Cancer du sein : quand et à quelle fréquence se faire dépister ?
L'une des principales agences américaines prévoit d'abaisser l'âge recommandé pour les mammographies (aujourd'hui fixé à 40 ans), mais certains experts estiment qu'il faudrait aller encore plus loin.
Plus un cancer du sein est détecté tôt, plus on a de chances d’y survivre, c'est pourquoi il est devenu si important de passer des mammographies régulièrement. Sur cette photo, une infirmière met en marche un mammographe à l'Institut du cancer de l'Ouganda (UCI), à Kampala, à l'occasion de la Journée mondiale contre le cancer.
En début d’année, le groupe de travail américain sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force – USPSTF) a proposé de modifier ses recommandations concernant le moment et la fréquence auxquels les femmes devraient commencer à passer des mammographies régulières pour le dépistage du cancer du sein. Selon John Wong, membre de l’USPSTF et médecin interne à l’université de Tufts, ces mises à jour font suite à un examen minutieux des dernières données disponibles.
« Les mammographies n’empêchent pas le cancer du sein de se développer, elles le détectent à un stade plus précoce », explique le docteur Wong. « Dans cette ébauche de recommandations, nous expliquons que les femmes devraient commencer à se faire dépister tous les deux ans à partir de leurs 40 ans. »
Par comparaison, les directives précédentes préconisaient un dépistage annuel à partir de 50 ans. Ces nouvelles recommandations constituent donc un revirement notable, d’autant plus que près d’un cas de cancer du sein sur dix survient aujourd’hui chez des femmes de moins de 45 ans. Toutefois, si de nombreux spécialistes accueillent ces décisions à bras ouverts, d'autres pointent du doigt le risque qu'un cancer du sein passe inaperçu (et ne soit donc pas traité) pendant trop longtemps puisque la fréquence des mammographies passerait d'une fois par an à une fois tous les deux ans.
« Les femmes ont plus de chances de survivre à un cancer du sein lorsqu'elles effectuent une mammographie tous les ans, à partir de leurs 40 ans », explique Priti Shah, directrice du service d’imagerie mammaire à l’hôpital VCU Health de Richmond, en Virginie.
Les recommandations sont encore en cours de délibération. Voici comment s’y retrouver et ce qu’il faut savoir sur les nouvelles technologies à venir qui pourraient aider les femmes à faire des examens plus fréquemment et à détecter le cancer plus tôt, lorsqu’il est plus facile à traiter.
POURQUOI CE CHANGEMENT DE RECOMMANDATIONS ?
Des décennies de recherches approfondies ont montré que le cancer du sein résulte d’une combinaison de causes génétiques et environnementales, comme des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, et d'autres risques tels que la consommation d’alcool, l’inactivité physique, l’hormonothérapie et l’exposition aux rayonnements ionisants (qui peuvent provoquer des mutations de l’ADN).
Quelle que soit la cause, cela fait plus d’un siècle que les scientifiques utilisent les rayons X pour détecter le cancer du sein. À la fin du 20e siècle, plusieurs techniques comme la compression du tissu mammaire entre des plaques pour augmenter la qualité de l’image ont été améliorées, et de nouvelles stratégies d’impression des images médicales sur film ont fait leur apparition. Les essais à grande échelle de dépistage par mammographie menés dans les années 1980 et 1990 ont débouché sur certaines des premières recommandations : les femmes âgées de 40 ans et plus devaient désormais régulièrement passer des mammographies.
Au fil des ans, ce nombre a toutefois été porté à 50 ans, l’USPSTF ayant recommandé aux femmes âgées de 40 à 50 ans de se faire dépister si elles le jugeaient nécessaire. En France, l’Institut national du cancer (INCa) estime que 80 % des cancers du sein surviennent après l’âge de 50 ans, c’est pourquoi il recommande aux femmes de 50 ans et plus de se faire dépister régulièrement. Selon Wong, le raisonnement de l'USPSTF s’explique en partie par une prise de conscience accrue des risques associés à la mammographie.
La mammographie repose encore aujourd’hui sur les rayons X, qui exposent les patientes à une faible quantité de radiations. Or, on ignore si les inconvénients potentiels des radiations l’emportent sur les avantages d’une mammographie. Par ailleurs, comme partout en médecine, cette technique n’est pas efficace à 100 % pour identifier le cancer. De nombreuses taches suspectes signalées par un radiologue s’avèrent être autre chose qu’une tumeur maligne. Ces faux positifs coûtent du temps et de l’argent, créent de l’anxiété et exposent potentiellement les personnes concernées à des risques liés à d’autres types de procédures comme des biopsies.
Selon Shah, l’une des tâches de l’USPSTF est d’essayer de trouver un équilibre entre ces risques et ces avantages.
« Nous devons prendre en compte ces risques, sans pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain », dit-elle.
Surtout que cette balance risques-avantages n’est pas figée. Elle peut changer tout au long de la vie, en fonction de l’évolution de notre état de santé et au fur et à mesure que la science médicale en apprend davantage sur les risques de cancer du sein et les avantages potentiels de la mammographie.
