Tout ce qu’il faut savoir sur la congélation de vos ovocytes
La congélation d’ovocytes gagne en popularité, notamment parce que les femmes ont tendance à repousser l’âge auquel elles ont des enfants. Quel est l’âge idéal pour le faire et que cela implique-t-il ? Parole aux spécialistes.
Salle d’examen chez Extend Fertility, première clinique new yorkaise dédiée à la fertilité à se spécialiser uniquement dans la congélation d’ovocytes.
La congélation d’ovocytes existe depuis les années 1980. Mais jusqu’en 2012 aux États-Unis, on a considéré qu’il s’agissait d’une procédure controversée et expérimentale. Cette année-là, la Société américaine de médecine de la reproduction l’a approuvée pour les femmes sur le point de se voir administrer des traitements toxiques contre les cancers susceptibles de réduire leur fertilité à néant. Ce n’est que deux ans plus tard, après la publication de recherches rassurantes sur la bénignité et l’efficacité de la pratique, que l’ASRM a donné son aval pour un déploiement plus général de la congélation d’ovocytes.
En France, il aura fallu attendre la loi bioéthique publiée le 3 août 2021 pour obtenir l’aval de la congélation des gamètes pour tous et toutes. « Le prélèvement d'ovocytes peut être réalisé chez la femme entre son 29e et son 37e anniversaire. […] Les femmes et les hommes pourront faire congeler leurs gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes) sans motif médical. Jusqu'à présent, une femme ne pouvait avoir recours à la congélation de ses propres ovocytes, sauf nécessité médicale » indique Service-Public.fr.
Depuis lors, c’est devenu une option de plus en plus populaire auprès des femmes qui repoussent le moment où elles vont avoir des enfants pour des raisons personnelles.
Ariel, 29 ans, chez elle à Harlem. Ariel n’avait pas les moyens de faire congeler ses ovocytes mais elle en a donné trois fois au cours des deux dernières années. L’idée qu’elle vient en aide à d’autres femmes la conforte. « L’idée d’avoir une partie de moi qui continue, la simple idée d’avoir un enfant, même s’il est élevé par une autre famille, c’est plutôt sympa. »
Selon une étude publiée dans la revue Fertility and Sterility, de 2019 à 2021, on a constaté une augmentation de 39 % des congélations d’ovocytes à des fins non médicales aux États-Unis. Selon une étude de 2022 parue dans la même revue, la pratique s’est encore davantage démocratisée durant la pandémie, lors de laquelle de nombreuses femmes de 21 à 45 ans se sont ouvertes à l’idée de congeler des ovocytes pour elles-mêmes.
Depuis peu, le sujet de la congélation d’ovocytes s’est fait une place dans le débat public, notamment par l’intermédiaire de célébrités qui ont documenté leur parcours de congélation d’ovocytes. Grâce à ce procédé, les femmes peuvent « figer leurs ovocytes à l’âge qu’ils ont et préserver la fertilité qui est la leur à cette période jusqu’à ce qu’elles veuillent s’en servir », explique Sandra Ann Carson, endocrinologue de la reproduction et gynécologue-obstétricienne de l’Université Yale. Autrement dit, le procédé suspend la fertilité d’une femme dans le temps et prévient le déclin en quantité et en qualité des ovocytes qui se produit naturellement avec le vieillissement.
Aline, 40 ans, chez elle dans le New Jersey. Elle a fait congeler ses ovocytes après une rupture de fiançailles. « Nous avons rompu en juillet et j’ai emménagé dans mon appartement au mois de septembre et je me suis dit qu’il fallait que je le fasse […] Je crois que ça m’a fait avancer pendant un temps. Je me disais que cela prenait le dessus sur le chagrin […] Et même si je savais que cela pourrait ne pas fonctionner, car les chances sont faibles, c’est un plan juste pour moi sur lequel je peux compter. » Aline a encore bon espoir de rencontrer un partenaire avec lequel elle pourra avoir des enfants. « Je suis une immigrée ici, avec aucun réseau de soutien, ce n’est pas une bonne idée d’avoir un enfant seule. Et ça coûte trop cher. »
Andy, 33 ans, pose à côté d’une photographie de sa grand-mère et de son arrière-grand-mère, chez elle à Manhattan. Chaque fois qu’elles discutaient, sa grand-mère lui demandait quand elle allait avoir un enfant. Andy était angoissée à l’idée de vieillir et de ne plus être fertile, mais son petit ami ne l’était pas. En entendant parler des difficultés rencontrées par d’autres femmes pour tomber enceinte, elle s’est décidée à faire congeler ses ovocytes. « Je me suis rendu compte que la pression due aux conversations sur le sujet de la fertilité était un vrai fardeau pour notre relation. J’ai pris une décision : le temps était venu de congeler des ovocytes. »
À l’heure actuelle, deux motivations principales poussent les femmes à congeler leurs ovocytes. La première a trait à des raisons d’ordre médical : la chimiothérapie ou les radiations peuvent endommager les ovocytes, certaines femmes subissent une ablation des ovaires, etc. La seconde motivation est de repousser le moment auquel elles vont avoir des enfants tout en préservant leurs chances d’en avoir en se servant de leurs propres ovocytes à un moment ultérieur.
