Est-il possible de guérir les bouffées de chaleur ? Un traitement serait à notre portée
Presque toutes les femmes souffrent de bouffées de chaleur lorsqu'elles atteignent la ménopause, et des chercheurs ont enfin découvert leur origine. Pour la première fois depuis 1941, une nouvelle classe pharmacologique pourrait voir le jour.
Des chercheurs ont identifié un groupe de neurones situé dans l’hypothalamus (en marron) et responsable du déclenchement des bouffées de chaleur, qui peuvent durer de 30 secondes à 5 minutes et survenir plusieurs fois par jour. Les femmes manquent le travail, changent d’emploi et refusent même des offres qui pourraient faire avancer leur carrière à cause de ces symptômes, selon Stephanie Faubion, directrice du Centre pour la santé des femmes de la Mayo Clinic et directrice médicale de la Société nord-américaine de la ménopause.
La plupart des femmes qui atteignent la ménopause ne savent que trop bien ce que sont les bouffées de chaleur : des coups de chaud soudains souvent accompagnés d’une sudation, de palpitations, de vertiges, de fatigue et/ou d’un état anxieux, et qui sont bien plus débilitants que leur nom ne le laisse penser.
Jusqu’à 80 % des femmes se déclarent sujettes à ce type de bouffées pendant la ménopause, période au cours de laquelle la fluctuation puis la chute du taux d’œstrogène conduisent à la cessation permanente des cycles menstruels et mettent fin à la fertilité naturelle. Selon Naomi Rance, professeure de neuropathologie retraitée de l’École de médecine de l’Université d’Arizona et pionnière dans la recherche sur les bouffées de chaleur, ces dernières imitent la façon dont un corps en surchauffe se refroidit, sauf qu’il s’agit ici d’une « activation inopportune », car la température corporelle se trouve dans l’éventail habituel.
Ces bouffées de chaleur typiques de la ménopause, que l’on appelle également symptômes vasomoteurs, intriguent depuis longtemps les scientifiques, qui ne comprennent pas ce qui peut provoquer ce sentiment de chaleur soudain. Toutefois, il y a peu, des chercheurs ont identifié dans l’hypothalamus un groupe de neurones responsables du déclenchement de ces bouffées.
« Nous avons toujours avancé que les bouffées de chaleur se produisaient à cause d’un dysfonctionnement de l’hypothalamus, ce qui est vrai. Mais désormais, nous comprenons les détails qui font que cela se produit », explique Nanette Santoro, présidente du département d’obstétrique et de gynécologie de l’École de médecine de l’Université du Colorado et chercheuse de longue date sur la ménopause.
Un médicament bloquant les effets de ces neurones est en ce moment même en train d’être examiné par l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration, FDA) et, s’il venait à être approuvé, pourrait offrir une alternative médicale non hormonale dès 2023. À l’heure actuelle, le principal traitement disponible contre la ménopause est une thérapie hormonale qui restaure en partie les œstrogènes, mais qui comporte des dangers pour certaines femmes.
D’après Stephanie Faubion, directrice du Centre pour la santé des femmes de la Mayo Clinic et directrice médicale de la Société nord-américaine de la ménopause (NAMS), ce nouveau traitement « serait la première classe pharmacologique dédiée aux bouffées de chaleur » depuis la mise sur le marché du Premarin, un traitement à base d’œstrogènes, en 1941.
PLUS QU’UNE SIMPLE GÊNE
Les femmes qui ont des bouffées de chaleur modérées à graves les subissent pendant quatre ans en moyenne, et un tiers d’entre elles en souffrent pendant dix ans. Ces chiffres sont particulièrement élevés chez les personnes noires et amérindiennes. « Les femmes racisées ont tendance à voir les symptômes survenir plus tôt, durer plus longtemps et à avoir des bouffées de chaleur plus fréquentes, donc la charge est bien plus importante », explique Genevieve Neal-Perry, directrice du département d’obstétrique et de gynécologie à l’École de médecine de l’Université de Caroline du Nord, qui étudie le nouveau traitement. Les femmes obèses, qu’importe leur ethnie, y sont également plus vulnérables.
Après une bouffée de chaleur (la plupart durent entre 30 secondes à 5 minutes et se produisent plusieurs fois par jour), des difficultés subsistent. « Il peut y avoir un sentiment de perte d’énergie, on peut se sentir quelque peu diminuée », indique Nanette Santoro. Les bouffées de chaleur nocturnes posent particulièrement problème, car elles perturbent le sommeil.
