En 2050, le Nigeria sera le troisième pays le plus peuplé du monde
D’ici à 2050, le Nigéria, grand comme 1,7 fois la France métropolitaine, devrait compter 377 millions d’habitants. À quoi ressemblera alors la vie d’un enfant dans le pays le plus peuplé d’Afrique ?
Après avoir essayé durant des années d’avoir un enfant, Foyeke Omage et son mari, Ewanle, ont accueilli leurs quintuplés comme un miracle. Mais élever trois filles et deux garçons les a endettés. Le Nigeria dont vont hériter ces enfants sera très différent : en 2050, ils auront 29 ans, et la population devrait alors compter 150 millions d’habitants supplémentaires
L’automne dernier, la terre a accueilli son huit milliardième être humain. Nous n’avions encore jamais vécu si nombreux sur la planète. Personne ne sait exactement où ni quand cette étape a été franchie, ni encore qui est le numéro huit milliard. En novembre, les Nations unies ont attribué cet honneur à une enfant née à Manille, mais le bébé numéro huit milliard aurait pu être n’importe lequel des quelque 12 millions de bébés ayant vu le jour ce mois-là dans le monde. Il aurait pu naître dans un hôpital de Tokyo, dans une ferme du Wyoming ou dans un abri antiaérien à Kiev. Le numéro huit milliard pourrait même être Eziaku Kendra Okonkwo, une petite fille de 2,75 kg née à Abuja, au Nigeria, le 12 novembre 2022, deuxième enfant de Kenneth et Amara Okonkwo.
Le Nigeria est un candidat plausible : avec ses 224 millions d’habitants, il est le pays le plus peuplé d’Afrique. Grâce en partie à de modestes progrès des soins médicaux, la mortalité infantile est tombée à 72 décès pour 1000 naissances vivantes et l’espérance de vie a été portée à 53 ans (même si ces deux chiffres sont encore bien inférieurs aux objectifs de développement durable fixés par les Nations unies). Ce facteur, et d’autres, combinés aux traditions favorisant les familles nombreuses, ont créé l’une des populations qui croît le plus rapidement dans le monde. D’ici à 2050 – Eziaku aura alors 28 ans – le Nigeria, dont la superficie représente moins de deux fois celle de la France métropolitaine, devrait compter 377 millions d’habitants, devenant ainsi la troisième nation la plus peuplée du globe, juste devant les États-Unis et seulement derrière l’Inde et la Chine.
Assise dans l’unique chambre de leur appartement de la banlieue de Kubwa, à Abuja, Amara berce la petite Eziaku endormie tandis que sa sœur de 2 ans, Ifeyinwa, gambade autour d’elles. La jeune femme a beau être une mère aimante, elle a été quelque peu perturbée de découvrir qu’elle était de nouveau enceinte. « Je me suis demandé comment j’allais m’occuper du bébé, car je ne travaille pas », glisse-t-elle. Kenneth, lui, était surtout préoccupé de savoir si ce serait un garçon, son rêve. « Dieu veillera toujours sur l’enfant qu’Il fait naître, dit-il. Il s’est avéré que c’était une fille, mais pas de problème. Je lui apporterai tout le soutien dont elle aura besoin. »
Entrée stylée pour l’animateur de télévision Jimmie Akinsola et la consultante de mode Kanayo Ebi lors de leur mariage. Ils font partie d’une classe restreinte mais croissante de jeunes gens prospères. Le revenu est important dans les projets de mariage au Nigeria : les femmes les plus pauvres se marient à 16 ans en moyenne, les plus riches à 24 ans.
Diplômé en management des entreprises, Kenneth travaillait au ministère de la Science et de la Technologie quand le couple s’est marié, en 2019. À l’époque, Amara était étudiante en informatique. Kenneth occupe toujours le même emploi, avec des revenus mensuels près de quatre fois supérieurs au salaire minimum du pays qui s’élève à 30 000 nairas (60 euros environ) par mois. De son côté, Amara n’a pas réussi à trouver du travail après l’obtention de son master. Le nombre de Nigérians sans emploi n’a cessé d’augmenter au cours de la dernière décennie. Aujourd’hui, plus d’un tiers de la population a rejoint les rangs des chômeurs, dont 17 % sont titulaires d’un diplôme supérieur. Chaque année, environ 2 millions d’étudiants sont admis dans les universités et les écoles polytechniques nigérianes, et quelque 600 000 nouveaux diplômés arrivent sur le marché du travail, mais les débouchés sont insuffisants. La Banque mondiale estime que le pays devrait créer 2,5 millions d’emplois par an pour répondre à la demande. Ce nombre devra augmenter d’ici à ce qu’Eziaku obtienne son diplôme universitaire, comme le prévoient ses parents, dans les années 2040.
