Quel avenir construire après une année 2020 désastreuse ?
Où en serons-nous après la pandémie ? Nous allons avancer parce qu'il le faut, mais de quelle façon ? Vers quels horizons ?
La distanciation sociale a ses limites. Après plus de deux mois sans aucun contact humain, Mary Grace Sileo (à gauche) et sa fille, Michelle Grant, ont trouvé une échappatoire avec d'autres membres de leur famille. Elles ont suspendu une bâche transparente à une corde à linge dans le jardin de Sileo à Wantagh, New York. Après s'être placées de part et d'autre, sans enlever leur masque, elles ont pu se prendre dans les bras à travers le plastique.
Cet article figure dans l'édition de novembre 2020 du magazine National Geographic.
Au cours de cette année, de « cette année dévastatrice » comme le souligne Robin Marantz Henig dans cette édition, un homme de Java Central a fabriqué une barrière en bambou avant d'y accrocher une bâche portant la mention CONFINEMENT pour bloquer la route qui menait au village. Un employé des pompes funèbres belge est allé travailler vêtu d'une combinaison Hazmat. À Détroit, une enfant s'est plainte d'un mal de tête ; un mois plus tard, pendant le service funèbre auquel seules 12 personnes ont été autorisées à participer, ses parents la pleuraient, le visage dissimulé sous un masque.
Voici ce que 2020 veut nous faire comprendre : un seul et unique phénomène relie ces individus, ces lieux, ce chagrin, cette crainte. Pour la plupart, nous ne sommes ni épidémiologistes ni survivants de la grippe espagnole ; pour la plupart, avant 2020 le mot « pandémie » appartenait à l'histoire, à la fiction dystopique, aux romans d'anticipation écrits par des journalistes scientifiques comme Henig. Le nouveau coronavirus est devenu un phénomène mondial et le simple fait de l'appréhender en tant que tel est une étourdissante nouveauté.
À la levée du confinement en Italie, les cérémonies reportées ont enfin pu avoir lieu. Marta Colzani et Alessio Cavallaro ont enfilé leur masque et se sont dit oui en l'église San Vito de Barzanò, près de Milan, pour l'un des tout premiers mariages post-confinement. Au mois de mars, le Vatican avait publié un décret autorisant les prêtres à user de leur propre jugement pour la planification des services religieux.
Le simple suivi de l'actualité scientifique constitue un défi, et ce, même pour l'observateur aguerri, comme le fait remarquer Henig dans l'une de ses analyses de la pandémie : « Même un passionné de sciences comme moi a eu du mal à observer les scientifiques débattre, diverger, changer d'avis et réévaluer la situation. J'en suis venu à souhaiter qu'un héros en blouse de laboratoire apparaisse et fasse tout disparaître. »
Qualifier les images et les essais rassemblés ici de chronique de la pandémie serait un acte plein d'espoir doublé d'un excès de confiance ; une chronique, c'est quelque chose que l'on regarde après-coup, en rétrospection. Où en serons-nous après la pandémie ? Nous allons avancer parce qu'il le faut, mais de quelle façon ? Vers quels horizons ? En quoi cette année dévastatrice nous a-t-elle changés ? Voilà quelques-unes des questions que les auteurs et les photographes de cette édition se sont proposé d'explorer.
Lorsque le nombre de victimes du coronavirus a soudainement augmenté à Bergame, l'une des villes les plus touchées d'Italie, la morgue et le crématorium de la ville ont été surchargés. L'armée italienne est intervenue pour transporter les cercueils de Bergame vers d'autres villes du nord de l'Italie. Ci-dessus, les agents funéraires de Novare déchargent les cercueils arrivés par camion militaire au crématorium du cimetière.
Dans sa réflexion troublée sur la façon dont les citoyens percevront à l'avenir la recherche scientifique en présence du coronavirus, Henig s'interroge sur l'hypervitesse des études, pour la plupart conduites avec une ouverture sans précédent sous les yeux d'un public qui attend lui aussi l'arrivée d'un héros à blouse blanche.
« Peut-être que cette vision sans filtre s'avérera être une bonne chose, » écrit-elle. « Peut-être, étrangement, que le fait de regarder les scientifiques construire un avion en plein vol - métaphore adoptée par certains quand on les interroge sur la recherche sur le coronavirus - favorisera notre compréhension du processus scientifique. »
Peut-être. Nous, êtres humains, sommes une espèce impatiente, égocentrique, capable d'un héroïsme sublime et d'une incroyable stupidité. Nos chances de tirer une leçon durable de cette calamité ? En dents de scie, semble-t-il, d'un mois à l'autre, d'un jour à l'autre.
