Les lactariums sont-ils la solution pour éviter de nouvelles pénurie de lait en poudre ?
Le Brésil est doté du plus important programme de don de lait maternel du monde. Selon certains spécialistes, ce programme est riche en enseignements et pourrait permettre de venir en aide à des femmes et à des nourrissons d’autres pays.
Un bébé prématuré reçoit du lait maternel conservé à la Banque de lait humain de l’Instituto Fernandes Figueira, un hôpital de Rio de Janeiro. De l’avis général, le Brésil est l’exemple à suivre en ce qui concerne les banques de lait, et ce grâce à un programme lancé dans les années 1980 qui alliait promotion de l’allaitement, formation à cette pratique et don de lait. Le pays est aujourd’hui à la tête de 228 des 750 lactariums qui existent de par le monde.
RIO DE JANEIRO – Le mois dernier, cinq jours après avoir accouché prématurément de son bébé dans un hôpital municipal, Talita Alves Araújo Lourenço était assise dans un fauteuil pendant qu’une infirmière l’aidait à tirer du lait dans un bocal en verre.
Talita, qui a 20 ans, a donné naissance à 32 semaines de grossesse ; elle savait que l’accouchement prématuré était probable, car on lui avait diagnostiqué une pré-éclampsie. Au début, son bébé ne pouvait boire son lait que par l’intermédiaire d’un tube, mais après que ce dernier a acquis la force et la coordination suffisantes pour têter, il s’est avéré que Talita produisait trop de lait. L’infirmière l’aidait donc à désemplir sa poitrine afin que celle-ci génère moins d’inconfort et afin de faire don du lait excédentaire.
« Savoir que mon lait est susceptible de sauver quelqu’un est très important pour moi », confie Talita.
Une jeune mère tient son bébé à l’Instituto Fernandes Figueira, un hôpital de Rio de Janeiro. Le garçon, qui est né en sous-poids, est nourri à la fois par le lait de sa mère et par d’autres laits maternels issus de la Banque de lait humain de l’hôpital.
La pénurie de lait en poudre qui a débuté en février 2022 a affecté des familles de nourrissons qui ne parvenaient plus à s’approvisionner en magasin, mais celle-ci a également eu pour effet de renouveler l’intérêt pour le don de lait maternel auprès de banques de lait (ou lactariums) qui fournissent ensuite des hôpitaux accueillant des nouveau-nés vulnérables.
De l’avis général, le Brésil est l’exemple à suivre en ce qui concerne les lactariums, et ce grâce à un programme lancé dans les années 1980 qui alliait promotion de l’allaitement, formation à cette pratique et don de lait. Le pays gère aujourd’hui 228 des 750 banques de lait humain qui existent de par le monde. Par comparaison, les États-Unis en possèdent vingt-huit qui sont membres de l’Association nord-américaine des banques de lait humain (HMBANA).
En janvier 2022, la France était confrontée à une pénurie de lait maternel. L’association des lactariums de France (ADLF) et l’association SOS Prémas avaient lancé un appel au don aux mères allaitantes, pour reconstituer des réserves à la hauteur de la demande.
Une infirmière aide une femme à tirer du lait dans un récipient pour qu’il soit ingéré plus tard à la Banque de lait humain de l’Institut Fernandes-Figueira par des bébés ayant besoin d’être nourris. Le programme de banques de lait brésilien est reconnu internationalement.
INITIER L’ALLAITEMENT
Il allait falloir attendre encore quelques jours que le fils de Talita forcisse assez pour pouvoir sortir de l’Hospital Municipal Lourenço Jorge - Maternidade Leila Diniz. Pendant ce temps, Talita faisait des allers-retours entre l’hôpital et son domicile, à trente minutes de là, pour pouvoir passer du temps avec sa fille en plus d’allaiter. L’hôpital est doté d’une salle dédiée à la méthode kangourou où l’on apprend aux mères à nouer des liens en tenant le bébé à la verticale à même la poitrine et à commencer à allaiter. Les mères ont à disposition un lit, des repas et de quoi laver leur linge. L’hôpital réserve un nombre restreint de places aux séjours d’une nuit.