Après tout, la fertilité d’une femme, que l’on définit comme l’aptitude à tomber enceinte, n’est jamais si élevée qu’entre la fin de l’adolescence et la fin de la vingtaine, selon l’Association américaine des gynécologues-obstétriciens (ACOG). Dès l’âge de 30 ans, la fertilité d’une femme commence à décliner, et après 35 ans ce déclin s’accélère. Pour cette raison, certains spécialistes avancent que la période idéale pour commencer à congeler ses ovocytes se situe avant l’âge de 35 ans.
QUELLES SONT LES IMPLICATIONS DE CE PROCESSUS ?
Quand une femme décide de faire congeler ses ovocytes, les premières étapes à effectuer sont une échographie vaginale, afin d’évaluer sa réserve ovarienne, et de mesurer ses taux d’hormones.
Les ovocytes sont stockés dans les ovaires et ne sont libérés qu’à condition de recevoir une stimulation hormonale suffisante. Le médecin réalise donc un prélèvement sanguin et cherche à y dépister trois hormones clés : l’hormone folliculo-stimulante (FSH), qui déclenche la croissance des follicules ovariens avant l’ovulation ; l’œstradiol, qui est principalement produit par les ovaires et reflète leur activité ainsi que la qualité des ovocytes ; et l’hormone de régression müllerienne (HRM), qui est corrélée au nombre d’ovocytes que possède une femme. En connaissant le taux auquel sont présentes ces hormones, le médecin peut calculer le potentiel de fertilité d’une femme et déterminer le dosage adéquat du traitement de stimulation ovarienne qu’elle devra suivre.
Ensuite, à partir du deuxième jour de ses menstruations, la femme s’auto-administre des injections d’hormones à domicile pendant dix à douze jours afin de faire mûrir un groupe d’ovocytes dans les ovaires. Durant cette période, la femme devra passer une échographie pelvienne ainsi qu’effectuer des prises de sang tous les deux ou trois jours afin de surveiller la réaction de son corps aux hormones. En général, au bout de huit à quatorze jours, elle s’administre une injection dite « déclencheuse » contenant de la gonadotrophine chorionique humaine ou bien du Lupron (un médicament) pour aider les ovocytes à parachever leur processus de maturation. Environ 36 heures plus tard, la femme subit une intervention chirurgicale sous anesthésie au cours de laquelle une aiguille guidée par ultrasons est insérée dans le vagin et jusqu’aux ovaires afin d’aspirer les ovocytes ; idéalement dix ou plus. Afin de préparer les ovules à la congélation, le cumulus molletonneux de cellules qui les entoure est retiré. Ensuite, les ovules sont vitrifiés et conservés à une température de -196° C.
Des instruments médicaux (un spéculum et un appareil pour guider l’aiguille de prélèvement) disposés en vue d’une procédure de congélation des ovocytes.
Ce n’est toutefois pas une entreprise sans difficultés. Tout au long de ce processus d’un mois, une femme peut ressentir de la fatigue ou être ballonnée et/ou avoir des maux de têtes ou des sautes d’humeur, en particulier pendant deux semaines après le prélèvement des ovocytes, précise Sarah Cascante, endocrinologue de la reproduction au Centre de fertilité Langone de l’Université de New York et enseignante-chercheuse spécialiste de l’infertilité.