Kenneth et Amara vivent au jour le jour, bouclant difficilement les fins de mois. Ils achètent rarement des vêtements, épuisent souvent le crédit de leurs cartes de téléphone prépayées et n’ont pas les moyens de s’offrir une voiture. Les parents de Kenneth sont morts et le père d’Amara, âgé de 76 ans, est à la retraite. « Nous nous cotisons avec mes frères et sœurs pour nous occuper de lui », dit-elle. Pourtant, leur situation les place dans la classe moyenne du Nigeria, devant plus des deux tiers de leurs concitoyens.
Amara avait espéré trouver un emploi avant d’avoir un deuxième bébé. Kenneth, lui, pense qu’ils parviendront d’une façon ou d’une autre à subvenir aux besoins d’Eziaku, sauf peut-être dans un domaine, concède-t-il. Amara était la plus jeune de cinq frères et sœurs ; Kenneth a grandi dans une fratrie de sept enfants. Il décrit sa maison comme une ruche, qui pouvait réunir jusqu’à dix-neuf enfants en même temps. « Grâce à cela, rentrer à la maison était toujours un bonheur, dit-il. Mes enfants n’auront pas le genre de grande famille que nous avons connue. »
Emmanuel et Nwakaego Ewenike vivent avec leurs quatre enfants dans un studio à Ajegunle. Environ trente personnes partagent le bâtiment, dépourvu d’eau courante et d’électricité. L’environnement pour élever des enfants est « très mauvais », dit Emmanuel. Pourtant, le couple parvient à les envoyer à l’école et aux cours de religion.
Le taux de fécondité du Nigeria était de plus de 7 naissances par femme lorsque Kenneth est né, en 1983. En 2004, le gouvernement a lancé un plan décennal visant à le réduire juste au-dessus de 4 naissances par femme et à faire en sorte que 30 % de la population sexuellement active du pays utilise des contraceptifs. Au cours de la décennie suivante, le taux de fécondité a baissé, mais seulement à 5,5 naissances par femme, tandis que moins de 10 % des couples recouraient à des moyens de contraception. L’échec de cette politique n’était pas si surprenant.
Dès le début, de nombreux Nigérians s’étaient opposés à la recommandation gouvernementale faite aux femmes de ne pas avoir plus de quatre enfants, même si cette préconisation était fondée en partie sur des recherches montrant que la santé d’une mère commence à se dégrader après la quatrième grossesse. « Les gens parlent toujours de cette politique de manière erronée », estime Akanni Akinyemi, professeur de démographie à l’université Obafemi Awolowo. « Ils disent qu’elle imposait de ne pas avoir plus de quatre enfants. Mais ce n’était pas le cas », m’explique-t-il. « Elle disait juste : prenez une décision rationnelle en matière de planification des naissances. »
Amara est au courant des initiatives du gouvernement pour le planning familial, qu’elle juge pertinentes. « Regardez le nombre que nous sommes aujourd’hui, et les gens luttent pour survivre. Les riches se plaignent, les pauvres aussi. Les temps sont durs pour tout le monde. Imaginez combien ce sera difficile quand notre population aura encore augmenté », dit-elle. Cependant, elle veut éviter d’utiliser des contraceptifs modernes. Elle leur préfère les méthodes naturelles de régulation des naissances, comme l’allaitement prolongé, qui diminue la fertilité, ainsi que l’abstinence pendant son cycle d’ovulation.
Des futures mères attendent de voir Itoko Ebiere (en blouse blanche), la sage-femme. Bien que le système de santé nigérian se soit quelque peu amélioré, une femme sur 175 meurt encore en couches, faute d’installations sanitaires et de personnel médical qualifié.