De plus en plus, des hôpitaux du monde entier militent pour que l’allaitement commence presque aussitôt après la naissance d’un bébé, mais cela est bien plus difficile pour ceux qui souffrent de problèmes de santé. Nombreux sont ceux qui accusent un retard d’allaitement et les mères ne sont pas formées à maintenir leur production en attendant, ce qui peut poser des problèmes dans les pays où la qualité de l’eau rend le nettoyage des bouteilles risqué et où le lait en poudre est trop cher pour beaucoup de personnes.
Des pots de café recyclés contiennent du lait maternel congelé et pasteurisé collecté auprès de donneuses afin de nourrir des nouveau-nés vulnérables. Le programme brésilien de banques de lait a été initié dans les années 1980 et sert désormais de modèle à de nombreux autres pays.
Dans la salle kangourou, nombreuses sont les mères qui ont plus de lait qu’il n’en faut pour leur bébé et qui se voient proposer d’en donner. Même lorsqu’elles quittent l’hôpital, le processus de don de lait maternel reste simple, car les lactariums des hôpitaux envoient des professionnels au domicile des donneuses pour y déposer des bocaux en verre et les récupérer quand elles ont terminé. Le lait est ensuite pasteurisé, dépisté et étiqueté selon sa valeur calorique et son acidité notamment.
Selon les besoins, le lait maternel d’une mère célibataire est attribué à un bébé dont le personnel hospitalier considère qu’il est le meilleur candidat pour le recevoir. Par exemple, s’il y a un bébé qui doit prendre du poids, on est susceptible de lui attribuer un lait plus riche en calories, tandis qu’un bébé avec des carences en calcium dans le sang pourrait bénéficier d’un lait à l’acidité faible.
« La principale différence de ce modèle par rapport aux autres pays est le soutien du gouvernement et le fait que l’aide à l’allaitement aille de pair avec la création de lactariums », explique Danielle Aparecida da Silva, directrice technique du Réseau national brésilien des banques de lait humain.
Une professionnelle de santé place un bocal en verre rempli de lait maternel dans une glacière pour le transporter à l’Institut Fernandes-Figueira de Rio de Janeiro. La pénurie de lait en poudre qui a débuté en février 2022 a affecté des familles de nourrissons qui ne parvenaient plus à s’approvisionner en magasin, mais elle a également eu pour effet de renouveler l’intérêt pour le don de lait maternel auprès de banques de lait qui fournissent ensuite des hôpitaux accueillant des nouveau-nés vulnérables.
COMMENT LE BRÉSIL A LANCÉ SON PROGRAMME DE LACTARIUMS
À la fin des années 1970, le Brésil avait un système semblable à celui des États-Unis dans lequel l’aide à l’allaitement à l’hôpital était indépendante du travail de collecte du lait. À cette époque, João Aprígio Guerre de Almeida était un jeune chercheur en biologie médicale et s’intéressait à des méthodes de collecte et de conservation du lait maternel. Il s’est aperçu que les procédés mis en place par les trois lactariums du pays posaient de graves problèmes de contrôle qualité.
La mode était à l’allaitement et João Aprígio Guerre de Almeida n’a pas tardé à se retrouver en charge du programme brésilien de développement des lactariums. En 1986, il a établi un nouveau modèle. Tout d’abord, il était important que le lait provienne uniquement de dons pour que les femmes ayant du lait ne soient pas incitées à négliger leur propre bébé. Afin que les réserves restent stables, il était logique de combiner la promotion de l’allaitement et la collecte du lait maternel.
En outre, João Aprígio Guerre de Almeida a découvert que ce qui coûtait le plus dans la gestion d’un lactarium était l’acquisition de produits en verre de classe médicale permettant de conserver le lait (environ 85 % du budget). Il a donc préféré opter pour des récipients alimentaires reconditionnés tels que des pots de mayonnaise ou de café qui étaient tout aussi sûrs et pouvaient être récupérés. Au lieu de machines de pasteurisation étrangères, il s’est également mis à employer des équipements de laboratoire produits localement permettant de tester la nourriture. Ces derniers étaient moins coûteux et pouvaient effectuer les mêmes opérations afin de déterminer la valeur nutritionnelle du lait.