UNE SOLUTION ONÉREUSE SELON LES PAYS
En France, la stimulation ovarienne, les dosages hormonaux, les échographies, le prélèvement des ovocytes, l'anesthésie et l'hospitalisation ? puis la congélation des ovocytes prélevés est estimée entre 2 000 et 3 000 euros. Des frais peuvent s’ajouter ou varier selon le dossier de la personne.
« Les actes liés au recueil ou au prélèvement des gamètes sont remboursés mais pas le coût de la conservation. Pour éviter toute pression sur les femmes salariées, pour les conduire à différer un projet de maternité, les parlementaires ont prévu l'interdiction pour les employeurs de proposer la prise en charge des frais d'autoconservation de gamètes » selon le Dr Françoise Merlet, médecin à l'Agence de la biomédecine, interrogée par le Journal des Femmes.
La congélation d’ovocytes aux États-Unis est nettement plus onéreuse. « Selon l’endroit où vous vous trouvez dans le pays, cela peut varier de 5 000 à 17 000 dollars », déplore Joseph Hill, endocrinologue de la reproduction et spécialiste de la fertilité aux Centres de la fertilité de Nouvelle-Angleterre qui possèdent des établissements dans le Massachussetts, dans le New Hampshire et dans le Maine.
Pour de nombreuses personnes, ces frais ne seront pas pris en charge. Mais certaines polices d’assurance américaines couvrent désormais la congélation d’ovocytes dans le cadre des services liés à la fertilité qu’elles proposent, rappelle Kristin Bendikson, endocrinologue de la reproduction à Los Angeles et vice-présidente du développement clinique chez Kindbody, un réseau national de cliniques spécialisées dans la fertilité. « Et c’est un avantage que de nombreuses jeunes femmes aimeraient se voir octroyer par leur employeur. » (Ndlr : Aux États-Unis, l’assurance santé des employés d’entreprises de plus de cinquante salariés peut être prise en charge par l’employeur.)
En outre, il existe désormais des programmes communs de congélation des ovocytes qui viennent financièrement en aide aux femmes lorsqu’elles donnent une partie de leurs ovocytes à d’autres femmes qui ne peuvent utiliser les leurs.
Lorsqu’une femme finit par décider d’utiliser ses ovocytes, ceux-ci doivent être décongelés et fécondés avec du sperme dans une boîte de Pétri ; il s’agit d’une fécondation in vitro (FIV). Trois à cinq jours après la fécondation, l’embryon est transféré dans l’utérus de la femme. Sarah Cascante fait observer que si une femme fait congeler ses ovocytes à l’âge de 34 ans, ses chances de tomber enceinte seront comparables au taux de réussite par FIV qu’elle aurait eu à l’âge de 34 ans, qu’importe qu’elle ait vieilli.
Mais parfois, certaines femmes ne viennent pas récupérer leurs ovocytes congelés, un phénomène que les spécialistes du domaine quantifient par un « taux de non-utilisation ». Un article de synthèse publié en 2022 dans la revue Reproductive Biology and Endocrinology a mis en évidence le fait que seules 40 % des personnes faisant congeler leurs ovocytes pour des raisons non médicales et moins de 10 % de celles le faisant pour des raisons médicales se servaient de leurs ovocytes congelés. « Beaucoup de femmes qui font congeler leurs ovocytes ne reviennent jamais les utiliser, que ce soit parce qu’elles tombent enceinte naturellement ou bien parce qu’elles décident de ne pas avoir d’enfant », explique Sarah Cascante.
IDÉES FAUSSES SUR LA CONGÉLATION D’OVOCYTES
Comme c’est souvent le cas avec tout ce qui a trait à la fertilité, il n’est pas rare que l’on entretienne des idées fausses au sujet de la congélation d’ovocytes.
Certaines femmes ne se rendent par exemple pas compte que « la congélation d’ovocytes ne garantit pas que vous allez avoir un bébé, mais que cela garantit le potentiel pour avoir un bébé », fait remarquer Joseph Hill. Elles peuvent ne pas avoir pris conscience du nombre d’étapes que cela implique. Fort heureusement, grâce à la dernière méthode de congélation en date, la vitrification, qui est une technique de refroidissement ultra-rapide qui empêche la formation de cristaux de glace néfastes, les ovocytes ont un taux de survie plus élevé que les autres méthodes, fait observer Joseph Hill.