Amara glousse en admettant timidement qu’elle pourrait bien avoir jusqu’à quatre enfants, car elle ne prévoit pas d’arrêter avant d’avoir un fils. « Si j’ai une fille comme troisième enfant, j’essaierai d’en faire encore un », avoue-t-elle. Bien qu’elle ne subisse aucune pression particulière de la part de son mari ou de sa famille élargie pour avoir un garçon, la plupart des cultures nigérianes accordent une plus grande valeur aux enfants de sexe masculin.
« Dans certaines cultures, lorsqu’une femme n’a pas de garçon, c’est en quelque sorte un problème pour elle », indique Chidera Benoit, de Population Explosion Awareness Initiative, une ONG nigériane de sensibilisation à l’explosion démographique qui s’oppose aux croyances poussant les couples à avoir de nombreux enfants. « Dans certaines familles, lorsque l’homme meurt, explique-t-il, les parents chassent la femme du foyer, saisissent tous les biens de l’homme et arguent qu’elle n’a pas d’enfant mâle pour poursuivre la lignée. Donc, vous voyez, une femme qui a quatre ou cinq filles continuera... à avoir d’autres enfants, en espérant un garçon, car il représente pour elle une assurance pour l’avenir. »
Selon les Nations unies, un accès facile au planning familial et à l’éducation, notamment pour les filles, constitue un facteur majeur de la baisse de la fécondité. Si le Nigeria devait les rendre universels d’ici à 2030, comme le suggèrent certains démographes, il pourrait réduire de moitié son explosion démographique. Ainsi, en 2100, quand Eziaku aura 78 ans, le pays compterait 400 millions d’habitants, au lieu des quasi 800 millions prévus par une estimation.
L’attitude envers les enfants de sexe masculin est similaire dans le nord du Nigeria, majoritairement musulman, mais la situation est amplifiée par le fait que le pourcentage d’enfants scolarisés y est le plus faible du pays et que près de la moitié des filles se marient avant l’âge de 15 ans. Née de parents chrétiens du sud du Nigeria, Eziaku aura probablement une vie bien différente de celle des filles du nord du pays. Elle ira sûrement à l’école dès son plus jeune âge et poursuivra sa scolarité jusqu’à l’université. Ses parents prévoient de l’envoyer dans des établissements privés, afin d’éviter les classes souvent surchargées des écoles publiques et le manque de qualification de nombre d’enseignants – qui sont régulièrement en grève quand leurs salaires ne leur sont pas versés. La sœur d’Eziaku fréquente déjà une école maternelle privée, qui coûte 48 000 nairas (environ 98 euros) par trimestre. « Si vous voulez une bonne éducation, vous devez avoir de l’argent dans la poche, souligne Amara. On nous a appris que l’éducation est la clé de tout, même si, dans notre pays aujourd’hui, être éduqué ou non ne détermine pas le degré de réussite. Donnez à vos enfants une bonne éducation, et, avec un peu de chance, ils pourront trouver une meilleure voie et de meilleures perspectives. »
Voyageurs et vendeurs ambulants se mêlent près de la gare routière d’Oshodi, à Lagos, la plus grande ville d’Afrique. Malgré les récents investissements du Nigeria, la Banque mondiale estime que le pays devra dépenser des billions d’euros d’ici à 2050 pour optimiser le potentiel de sa population qui ne cesse de croître.
Même en tant qu’adulte ayant suivi des études supérieures, Eziaku sera sans doute confrontée à l’un des plus grands défis de son pays : trouver suffisamment à manger. Le Nigeria importe chaque année pour 20,5 milliards d’euros de denrées alimentaires et, pourtant, c’est un des pays les plus touchés par la faim dans le monde.
En effet, en 2022, on y comptait plus de 19 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Kenneth et Amara n’en font pas partie, mais ils surveillent attentivement leur budget. « Nous achetons d’abord la nourriture, puis nous économisons pour d’autres factures », explique Amara. Mais, du fait de la crise actuelle du secteur agricole nigérian, il se pourrait que, quand Eziaku sera adulte, les courses occupent une part beaucoup plus importante de son budget. L’automne dernier, les Nigérians ont vu les prix des denrées alimentaires bondir de 20 % par rapport à l’année précédente – la plus forte hausse en dix-sept ans. Alors, même si Eziaku a de l’argent, il n’y aura peut-être pas assez de nourriture à acheter.
