Les nomades de la mer, premiers Hommes génétiquement adaptés à la plongée

Pendant des centaines d'années, les Bajau ont vécu en mer, et la sélection naturelle a peut-être fait d'eux des plongeurs génétiquement plus adaptés.

De Sarah Gibbens
Publication 27 juil. 2021, 10:39 CEST
Dido, un jeun Bajau, pêche des poissons de récifs sur l'île de Pulau Mantabuan.
Dido, un jeun Bajau, pêche des poissons de récifs sur l'île de Pulau Mantabuan.
PHOTOGRAPHIE DE Matthieu Paley, National Geographic

Si vous retenez votre souffle et plongez votre visage dans une baignoire remplie d'eau, votre corps déclenchera automatiquement ce qu'on appelle la réponse de plongée. Votre fréquence cardiaque ralentit, vos vaisseaux sanguins se contractent. Il en va de même pour votre rate qui se contracte à son tour. Toutes ces réactions vous aident à économiser de l'énergie lorsque vous êtes à court d'oxygène.

La plupart des gens peuvent retenir leur respiration sous l'eau pendant quelques secondes, certains pendant quelques minutes. Mais le peuple Bajau ne cesse de battre des records d'apnée, certains de ses membres restant sous l'eau près de 13 minutes à environ 60 mètres de profondeur. Ces populations nomades vivent dans les eaux qui serpentent entre les Philippines, la Malaisie et l'Indonésie, où elles plongent pour pêcher ou à la recherche d'éléments naturels qui peuvent être utilisés dans l'artisanat local.

Une étude parue dans la revue Cell offre les premiers indices d'une mutation de leur ADN, notamment le développement de plus grandes rates offrant aux Bajau un avantage génétique pour survivre dans les profondeurs.

 

UNE QUESTION DE RATE

De tous les organes du corps humain, la rate n'est peut-être pas la plus glamour. Vous pouvez techniquement vivre sans elle, mais tant que vous l'avez, l'organe soutient votre système immunitaire et aide à renouveler les globules rouges.

Des travaux antérieurs ont montré que chez les phoques, mammifères marins qui passent une grande partie de leur vie sous l'eau, les rates sont disproportionnées. L'auteur de l'étude, Melissa Llardo, du Center for Geogenetics de l'Université de Copenhague, a voulu savoir si la même caractéristique pouvait être observée chez les Hommes habitués à plonger dans les profondeurs dès le plus jeune âge. Lors d'un voyage en Thaïlande, elle a entendu parler des nomades de la mer et a été impressionnée par leurs capacités légendaires.

« Je voulais d'abord rencontrer la communauté, pas seulement me présenter avec du matériel scientifique, faire des tests et repartir », dit-elle de ses premiers voyages en Indonésie. « Lors de la deuxième visite, j'ai apporté une machine à ultrasons portable et des kits d'échantillonnage. Nous avons rencontré plusieurs personnes et avons scanné leurs rates. »

« J'avais généralement un public », ajoute-t-elle. « Ils étaient surpris que j'aie entendu parler d'eux. »

Elle a également observé un groupe de personnes apparentées aux Bajau, appelées Saluan, qui vivent sur le continent indonésien. De retour à Copenhague, en comparant les deux échantillons, son équipe a constaté que la taille médiane de la rate d'une personne Bajau était 50 % plus grande que le même organe chez un individu Saluan.

Les chercheurs ont également repéré un gène appelé PDE10A, qui est censé contrôler une hormone thyroïdienne, présent chez le peuple Bajau mais pas chez le peuple Saluan. 

Pour Llardo, la sélection naturelle aurait aidé les Bajau, qui ont vécu dans la région pendant mille ans, à développer cet avantage génétique.

 

SOUS PRESSION

Tandis que la taille de la rate pourrait expliquer en partie la façon dont les Bajau peuvent à ce point retenir leur respiration, d'autres adaptations sont peut-être également en jeu, estime Richard Moon de la Duke University School of Medicine. Richard Moon étudie la façon dont le corps humain réagit à la fois à des altitudes élevées et à des profondeurs extrêmes.

Lorsqu'un Homme plonge dans les profondeurs, la pression augmente graduellement et provoque une augmentation du volume des vaisseaux sanguins dans les poumons. Dans les cas extrêmes, les vaisseaux peuvent se rompre et causer la mort. En plus des adaptations génétiquement héréditaires, une formation régulière pourrait aider à prévenir cet effet.

« La cage thoracique peut elle aussi s'adapter. Un espace supplémentaire pourrait se créer au cours de votre entraînement. Le diaphragme pourrait s'étirer. Les abdominaux pourraient eux aussi s'adapter. Nous ne savons pas vraiment si c'est le cas ici », dit-il. « La rate est capable de se contracter dans une certaine mesure, mais nous ne connaissons aucun lien direct entre la thyroïde et la rate. Cela pourrait être une explication. »

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    Cynthia Beall, anthropologue à la Case Western Reserve University, a étudié des personnes vivant à des altitudes extrêmement élevées, y compris des Tibétains qui vivent sur le « toit du monde ». Elle pense que l'étude de Melissa Llardo ouvre des perspectives de recherche intéressantes mais attend plus de preuves pour être convaincue qu'un trait génétique a permis aux Bajau de devenir de meilleurs plongeurs.

    « On pourrait par exemple prendre davantage de mesures de la rate, ou évaluer la force des contractions de la rate », dit-elle.

     

    DANS LES PROFONDEURS DE L'OCÉAN

    L'étude de ces aptitudes exceptionnelles pourraient également permettre de faire avancer la recherche médicale, comme le rappelle Llardo.

    La réponse de plongée est similaire à une condition médicale appelée hypoxie aiguë, durant laquelle un patient fait l'expérience d'une perte rapide d'oxygène. L'hypoxie aiguë est souvent synonyme de décès. L'observation du peuple Bajau pourrait permettre de mieux comprendre l'hypoxie.

    Cependant le style de vie des nomades de la mer est de plus en plus menacé. Ils sont considérés comme des groupes marginalisés qui ne jouissent pas des mêmes droits de citoyenneté que leurs homologues du continent. L'intensification de la pêche industrielle rend également plus difficile la subsistance des petits pêcheurs locaux. En conséquence de quoi beaucoup choisissent de quitter la mer.

    Sans soutien extérieur, Llardo s'inquiète que les Bajau et les savoirs qu'ils peuvent nous transmettre puissent bientôt ne plus être là.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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