Au fil du temps, de plus en plus de lactariums ayant recours à ce nouveau système ont ouvert et bénéficiaient de publicités à la radio et à la télévision. Ces centres, situés dans des hôpitaux, sont devenus des endroits où l’on pouvait stocker son lait après l’avoir tiré pour s’en servir plus tard ; avant que les entreprises commencent à avoir leurs propres lactariums. Il y avait également des centres de collecte où l’on pouvait déposer son lait maternel.
Dans certaines villes, l’État n’avait pas assez de voitures pour se rendre au domicile de toutes les donneuses, donc les lactariums travaillaient avec les pompiers qui avaient appris à stocker le lait en toute sécurité. Les facteurs ont également été mobilisés pour la promotion de l’allaitement. Ils savaient quelles femmes, au cours de leur tournée, étaient enceintes et étaient susceptibles d’avoir besoin d’informations sur l’allaitement.
Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), entre 1990 et 2015, le Brésil a réduit son taux de mortalité infantile chez les enfants de moins de 5 ans de 73 %, notamment grâce à ce programme, mais aussi grâce à d’autres efforts visant à accroître la couverture vaccinale et l’aide financière apportées aux familles à faibles revenus. Selon Fiocruz, première fondation de recherche en biologie du pays, si le réseau de lactariums du Brésil est renommé, il n’est toutefois en mesure de subvenir aux besoins que d’environ 60 % des bébés prématurés et en sous-poids à la naissance.
« S’il existait une boussole éthique pour les banques de lait, la flèche indiquerait le Brésil », affirme Summer Kelly, tout juste désignée présidente de la HMBANA. « L’effort sans relâche des lactariums brésiliens en faveur du soutien aux mères qui allaitent et en faveur de leur protection inspire et stimule d’autres lactariums dans le monde. »
SERVIR DE MODÈLE À D’AUTRES PAYS
En obtenant une reconnaissance internationale, les lactariums brésiliens ont incité d’autres pays à travailler avec le Brésil pour mettre en œuvre des programmes similaires. De nos jours, la plupart des pays d’Amérique du Sud ainsi que Cuba, la République Dominicaine, le Cap-Vert, le Mozambique et l’Angola ont créé des lactariums en s’inspirant de ce modèle.
PATH, une organisation de santé internationale, a également collaboré avec des pays comme l’Inde, l’Afrique du Sud, le Vietnam et le Kenya pour mettre en œuvre des programmes d’allaitement dérivés du modèle brésilien. Au Kenya, par exemple, le premier lactarium d’Afrique de l’Est a été fondé sur un modèle exhaustif ; il permet d’allaiter et est une adaptation de l’approche brésilienne au contexte local.
« Quand nous travaillons dans un pays, c’est surtout sur la base de ce modèle que nous œuvrons avec les gouvernements pour implanter [un lactarium] », explique Kiersten Israel-Ballard, cheffe d’équipe du programme « Nouveau-nés, Santé Infantile et Nutrition » mis en place par la PATH. « Si vous donnez la priorité au lait de la donneuse mais que vous n’aidez pas la mère, ce n’est pas viable. La priorité c’est qu’on leur fournisse de l’aide pour allaiter et que cela devienne une solution à long terme. »
Pour Ana Clara Benevenuto Mattos de Andrade, le don de lait est en quelque sorte devenu une tradition familiale. Il y a plus de vingt ans, son frère a été hospitalisé alors qu’il n’était encore qu’un nouveau-né, et leur mère a fait don de lait dans un lactarium tout en recevant de l’aide pour apprendre à le nourrir. Quand Ana Clara Benevenuto Mattos de Andrade s’est trouvée avec un excédent de lait après la naissance de son propre enfant, elle a décidé d’en faire don également. Cela fait quatre mois qu’elle envoie chaque semaine des bouteilles de lait au lactarium du Núcleo Perinatal de l’Hospital Universitário Pedro-Ernesto de Rio de Janeiro.
« Malheureusement, quand les bébés sont hospitalisés, il y a des mères qui n’ont pas les moyens de se rendre à l’hôpital tous les jours pour les nourrir ; c’est la réalité de nombreuses familles au Brésil, déplore-t-elle. Je ressens le besoin de venir en aider à ces mères et à ces bébés. »
Ce reportage a été en partie financé par le Fonds Howard G. Buffet pour les femmes journalistes de l’International Women’s Media Foundation.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.