ASMR : quels sont les bienfaits réellement prouvés par la science ?
Les réactions euphoriques mais reposantes face à des images apaisantes et à des sons texturés excentriques ont engendré un phénomène de bien-être sur le web. Mais qu'est-ce que l'ASMR et pourquoi seulement quelques personnes le ressentent ?
De plus en plus de personnes ont recours à la méditation et à la stimulation sensorielle pour lutter contre les facteurs de stress modernes. Comment expliquer les effets de bien-être ressentis ?
Lorsque je regarde une vidéo d'ASMR, acronyme anglophone de réponse autonome des méridiens sensoriels, bien que je ne sois que spectatrice, un sentiment d’apaisement se répand de ma tête à mes épaules et je commence à ressentir un profond sentiment de bien-être.
J'ai éprouvé ce même sentiment lorsque l'on me tressait les cheveux quand j'étais enfant, lorsque je regardais des blocs d'argile se faire modeler et, une fois, alors que j'écoutais des cochons dévorer des pommes et des carottes dans leur porcherie.
Je sais, je suis bizarre. Quoique non. Car des millions de personnes perçoivent également ces sensations, à en juger par les propositions toujours plus nombreuses de contenus ASMR sur YouTube, suivant parfois des scénarios, ou donnant à voir de simples déclencheurs sonores allant du tapotement du bout des doigts sur du liège au fait de tourner les pages d'un magazine National Geographic en passant par la découpe de tissu et le chuchotement dans un microphone.
SCIENCE VS. TENDANCE
La tendance est à son apogée, mais est-ce que l’ASMR est une réalité ? Que dit la science ? Le Docteur Craig Richard est professeur en sciences biopharmaceutiques à l’Université Shenandoah en Virginie, aux États-Unis, et un expert en ASMR. Craig Richard a expérimenté pour la première ce qu’il décrit comme étant une « merveilleuse détente cérébrale » en regardant une émission à la télévision lorsqu’il était enfant. La fascination était telle qu'il a créé l’Université de l’ASMR en ligne, et a écrit un livre sur ce sujet, judicieusement nommé Brain Tingles (Le cerveau picote en français, ndlr).
« L'ASMR est un sentiment profondément apaisant accompagné par de la lumière et des picotements cérébraux agréables. Il est souvent stimulé lors de moments d'attention positive et personnelle de la part d'une personne attentionnée ou bienveillante qui chuchote, parle, agit et bouge de manière délicate », explique-t-il. « Il est probable qu'environ 10 à 20 % de la population mondiale puisse faire cette expérience de l'ASMR. »
Craig Richard et ses collègues ont mené une étude par scanner cérébral pour comprendre ce qu'il se passe à un niveau physiologique quand on regarde ou qu'on écoute de l'ASMR : « Nous avons démontré que des zones spécifiques du cerveau étaient actives lorsque quelqu'un regardait ou écoutait de l'ASMR. Certaines de ces régions mettent en évidence une implication potentielle de dopamine et d'ocytocine », révèle-t-il.
« L'ocytocine, aussi connue sous le nom "d'hormone de l'amour", est probablement au centre de l'ASMR, car les comportements qui déclenchent la libération d'ocytocine sont similaires à ceux qui déclenchent l'ASMR. En plus, l'ocytocine est connue pour stimuler des sentiments de détente et de réconfort, qui sont très similaires aux sentiments décrits quand on fait l'expérience de l'ASMR. »
Outre la simple détente, les bénéfices rapportés incluent une réduction de l'anxiété et de l'insomnie, ainsi que, comme le dit Craig Richard, des bénéfices « perçus » chez les personnes souffrant de douleurs chroniques et de dépression.
UNE ÉTUDE APPROFONDIE
« Seule une poignée d'études ont examiné les bases neurologiques et physiologiques de l'ASMR. Nous en sommes encore à un stade très précoce dans le domaine de la recherche, mais l'intérêt commencent à augmenter », relève Giulia Poerio, maître de conférences en psychologie à l'université d'Essex, en Angleterre, qui milite pour la recherche sur l'ASMR. « Les défis pratiques comprennent la capacité à susciter l'ASMR dans des conditions de laboratoire et, souvent, les personnes déclarent ressentir l'ASMR moins intensément en laboratoire que dans leur vie quotidienne. Parmi les autres défis, on retrouve le recrutement de personnes qui ne ressentent pas les bienfaits de l'ASMR comme témoins et l'identification des "vraies" personnes répondant à l'ASMR. »
Le contenu ASMR en ligne est très divers, allant du chuchotement ou du jeu avec des Legos dans un microphone à des vidéos d'expériences apaisantes telles que les massages, le tamponnage de livres de bibliothèque ou le fait de tourner les pages d’un magazine National Geographic. Le phénomène a donné naissance à une communauté en ligne florissante d'artistes ASMR, essentiellement sur YouTube.
