L’OxyContin, l’anti-douleur qui a rendu l’Amérique accro
Comment un simple analgésique, autorisé par l’autorité de santé américaine et prescrit en France aujourd’hui encore, a-t-il pu être à l’origine de l’un des plus grands scandales sanitaires de ces dernières années ?
Mémorial aux opiacés, Maison Blanche, États-Unis.
L’OxyContin est un puissant analgésique similaire à la morphine, développé et commercialisé par le laboratoire privé Purdue Pharma, basé dans le Connecticut aux États-Unis. Bien qu’autorisé par la Food and Drug Administration (FDA), le gendarme de la santé américaine, il serait à l’origine de plus de 300 000 morts par overdose depuis les débuts de sa commercialisation sur le marché américain en 1996.
Cet opiacé censé soulager les douleurs intenses en agissant directement sur le cerveau humain est également accusé d’être le principal contributeur de la « crise des opioïdes » qui a ravagé les États-Unis, faisant plus de 450 000 morts depuis 1999.
Comment, malgré une batterie de tests effectués en amont de l’autorisation de commercialisation délivrée par la FDA, cet opiacé a pu réussir à rendre tout un pays mortellement dépendant ?
UN CRIME SANITAIRE ?
L’histoire commence en 1990. Le laboratoire Purdue Pharma cherche un successeur à son analgésique MS Contin, en perte de vitesse commerciale, soumis à la rude concurrence de médicaments génériques. Le laboratoire développe alors un médicament à partir de l’oxycodone, un opiacé semi-synthétique aux effets similaires à son MS Contin. Autorisé par la FDA en 1995 et mis sur le marché américain en 1996, l’OxyContin connaît un succès retentissant ; il génère bientôt plus de 35 milliards de dollars de revenus.
Mais ce succès commercial de l’OxyContin devrait en réalité son succès à des techniques de vente douteuses et un marketing trompeur et à une campagne de recrutement controversée auprès des médecins généralistes.
Dès le début, Purdue Pharma assume un discours très nuancé des effets de son médicament. Le laboratoire affirme publiquement que les effets de l’OxyContin dureraient 12 heures, accompagnant implacablement l’argument d’un risque de dépendance et d’addiction atténué, voire quasi-inexistant, lors de la prise du médicament.
Ce discours, contraire aux résultats des tests prouvant que ces effets avaient en réalité une longévité moindre, a permis au laboratoire de rallier à sa cause de nombreux médecins généralistes, à l’époque très peu formés sur les effets de dépendance aux médicaments. En découlent de nombreux cas de surdosage à l’origine de la dépendance de nombreuses personnes aux opiacés.
L’autorisation de commercialisation délivrée par la FDA en 1995 aura également mauvaise presse quelques années plus tard puisque le Dr. Curtis Wright, à l’origine de cette autorisation, a intégré la direction de Purdue Pharma en 1998.
Ces facteurs combinés mènent à la naissance d’un véritable marché noir devenu incontrôlable, ignorés par le laboratoire. Pilules volées en pharmacie, ordonnances vendues par des médecins généralistes, médicament écrasé pour amplifier ses effets euphorisants, la crise des opioïdes est lancée et s’installe durablement au sein de la société américaine.
Les personnes que j’ai rencontrées pouvaient me dire combien de vies elles avaient sauvées grâce au Narcan. Elles m’ont dit que je verrais quelqu’un faire une overdose. Ce fut le cas. Je suis tombé sur cette femme évanouie, inconsciente et dont le teint devenait bleu. Un agent de sécurité a composé le numéro d'urgence et le personnel médical l’a ranimée.
Pour le laboratoire, ce n’est pas le produit ni la dose qui feraient le poison, mais bien le consommateur. J. David Haddox, directeur adjoint de la politique sanitaire du laboratoire à l'époque, déclare même : « Si je vous donne une branche de céleri et que vous la mangez, c’est bon pour votre santé. Mais si vous décidez de la passer au blender et de vous l’injecter dans les veines, ça ne sera pas le cas… »
Visé par plus de 2 000 plaintes, le laboratoire dépose le bilan en 2007. Il propose également un dédommagement aux plaignants équivalent à 12 milliards de dollars, en échange de l’abandon de toutes les poursuites contre lui. Mais près de 25 États, dont New York, ont refusé la proposition, jugeant l’offre largement insuffisante.
UNE FAMILLE ISSUE DU MONDE DE L’ART
À l’origine de l’OxyContin, et indirectement de la crise des opioïdes, il y a un nom : les Sackler. Si ni le laboratoire, ni les boîtes de médicaments n’en font mention, il a une résonnance toute particulière dans l’univers culturel et artistique. Riches philanthropes, généreux donateurs et célèbres mécènes, les Sackler ont frappé de leur sceau le monde de l’art et des musées car, à défaut de le mettre en lumière sur les boîtes d’OxyContin, leur nom figure dans nombre de lieux culturels prestigieux.
Ainsi, une aile du Metropolitan Museum et du Guggenheim de New York, ainsi que du Tate Modern de Londres, portent le nom des Sackler. Un escalier au Musée Juif de Berlin a également été baptisé ainsi. En France, le musée du Louvre a vu, entre 1997 et 2019, son aile consacrée aux antiquités orientales porter également ce nom. Les Sackler comptent parmi les familles les plus riches des États-Unis, avec une fortune estimée à près de 11 milliards de dollars.
En 2013, en France, l’un des trois frères fondateurs de Purdue Pharma, Raymond Sackler, a été promu officier de la Légion d’honneur.
UN MÉDICAMENT AUTORISÉ EN FRANCE
En France, l’OxyContin peut être prescrite par certains médecins, mais sa consommation est strictement régulée et encadrée par le corps médical prescripteur.
Le médicament reste interdit pour les mineurs et les personnes intolérantes à certains sucres, fortement déconseillé pour les femmes enceintes et n’est prescrit qu’en dernier recours pour les personnes ayant déjà présenté des troubles d’usage de substance, y compris d’alcool. Son usage n’est prescrit que lorsque que les douleurs intenses et cancéreuses ne peuvent être préalablement traitées par d’autres analgésiques forts.
« Ce médicament peut entraîner une dépendance physique et psychique ». « L’OxyContin est un opioïde stupéfiant qui peut donner lieu à un usage abusif et à un usage détourné chez des personnes à risque. » Les mises en garde sont nombreuses et insistent sur l’effet de dépendance et de surdose possible chez certaines personnes. Ainsi, la question du dosage et du suivi de l’apparition de syndrome de sevrage chez le patient reste une question prioritaire pour les médecins.