L’ancien président du pays mais aussi l’un de ses plus célèbres agriculteurs, Olusegun Obasanjo, y a fait allusion lors d’un événement organisé en 2021 à Lagos. « Mon cœur se serre en voyant la mer de têtes qui défilent sous mes yeux dans les parcs, sur les marchés et sous les ponts, a-t-il déclaré. Comment allons-nous nourrir cette population qui explose ? » L’automne dernier, j’ai donc fait le trajet jusqu’à Abeokuta pour rencontrer cet homme obnubilé par la question de l’approvisionnement alimentaire du Nigeria depuis près de cinquante ans.
Avant la découverte du pétrole en 1956, le Nigeria était réputé pour sa longue liste de cultures de rente, comme l’huile de palme, le cacao et les arachides, mais le gouvernement s’est ensuite focalisé sur le brut, négligeant les autres secteurs, et l’économie agricole, autrefois florissante, a périclité. Olusegun Obasanjo est une figure récurrente de l’histoire postcoloniale du pays. Il a accédé au pouvoir en 1975, au cours d’une décennie de gouvernements militaires, puis a été élu président pour deux mandats. Il a tenté de ramener le Nigeria vers l’agriculture lors de sa première prise de fonction, qui a duré jusqu’en 1979. Il a lancé l’opération Feed the Nation (« Nourrir le pays »), qui encourageait chaque Nigérian à cultiver la terre : « L’idée était de dire : “Faites pousser des légumes, même à l’arrière de votre maison”, rappelle-t-il. Nous ne pouvons pas tous être agriculteurs, mais nous pouvons tous être producteurs. » Mais le projet s’est essoufflé quand il a cédé le pouvoir à une administration civile et qu’il s’est retiré pour se consacrer à plein temps à l’agriculture.
Dans l’État de Nasarawa, dans le centre-nord du pays, des éleveurs amènent des milliers de vaches au marché aux bestiaux de Keffi. Plus de 70% des Nigérians pratiquent une forme d’agriculture, mais l’autosuffisance a diminué du fait de conditions agricoles défavorables et de la hausse de la population. Le pays importe 20,5 milliards d’euros de denrées alimentaires par an.
Olusegun Obasanjo a pris de nouvelles mesures pour relancer l’agriculture quand il est revenu au pouvoir en 1999. L’élan s’est poursuivi sous les gouvernements suivants et les jeunes se sont ralliés à l’effort national pour réinventer l’agriculture nigériane. Puis la pandémie est survenue, accompagnée d’une violence généralisée, et les choses se sont gâtées. Pendant les confinements dus à la Covid-19, les gens ont commencé à voler les camions transportant de la nourriture, m’explique Mezuo Nwuneli, cofondateur de Sahel Capital, une société spécialisée dans les investissements agricoles. « La faim a grimpé en flèche, les enlèvements aussi... Cette hausse de la criminalité a rendu l’agriculture plus difficile. » Ces deux dernières années, des hommes armés à moto ont enlevé des milliers de personnes pour obtenir une rançon. Le personnel des entreprises agricoles prospères a été particulièrement visé, obligeant de nombreuses exploitations à abandonner ou à réduire leurs activités.
Amara passe beaucoup de temps à murmurer des prières à Eziaku, des passages de la Bible qu’elle a mémorisés. Elle tient les petites mains et les petits pieds du bébé et lui parle. « Tu ne seras pas comme moi. Tu n’auras pas à te battre», dit-elle, croyant au pouvoir des mots positifs pour façonner l’avenir d’un enfant. Eziaku signifie « bonne richesse » en igbo et parmi les souhaits d’Amara figure celui de voir le nom de sa fille devenir prophétique. « Ma prière pour elle, dit-elle, c’est que, où qu’elle se trouve, ses mains n’aient pas de difficultés à ouvrir les portes. Qu’elle rencontre juste des portes ouvertes. »
Quand Eziaku aura 34 ans, l’âge de sa mère à sa naissance, le neuf milliardième bébé du monde aura vu le jour depuis longtemps, et le dix milliardième arrivera seulement quelques années plus tard. « Y aura-t-il assez de nourriture pour tout le monde à ce moment-là ? Je me le demande, dit Amara. Mais je suis sûre qu’Eziaku sera exceptionnelle, quel que soit le nombre de personnes dans le monde. »
Extrait de l'article publié dans le numéro 283 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine