Ces oiseaux ont retrouvé le chant de leurs ancêtres grâce à un robot

Le chant du bruant chingolo se transmet de génération en génération. Pourtant, les oiseaux juvéniles ne chantaient plus le son de leurs ancêtres… jusqu’à l'arrivée des scientifiques.

De María de los Ángeles Orfila
Publication 11 mars 2025, 14:23 CET
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Ce bruant chingolo (Zonotrichia capensis subtorquata) a été photographié à la ferme Membeca Lagos de Rio de Janeiro, au Brésil.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, Nat Geo Image Collection

Le chant du bruant chingolo (Zonotrichia capensis) mâle, ou chincol, est l’un des sons les plus distinctifs d’Amérique du Sud. En quelques secondes, ce petit oiseau brun clair, ou grisâtre avec des taches noires lorsqu’il est juvénile, émet sa mélodie, composée de deux à quatre notes introductives et d’un trille final. Chaque famille de bruant chingolo dispose de sa propre vocalisation, que ses membres chantent tout au long de leur vie.

Ce comportement est le fruit d’une transmission intergénérationnelle entre les mâles jeunes et adultes. Cependant, que se passe-t-il lorsque ce cycle d’apprentissage est interrompu, lorsque la perte d’habitat, le déclin de la population ou la disparition des tuteurs adultes vient empêcher cette transmission ?

Entre 2020 et 2023, des chercheurs de la faculté des sciences exactes et naturelles de l’Université de Buenos Aires (UBA) se sont attelés à une tâche audacieuse : réintroduire dans une population de bruants chingolo un chant qui avait disparu de la nature et qui n’était plus connu que grâce à une notation musicale réalisée dans les années 1960. Au travers d’une approche innovante combinant différentes technologies de pointe, les scientifiques ont mis au point un « robot tuteur », un dispositif capable d’émettre la mélodie oubliée afin de l’apprendre aux jeunes oiseaux. Résultat : les oiseaux vivant dans le Parque Provincial Pereyra Iraola, une réserve naturelle d’environ 10 000 hectares à Buenos Aires, ont mémorisé le chant artificiel, l’ont incorporé à leur répertoire et le chantent désormais fièrement dans la nature.

« Nous pensons toujours que la préservation de la biodiversité se fait uniquement par l’aspect génétique, mais elle implique aussi un aspect culturel », commente Gabriel Mindlin, directeur de l’Institut de physique interdisciplinaire et appliquée (INFINA) de l’UBA et coauteur, avec Ana Amador et Roberto Bistel, de l’étude de 2024 publiée récemment dans Physica D: Nonlinear Phenomena. « Nous avons remis à la mode un chant disparu ; c’est un exemple qui nous démontre que nous sommes capables, si nécessaire, de réintroduire une culture entière. »

 

UN CHANT TRANSMIS DE GÉNÉRATION EN GÉNÉRATION

Le bruant chingolo est l’une des 4 000 espèces connues d’oiseaux chanteurs de notre planète. Si certains aspects de son chant sont déterminés par la génétique, chez le bruant chingolo, celui-ci est appris par un enseignant ou tuteur, rôle le plus souvent endossé par le père. En effet, le jeune oiseau imite et apprend à vocaliser un chant qui combine le chant de sa famille et le chant de sa population : c’est pourquoi, par exemple, les individus du río de la Plata ne chantent pas le même trille final que ceux des autres régions du pays. Ce processus a lieu environ trois mois après la naissance. Bien que son contrôle musculaire soit quelque peu imprécis au début, l’oiseau finit par produire un modèle acoustique très précis.

De manière générale, chaque individu se limite à un chant unique, mais certains peuvent en chanter deux, voire trois. La mélodie ne dure que deux secondes et est répétée dès l’aube et presque tout au long de la journée.