Selon Stephanie Faubion, les femmes atteignent généralement la ménopause lors des meilleures années de leur carrière, et les symptômes constituent généralement un frein professionnel. Dans le cadre d’une enquête britannique, près des deux tiers des femmes actives âgées de 45 à 55 ans interrogées disaient que les symptômes de la ménopause avaient réduit leur capacité de concentration, et plus de la moitié d’entre elles rapportaient avoir perdu patience avec des collègues et des clients. « Les femmes ratent le travail, les femmes changent d’emploi, et les femmes refusent des opportunités professionnelles à cause de ces symptômes », déplore Stephanie Faubion.
Ces bouffées de chaleur persistantes et fréquentes peuvent aussi être un signe avant-coureur de mauvaise santé. En effet, selon certaines études, ces symptômes seraient liés à un risque accru de maladies cardiovasculaires : infarctus, AVC, insuffisance cardiaque, etc.
NEURONES ANORMAUX
La quête de Naomi Rance pour faire la lumière sur les bouffées de chaleur a commencé voilà trois décennies. À cette époque, elle s’intéressait à des microsections du cerveau de femmes pré-ménopausées et ménopausées et guettait des variations dans l’hypothalamus qui, avec l’hypophyse, favorise l’ovulation et la libération d’hormones sexuelles qui régissent la reproduction. Elle a remarqué un groupe de neurones enflés chez les femmes ménopausées. « Je n’avais aucune idée de ce dont il s’agissait, ni de la raison pour laquelle ils grossissaient », se souvient-elle.
Elle n’a pas tardé à localiser des récepteurs d’œstrogène sur les neurones, ce qui l’a conduite à émettre l’hypothèse selon laquelle l’absence de cette hormone les faisait grossir et modifiait leur activité après la ménopause. Son laboratoire a fini par identifier trois protéines de signalisation produites par ces neurones : la kisspeptine et la neurokinine B, qui jouent un rôle important dans la fertilité, puis la dynorphine. On a attribué à ces neurones le surnom « KNDy » (prononcez « candy »), jeu de mots avec leurs initiales et clin d’œil aux experts de Penn State, à Hershey, en Pennsylvanie, qui ont identifié pour la première fois la kisspeptine.
Par la suite, des recherches de Naomi Rance sur des animaux ont révélé la manière dont les neurones KNDy régulent la température. « Les neurones envoient des axones dans les régions de l’hypothalamus qui contrôlent la température corporelle », explique-t-elle. Comme ils sont « très, très sensibles aux taux d’œstrogènes », lorsque les hormones décroissent, l’activité des neurones KNDy augmente.
D’autres chercheurs travaillant avec des rongeurs ont également établi un lien entre ces neurones et les bouffées de chaleur. Leur premier défi : savoir déterminer quand une souris a une bouffée de chaleur. En effet, comme le rappelle Genevieve Neal-Perry, on ne pas vraiment le leur demander.
Pour surmonter ce problème, le laboratoire de Genevieve Neal-Perry a mis au point une surface spéciale, une thermocline, froide d’un côté et chaude de l’autre. Les souris placées du côté chaud à qui l’on avait injecté un placebo salin y restaient. Mais celles à qui l’on administrait de la capsaïcine, un composé présent dans les piments et connu pour provoquer des bouffées de chaleur chez les humains et les animaux, se précipitaient du côté froid pour se soulager. Enfin, on administrait à un troisième groupe de souris un médicament qui activait les récepteurs de neurokinine sur les neurones KNDy. De même qu’avec la capsaïcine, avec ce médicament, la souris se précipitait du côté plus froid, suggérant qu’il avait déclenché une bouffée de chaleur.
Des études réalisées par la suite ont confirmé l’importance de la neurokinine dans l’apparition de bouffées de chaleur chez les femmes. « Dans les dix dernières années, nous avons enfin été en mesure d’assembler les pièces du puzzle », se réjouit Genevieve Neal-Perry.