Guilia Poerio entend par là « les personnes qui ressentent des picotements orientés vers la tête » et qui ont donc une réaction physiologique et neurologique à l'élément déclencheur. La question de savoir ce qui se passe exactement chez une personne sondée est controversée, mais les premières conclusions sont intrigantes. Dans l'étude IRM fonctionnelle (IRMf), dix participants sensibles au phénomène ont regardé des vidéos d'ASMR alors qu'ils passaient un scanner. Les périodes de picotements ont été associées à une activité accrue dans plusieurs régions du cerveau, elles-mêmes associées à des pensées auto-pertinentes, à l'activation d’un sentiment de récompense, à l'excitation émotionnelle et au traitement somatosensoriel, la capacité du corps à interpréter une sensation corporelle », explique Poerio.
« Bien que ces résultats soient préliminaires et basés sur un petit échantillon, ils suggèrent que l'ASMR est un état complexe lié à une activation accrue des régions neuronales associées à l'émotion, à l'empathie et aux comportements d'affiliation. »
En termes de sensations physiologiques, les résultats s'avèrent moins énigmatiques. « Nos recherches indiquent que les réactions à l'ASMR sont caractérisées par des changements physiologiques fiables », déclare Giulia Poerio. « Les personnes qui y sont sensibles voient leur rythme cardiaque diminuer. On assite ainsi à une augmentation des réactions des conducteurs cutanés lorsqu'elles regardent des vidéos ASMR, en comparaison aux participants témoins. Ce profil physiologique distinct peut mettre en évidence la complexité émotionnelle de l'ASMR, à savoir qu'il s'agit d'un état mixte "d'activation" et de "désactivation" ». Selon elle, cela rend l'ASMR inhabituel en tant qu'expérience agréable, mêlant à la fois l'euphorie et la détente. « La réduction du rythme cardiaque observée soutient également des affirmations anecdotiques selon lesquelles l'ASMR peut être utilisée à des fins émotionnelles, surtout compte tenu du fait qu'elles sont comparables à d'autres techniques de réduction du stress comme la méditation et la thérapie musicale. »
UNE THÉRAPIE D’ASMR
Semide ASMR fait partie des personnes qui aiment aider les autres à apprécier l'ASMR. Elle l'a découvert pour la première fois en jouant avec une peluche Mickey Mouse lorsqu'elle était enfant. « Je prétendais que Mickey avait une blessure ouverte et, alors que je le soignais, je me suis sentie si détendue et stimulée en même temps », explique-t-elle.
Plus tard, regarder des vidéos d'ASMR l'aida à faire face à l'épuisement professionnel, à l'insomnie chronique et à l'anxiété. Mais c'est une rencontre fortuite avec un artiste ASMR qui l'a incitée à créer sa propre chaîne.
« Mes vidéos sont inspirées par mes études de naturopathie ; c'est une manière pour moi de réviser ce que j'ai appris à l'école. Par exemple, si j'ai un examen d'acupuncture à passer, il est possible que je fasse une vidéo où je dessine les méridiens d'acupuncture sur ma sœur. Ou peut-être que je filmerai une inspection de la tête aux pieds en préparation à mes examens physiques. J'ai aussi créé de nombreuses vidéos autour du déclencheur "vérification du cuir chevelu", qui me rappelle ma mère qui jouait avec mes cheveux et expérimentait l'ASMR par ce biais. J'aime rajouter des éléments de médecine traditionnelle chinoise, de guérison spirituelle et de massage dans ces vidéos et discuter des conseils de santé et de développement personnel que j'ai pu trouver. J'essaie généralement d'intégrer des déclencheurs d'ASMR dans mes vidéos de manière plus réaliste et naturelle. »
Coco est convaincue que l'ASMR contribue à rendre les interactions sociales plus étroites et plus intimes, pour ceux qui en font l'expérience directe, ce qui répond à un besoin dans un monde de plus en plus fragmenté et encourage les gens à être plus attentifs aux petites choses qui font leur vie quotidienne.
« Pour découvrir la sensation de l'ASMR, vous avez besoin d'être très attentif à vos sens, c'est-à-dire votre vue, votre ouïe, votre toucher, votre odorat et votre goût. En faisant cela, vous serez capable de vivre pleinement dans le moment présent », explique-t-elle.
