'hui bien trop ciblés comme trophées, un acharnement qui a des conséquences négatives pour cette espèce considérée comme rare et menacée sur certaines zones de son aire de répartition.

    Par ailleurs, les scientifiques ont déjà démontré que le fait de chasser les plus grands mouflons canadiens entraînait une diminution de la taille des cornes au sein des populations ; alors que le braconnage des éléphants pour l'ivoire aboutissait à des naissances d'éléphanteaux dépourvus de défenses.

    « Nous ciblons les plus grands et les plus développés d'une population donnée. » résume David. « Ce qui revient à supprimer les gènes » qui les rendent aussi imposants.

     

    ESPÈCES IGNORÉES

    La fascination envers les grands animaux présente un autre inconvénient : d'après certains experts, elle fait de l'ombre à ceux qui ne sortent pas du lot.

    Il existe environ 500 espèces de requins, dont les moins connus (et plus petits) requins-chabots, anges de mer et requins-lutins, indique Melissa Cristina Márquez, biologiste de la vie marine et fondatrice de la Fins United Initiative.

    Les anges de mer ont particulièrement besoin d'attention, puisque ces créatures des profondeurs ont disparu de plus de 80 % de leur aire de répartition au cours du siècle dernier et sont désormais considérées comme la seconde famille la plus menacée chez les requins et les raies.

    « Se concentrer uniquement sur les grands requins "charismatiques" que sont les requins-marteaux, tigres ou grands blancs, c'est éclipser toutes les autres espèces, » déclare Márquez.

    D'un autre côté, l'utilisation de superlatifs peut servir à éveiller l'intérêt du public pour des animaux d'ordinaire ignorés, suggère Stefano Mammola, écologiste du Conseil national italien de la recherche. En 2017, Mammola a publié une étude à travers laquelle il présentait près d'une centaine d'araignées détentrices de divers records.

    On y retrouvait par exemple la mygale Goliath d'Amérique du Sud, la plus lourde de toutes avec un poids équivalent à celui d'un palet de hockey, ou encore Heteropoda maxima, l'araignée géante des grottes du Laos, affichant la plus grande envergure pattes étalées avec près de 30 cm.

    « Si l'on parvient à capter l'intérêt du public au travers de particularités étonnantes, en jouant avec les extrêmes, alors avec un peu de chance il trouvera les araignées plus attrayantes, » conclut Mammola. « Et cela pourrait se traduire par une plus grande sensibilité du public envers ces organismes négligés. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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