Une aiguille de prélèvement dans les locaux d’Extend Facility, à New York. Cette aiguille fait 35 centimètres de long. Elle traverse la paroi vaginale et va jusqu’aux ovaires où elle recueille du fluide folliculaire et des ovocytes dans chacun des follicules, un par un. Le prélèvement est une intervention chirurgicale réalisée sous anesthésie.
Quand vient le moment de les utiliser, les ovocytes doivent être décongelés, puis fécondés ; après cela, ils doivent se diviser et former un blastocyste volumineux (un amas de cellules qui se divisent rapidement) prêt à être transféré dans l’utérus, explique Joseph Hill. Des complications peuvent survenir à n’importe quelle étape, raison pour laquelle les experts préconisent aux femmes de congeler plusieurs ovocytes chaque fois qu’elle effectuent ce processus. Ainsi, le choix sera plus étendu. « Il y a de l’usure à chaque étape », rappelle Amanda Adeleye, endocrinologue de la reproduction et gynécologue-obstétricienne à l’Université de Chicago. « Pour chaque naissance, il faut [congeler] quinze à vingt ovocytes. »
Autre incompréhension fréquente : certaines femmes craignent que le processus de congélation d’ovocytes ait un effet nocif sur leur fertilité à long terme. Mais foi de spécialiste, cela n’est pas vrai. « [La congélation des ovocytes] ne peut pas entraîner de réduction du nombre d’ovocytes, car nous ne faisons que secourir ceux qui allaient de toute façon disparaître ce mois-là », explique Amanda Adeleye. Cela est tout à fait normal et est dû à une mort cellulaire programmée biologiquement qui fait partie intégrante de la fonction ovarienne humaine.
On considère que l’âge optimal pour faire congeler ses ovocytes se situe avant 35 ans, car c’est en général avant cette période que les ovocytes d’une femme ont la meilleure santé et que les ovaires répondent le plus à la stimulation. Il n’y a toutefois pas d’âge qui soit unanimement considéré comme trop élevé pour congeler ses ovocytes. « C’est une décision au cas par cas qui dépend de la réserve ovarienne de la personne, indique Amanda Adeleye. « Les bénéfices diminuent au début de la quarantaine, car la proportion d’ovocytes normaux d’un point de vue chromosomique est moindre. »
Kelly, 33 ans, pose à son domicile de Long Island, dans l’État de New York, devant les aiguilles et les hormones qu’elle s’est injectées lors de ses deux cycles de congélation d’ovocytes. Kelly est enseignante et a pu avoir recours à cette procédure grâce à son assurance. Si cela n’avait pas été le cas, elle aurait cherché à obtenir un prêt « fertilité ». « Le plan A est de rencontrer un homme bien et de ne pas se servir des ovocytes. Le plan B est de rencontrer un homme bien et de se servir des ovocytes. Le plan C est de me débrouiller toute seule. »
Selon Kristin Bendikson, lorsqu’elles décident de congeler leurs ovocytes, il est important que les femmes réfléchissent au nombre d’enfants qu’elles veulent avoir et au moment où elles veulent commencer à essayer de tomber enceinte. « Si vous en voulez plus d’un, il est préférable de congeler à l’âge de 30 ans ». Mais même si vous n’en voulez qu’un, ajoute-t-elle, « impossible de déterminer le moment optimal pour le faire. »
Cependant, des recherches suggèrent que les femmes qui font congeler leurs ovocytes avant l’âge de 34 ans ont le plus de chances de donner naissance à un bébé (plus de 74 % de chances). En revanche, plus une femme est âgée quand elle fait congeler ses ovocytes, plus les chances sont faibles.
Une étude réalisée par Sarah Cascante et ses collègues et publiée en 2022 dans la revue Fertility and Sterility montre que la fécondité des femmes ayant choisi de congeler des ovocytes à des fins non médicales pour s’en servir plus tard était de 39 % ; chez les femmes ayant fait congeler leurs ovocytes avant l’âge de 38 ans, la fécondité était supérieure à 50 %.
« La congélation des ovocytes donne aux femmes l’option de repousser le moment de la grossesse tout en préservant leur fertilité, conclue Sarah Cascante. Cela vous permet essentiellement de devenir plus tard votre propre donneur d’ovocytes. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.