L’un des changements les plus importants de ces dernières années a été l’augmentation du nombre de femmes de moins de 45 ans chez qui l’on a diagnostiqué un cancer du sein. Les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies estiment que 9 % de tous les nouveaux cas de cancer du sein sont diagnostiqués chez des femmes de moins de 45 ans.
Bien que l’USPSTF ait continué à encourager les mammographies régulières à partir de 40 ans, nombre de ces femmes n’étaient pas concernées par ses recommandations formelles. Cela signifiait qu’elles ne recevraient un diagnostic que lorsqu’elles remarquaient des anomalies au niveau de leur poitrine, telles que des bosses, un épaississement ou un gonflement, et un écoulement du mamelon autre que du lait maternel.
Lorsque l’équipe de l’USPSTF a examiné les nouvelles données, explique Wong, elle a baissé l’âge des premières mammographies à 40 ans.
Y A-T-IL ASSEZ DE DÉPISTAGES ?
Cependant, au lieu de proposer des mammographies annuelles, le groupe de travail a modifié leur fréquence à une fois tous les deux ans. Ce changement a suscité des inquiétudes et des critiques de la part de certains spécialistes.
« Des données accablantes montrent que la plupart des vies sont sauvées grâce à un dépistage annuel à partir de 40 ans », explique Aviva O’Connell, spécialiste de l’imagerie mammaire au centre médical de l’université de Rochester, dans l’État de New York. « Si nous retardons le dépistage jusqu’à l’âge de 50 ans et ne prescrivons qu'un examen tous les deux ans, pas moins de 100 000 femmes mourront d’un cancer du sein. »
La docteur Shah partage cet avis. « Nous voulons commencer le dépistage plus tôt parce que ces cancers sont plus agressifs. Nous ne voulons pas attendre deux ans. »
D’autres médecins s’inquiètent des répercussions sur la couverture d’assurance et l’équité en matière de santé. En vertu de la loi sur les soins abordables (Affordable Care Act) aux États-Unis, toutes les compagnies d’assurance maladie doivent couvrir 100 % du coût des mammographies de dépistage recommandées. Si certains régimes d’assurance peuvent conserver la couverture intégrale des mammographies annuelles une fois que les femmes atteignent 40 ans, d’autres peuvent passer à une couverture bienniale, car cela reste conforme à la loi.
Étant donné que les femmes de couleur sont beaucoup plus susceptibles de développer un cancer du sein, d’être diagnostiquées à un stade plus avancé et de mourir des suites de leur maladie, cette absence de couverture créera un problème majeur d’équité en matière de santé, déclare Toma Samantha Omofoye, radiologue spécialiste du sein au MD Anderson Cancer Center de l’université du Texas.
« Les disparités en termes de cancers sont dues à des problèmes qui touchent l’ensemble des soins de santé. C’est pourquoi l’accès à des mammographies de dépistage précoces et fréquentes est un élément important de la lutte contre les disparités en matière de santé », ajoute-t-elle.
BIENTÔT UN TEST DE DÉPISTAGE PORTATIF ?
Pour certaines personnes, cependant, même les dépistages annuels peuvent être insuffisants.
La généralisation de la mammographie a également fait prendre conscience des difficultés liées aux poitrine dense. Les femmes qui ont des seins denses (généralement les jeunes femmes) ont davantage de tissus fibreux et conjonctifs qui assurent le soutien structurel du sein. Ce tissu est plus dense que la graisse et les glandes, et apparaît en blanc sur les mammographies.
Les seins denses ne constituent pas un problème en soi, explique Shah, mais rendent plus difficile l’identification de tumeurs potentielles sur une mammographie. C’est pourquoi les médecins ont commencé à encourager les femmes ayant des seins denses à passer des examens d’imagerie supplémentaires (IRM et échographie) en plus de leurs mammographies annuelles.
Pour alléger le fardeau du dépistage, les scientifiques travaillent à la mise au point de nouvelles technologies de dépistage du cancer du sein plus accessibles.
C’est le cas de Canan Dagdeviren, ingénieure au Media Lab du MIT, qui conçoit un appareil à ultrasons portable que les femmes peuvent utiliser avec leur soutien-gorge de tous les jours. Elle a esquissé son prototype au chevet de sa tante mourante, dont le cancer du sein est survenu entre les mammographies semestrielles. Lorsque la tante de Dagdeviren a détecté des changements, son cancer était trop avancé pour être traité.
Dagdeviren avance que les femmes pourraient utiliser son dispositif tous les mois, toutes les semaines, voire tous les jours, dans le cadre de leur routine, car l’échographie ne prend qu’une minute ou deux.
« Une détection précoce est la clé de la survie. Nos calculs montrent que cette technologie a le potentiel de sauver 12 millions de vies par an dans le monde », déclare-t-elle.
Et elle ne veut pas s’arrêter au cancer du sein. D’autres types de tumeurs, comme le cancer de la prostate, pourraient également être détectés grâce à l’échographie portable.
Même si des chercheurs comme Dagdeviren continuent à développer les outils de dépistage du futur, O’Connell affirme que le simple fait de connaître son propre corps et d’être attentif aux changements reste l’une des stratégies les plus importantes dans la détection du cancer.
« Il faut savoir ce qui est normal pour soi pour remarquer si quelque chose a changé », souligne-t-elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.