« Nous ne devrions pas voir les bouffées de chaleur comme des énigmes », comme cela a longtemps été le cas, selon Naomi Rance. « Nous devrions réfléchir à la façon dont les œstrogènes affectent les circuits cérébraux qui influencent les chemins thermorégulateurs. »
BLOQUER LE PEPTIDE POUR BLOQUER LA BOUFFÉE
Ces dernières années, des entreprises ont commencé à tester des médicaments qui bloquent les récepteurs des neurones KNDy afin de réduire les bouffées de chaleur. À l’inverse du traitement hormonal de la ménopause (THM) qui implique la prise d’œstrogène, et qui est la norme actuelle, « il s’agit d’une balle très bien tirée en plein dans le problème », explique Nanette Santoro qui a en partie mené ces recherches.
Un essai clinique restreint de phase 2 a montré que pour les femmes subissant sept bouffées de chaleur par jour ou plus, la prise quotidienne d’un médicament par voie orale (le fezolinetant, qui bloque le récepteur de neurokinine) réduisait de 45 % le nombre de bouffées de chaleur hebdomadaires.
En octobre, à la NAMS, Genevieve Neal-Perry a présenté les résultats préliminaires de la phase 3 de l’essai (qui n’ont pas encore été publiés dans une revue médicale) et de ses recherches sur le fezolinetant auxquelles ont participé plus de 1 000 femmes. Selon elle, les femmes qui prenaient leur comprimé quotidien avaient deux à quatre bouffées de chaleur en moins par jour que celles ayant reçu un placebo. De plus, des améliorations se sont fait voir immédiatement et se sont maintenues tout au long de l’année qu’a duré l’expérience sur ces femmes. Selon elle, le traitement s’est avéré tout aussi efficace chez les femmes racisées, dont les bouffées de chaleur sibt plus virulentes et donc plus difficiles à traiter.
Un autre médicament bloquant l’activité des KNDy, l’elinzanetant, est également en train d’être étudié ; des essais cliniques de phase 3 sont en cours.
Un essai clinique pour un troisième candidat, le pavinetant, a été interrompu après qu’il a causé des problèmes hépatiques. Selon Genevieve Neal-Perry, aucun des deux autres médicaments n’a suscité de préoccupations similaires. D’après les résultats présentés à la NAMS, dans le cadre des recherches sur le fezolinetant, la plainte la plus fréquente concernait des céphalées transitoires.
L’autorisation de mise sur le marché d’un adversaire chimique aux KNDy par la FDA serait particulièrement bénéfique pour les femmes en période de ménopause ne pouvant se voir prescrire sans danger un traitement hormonal, ou qui ne sont pas à l’aise à l’idée d’en suivre un. D’après les conseils de la NAMS, les traitements oraux ou transdermiques à base d’œstrogènes sont sûrs pour la plupart des femmes de moins de 60 ans qui ont eu leurs dernières menstruations au cours des dix dernières années. Cela ne vaut cependant pas pour les femmes plus âgées ou pour celles qui ont eu un cancer du sein, une maladie cardiaque, un AVC ou qui présentent un risque personnel ou familial de caillots sanguins.
Selon Genevieve Neal-Perry, parmi les futurs bénéficiaires du traitement pourraient également figurer des hommes prenant des médicaments contre le cancer de la prostate et des femmes prenant du tamoxifen, un médicament que l’on prend en rémission de cancer, et pour qui les bouffées de chaleur sont un effet secondaire fréquent. En outre, d’après Naomi Rance, comme les neurones KNDy jouent un rôle dans la régulation de l’ovulation, ils ouvriront peut-être la voie à de nouveaux traitements contre l’infertilité. Des études avant-gardistes réalisées sur des animaux révèlent le rôle des neurones dans le syndrome de Stein-Leventhal, une maladie hormonale qui peut entraîner cette affection.
Les personnes chargées de traiter les femmes pour des bouffées de chaleur ne cachent pas leur enthousiasme à l’idée qu’un nouveau traitement puisse voir le jour. « Il est toujours bon d’avoir plusieurs cordes à son arc », commente Nanette Santoro.
De plus, les spécialistes de la santé des femmes sont ravis que la confusion scientifique qui entourait les bouffées de chaleur ait enfin été dissipée. Selon Genevieve Neal-Perry, compte tenu du fait que toutes les femmes qui atteignent la quarantaine ou la cinquantaine souffrent de bouffées de chaleur, « le fait qu’il ait fallu attendre la décennie passée pour comprendre la biologie des bouffées de chaleur est assez extraordinaire ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.