DES RÉACTIONS MITIGÉES
Et pourtant, tout le monde ne fait pas l'expérience de l'ASMR. Quand j'essaie d'expliquer ce phénomène à quelques-uns de mes amis, ils me regardent d'un air ahuri. Quand je leur montre une vidéo, j'ai l'impression de leur partager quelque chose d'illicite. Il n'y a aucune réaction, à l'exception de gloussements et de haussements de sourcils. Craig Richard attribue cela à des raisons biologiques, comme des différences de séquençage génétique, à des expériences de vie, à des influences culturelles ou même à des mentalités. Ce serait aussi dû à une incompréhension du phénomène ASMR.
« Cela peut souvent être difficile de comprendre la différence entre le contenu ASMR et l'ASMR en tant qu'expérience émotionnelle ; on confond souvent les deux », explique Giulia Poerio. « Le contenu ASMR comprend les types de stimuli susceptibles de déclencher l'ASMR, comme les chuchotements et les tapotements, chez certaines personnes, mais pas toutes. Mais l'ASMR en tant qu'expérience émotionnelle décrit la sensation de picotements apaisants en réponse à certains stimuli. Puisque les personnes peuvent voir les contenus ASMR en ligne, ils peuvent souvent interpréter n'importe quelle réponse émotionnelle, positive ou négative, comme de l'ASMR.
« Il est également souvent difficile de faire passer l'idée que l'ASMR en tant que sensation existait avant YouTube et le contenu ASMR en ligne », ajoute-t-elle. « Les personnes ont tendance à le signaler dès l'enfance dans des scénarios interpersonnels de la vie réelle, en particulier ceux qui impliquent un toucher doux. »
Qu'en est-il de ceux qui ne peuvent pas supporter ces éléments déclencheurs ? Craig Richard cite une étude à ce sujet, publiée dans le Journal of Clinical Psychology de 2017, dans laquelle les personnes qui font l'expérience de stimuli ASMR se sentent agacées, en colère ou profondément mal à l'aise.
« Ce n’est pas une réaction à l’ASMR, il s’agit plutôt de misophonie », explique Craig Richard. La misophonie est un trouble : certaines personnes ont des réactions anormalement fortes et négatives aux sons ordinaires émis par les humains. Mais, pour l'instant du moins, il semble que ces souffrances soient noyées dans les rugissements approbateurs, ou plutôt les doux chuchotements, des convertis.
Louise Pepper, une présentatrice radio, est l'une d'entre eux. « Quand j'avais je travaillais par roulement, j'utilisais l'ASMR pour m'aider à m'endormir quand j'avais besoin d'une sieste dans la journée. Si je me réveille dans la nuit et que mon esprit est en ébullition, je l'utilise comme distraction, pour m'aider à me détendre. Je le vois comme un petit plaisir. »
Stephanie Barnes, qui travaille dans le monde trépidant des relations publiques, le décrit comme une « merveille ». « Cela m'aide à me centrer sur moi-même et à me débarrasser de l'énergie négative ». Pour cette autrice, regarder des vidéos d'ASMR fonctionne comme une sorte de méditation, une ligne directe vers un agréable état de transe.
Distraction, plaisir ou bouée de sauvetage, compte tenu de l'époque turbulente dans laquelle nous vivons, et grâce au pouvoir des réseaux sociaux, il n'est peut-être pas étonnant que de plus en plus de personnes se tournent vers cette forme libre et facile d'accès de soins personnels, même si la science n'a pas encore prouvé grand-chose à ce sujet.
« Les réponses de la communauté scientifique et de la communauté ASMR ont été fantastiques et nous travaillons avec des chercheurs du monde entier » révèle Giulia Poerio. « Bien sûr, il y aura encore du scepticisme. Mais on en a besoin en science, et c'est pourquoi on effectue des recherches.
« Il y a de nombreuses expériences non universelles qui sont aujourd'hui facilement acceptées par la communauté scientifique : la synesthésie, la paralysie du sommeil et l'aphantasie », ajoute-t-elle. « Il n'est pas nécessaire d'avoir une expérience directe pour les accepter comme des phénomènes authentiques dignes d'une recherche empirique. Je suis sure que l'ASMR suivra la même voie. »
Jini Reddy est une autrice et journaliste freelance installé à Londres. Suivez-la sur Twitter.
Simon Ingram a contribué à la rédaction de cet article, qui a été adapté du site Internet de National Geographic U.K.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise en 2022.