Parfois, la vie n'attend pas. Kim Bonsignore avait prévu d'avoir son deuxième enfant fin avril dans un hôpital à proximité de Manhattan, où elle habite. Face à l'impact du coronavirus sur les hôpitaux, elle a changé d'avis et a donné naissance à sa fille, Suzette, dans son salon. D'après les experts, la pandémie et l'incertitude économique peuvent décourager les couples d'avoir des enfants à l'heure actuelle.
Alors que nous passions maîtres dans l'art de nous laver les mains pendant 20 secondes, la température de la planète poursuivait son ascension. Les effets secondaires de la pandémie ont fait souffler un vent d'optimisme, parfois justifié. Le retour des dauphins dans les canaux de Venise(1) ? Non, même si nous en rêvions tous. Le retour de l'Himalaya dans le champ de vision des Pendjabis après des décennies d'absence suite à la baisse de pollution causée par le ralentissement économique ; oui, tout comme l'air plus propre signalé à Bangkok ou São Paulo.
(1) Une autre histoire démentie pendant la pandémie affirmait que 14 éléphants avaient fait irruption dans un village chinois pour s'enivrer de vin de maïs avant de s'assoupir dans une plantation de thé.
Le président kenyan, Uhuru Kenyatta, a eu une phrase étrangement poétique au cours de son discours visant à décréter le premier confinement du pays en réponse à la pandémie : « cessation de mouvement ». Il nous a effectivement semblé que le monde entier était à l'arrêt pendant un temps en 2020, une région après l'autre. Ces avenues désertes. Ces entreprises fermées. Un quartet barcelonais jouant Puccini devant une salle remplie de plantes en pot.
Après 11 semaines de confinement total, la province chinoise du Hubei vient de mettre un terme à l'obligation de rester chez soi pour ses plus de 55 millions d'habitants. Les résidents sortent au compte-gouttes, tous équipés d'un masque, pour reprendre les activités qui composaient autrefois leur routine et retrouver prudemment leurs petits plaisirs, le temps d'une danse en plein air.
Cependant, même cloîtré chez soi il était possible de voir à quel point cette image d'un monde à l'arrêt était fausse. Les ambulances quadrillaient les villes ; les services d'urgence et de réanimation étaient submergés. La contagion du coronavirus était encore le combat quotidien des travailleurs et des plus démunis qui n'avaient d'autre choix que d'aller travailler.
Comme l'écrit Robert Kunzig dans son essai au sujet des répercussions de la pandémie sur l'environnement, la pollution atmosphérique repart désormais à la hausse et cette année la toundra sibérienne s'est enflammée. « L'expérience de la COVID-19 va-t-elle changer de façon durable la façon dont nous traitons cette planète, à l'heure où près de 8 milliards d'êtres humains se démènent pour y survivre ? » s'interroge-t-il. « Que se passerait-il si les économies mondiales étaient bornées par les limites imposées par la nature ? »
À Détroit, l'ex-facteur Chester Lovett espérait passer plus de temps avec ses dix enfants pendant sa retraite. Puis la COVID-19 l'a emporté et les règles mises en place lors de la pandémie ne permettaient qu'à dix personnes à la fois d'assister à ses funérailles. Après la cérémonie, Jerry Lovett a lâché une colombe symbolisant l'envol de l'esprit de son frère Chester.
Cette année dévastatrice a poussé certains d'entre nous à se réfugier encore plus dans le déni, notamment aux États-Unis, où à la mi-avril le bilan des victimes était le plus élevé au monde, où à la fin août le nombre de décès atteignait les 180 000, soit 50 % de plus que la nation la plus proche, le Brésil. Cette année a également vu naître de nouveaux guerriers, comme nous le rappellent Phillip Morris et les autres contributeurs à cette édition, des guerriers qui n'ont pas eu peur de porter ce fichu masque, de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour diriger, réconforter et soigner ceux qui les entourent.
À quoi ressemblerait notre monde si... l'heure est venue de lancer l'interminable liste des spéculations.
Si nous remplacions les applaudissements en l'honneur des travailleurs soudainement étiquetés d'« essentiels » par une augmentation des salaires ? Si nous nous forcions à lire les chiffres de la pandémie non pas pour nous rassurer sur nos risques de contracter ce mal mais pour mesurer la misère disproportionnée qui s'abat sur les plus pauvres d'entre nous ? Si nous regardions de plus près les visages endeuillés par le coronavirus quand il est plus confortable de détourner le regard ?
Cette enfant à Détroit ? Elle s'appelait Skylar Herbert. Sa mère était officier de police et son père pompier. Elle avait cinq ans.
Cynthia Gorney apporte régulièrement sa contribution au magazine National Geographic. Elle a notamment écrit au sujet du contact humain et de la distanciation sociale dans l'édition de juillet 2020.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.