« C’est un chant distinctif, comme une empreinte digitale, mais apprise », décrit Amador. « Il sert à attirer la femelle et à protéger son territoire. C’est sa façon d’indiquer sa présence. »

 

LE RETOUR D’UNE MÉLODIE PERDUE

Grâce aux notes musicales manuscrites de l’ornithologue argentin Fernando Nottebohm, professeur émérite à l’Université Rockefeller de New York, les chercheurs connaissaient les chants d’oiseaux les plus populaires du Parque Provincial Pereyra Iraola dans les années 1960. « S’il remarquait une fréquence montante, il la marquait d’un signe vers le haut », explique Mindlin. « Si la fréquence baissait, devenait plus grave, il traçait un signe vers le bas. Le trille était un ensemble de petites lignes. Voilà comment il représentait le chant. »

Au départ, les chercheurs avaient pour objectif de déterminer quelles vocalisations des années 1960 étaient encore chantées de nos jours. Pour le découvrir, l’équipe s’est rendue dans le parc, a enregistré les mélodies, puis a entraîné un réseau neuronal artificiel pour vérifier quels airs étaient encore populaires, et lesquels avaient disparu. Les scientifiques ont ainsi découvert que seules trois vocalisations de l’époque de Nottebohm étaient encore chantées dans la région, probablement du fait de l’urbanisation de la zone entourant le parc, qui a provoqué le déplacement d’une grande partie de la population locale de bruants chingolo, ou de l’invasion du parc par d’autres espèces d’oiseaux chanteurs qui, au fil des ans, ont pris le contrôle du territoire des bruants.

Après avoir décidé de redonner vie aux airs disparus, les scientifiques ont analysé les paramètres de chaque chant réel (la fréquence de début et de fin de chaque note, sa durée, etc.) et ont généré un modèle mathématique capable de produire des copies synthétiques du chant de l’oiseau en se basant sur les caractéristiques physiques de sa phonation. Pour ce faire, ils ont simulé le conduit vocal de l’oiseau, à savoir la trachée, la cavité oro-pharyngée, la glotte et le bec. L’équipe a même observé l’activation des muscles de la syrinx, l’organe vocal des oiseaux.

Ce chant synthétique a été présenté aux bruants chingolo du même parc entre les mois d’octobre et février, la période sensorielle critique de l’espèce, lorsque les oiseaux juvéniles apprennent en imitant les modèles acoustiques qu’ils entendent. Les sessions ont eu lieu pendant les principales heures de chant, c’est-à-dire tôt le matin, et ont été limitées à un maximum de huit heures par jour. Les intervalles entre les sons synthétiques ont été réglés à une vitesse légèrement supérieure aux intervalles naturels afin de stimuler les réponses vocales.

« L’intervalle entre chaque chant était aléatoire pour que les oiseaux perçoivent la lecture des trois appareils placés dans la zone comme un véritable échange, comme s’ils se répondaient l’un à l’autre », décrit Bistel.

De février à juillet, les bruants entrent dans une période de silence complet en raison des basses températures, qui durent jusqu’en septembre. Ils reprennent alors leur pratique vocale et affinent leur chant sur la base du modèle appris. Contre toute attente, certains bruants juvéniles avaient bien choisi les sons du robot tuteur et appris le chant disparu, l’incorporant ainsi à leur répertoire vocal.

Le chant acquis alternait entre des syllabes aux fréquences croissantes et décroissantes, conformément au thème synthétique. La gamme de fréquences de la dernière syllabe descendante était toutefois plus large que la version synthétique, et ce chez tous les individus adultes enregistrés dans le parc. Cette variation semble être la marque distinctive du « dialecte » de cette population de bruants, peut-être acquise auprès d’autres tuteurs réels ou résultant de la programmation génétique de l’espèce.

« C’est comme si l’on sauvait une langue ancienne et oubliée », commente Mindlin, en soulignant que les traits culturels, aussi bien chez les oiseaux que chez les humains, peuvent être ravivés par l’apprentissage et la transmission intergénérationnelle.

 

L’AVENIR DE LA PRÉSERVATION VOCALE

Selon Mindlin, Amador et Bistel, cette technologie est prometteuse pour la préservation du répertoire vocal des oiseaux sauvages.

« Il existe des banques de gènes dotées de grands congélateurs, mais qu’en est-il de la préservation culturelle ? Ne devrions-nous pas avoir des banques d’enregistrements de chants ? » demande Amador. « Notre travail ouvre la voie à une réflexion plus globale sur la préservation des espèces. »

L’équipe de l’INFINA travaille déjà avec des bruants chingolo et d’autres espèces du sud de l’Argentine, avec un objectif à court terme : concevoir un réseau neuronal pour faciliter la reconnaissance automatique du chant de chaque individu. L’étape suivante sera d’étudier la transmission vocale au sein d’une population d’oiseaux bagués.

« La perte d’individus implique non seulement la réduction de la diversité génétique, mais aussi la perte de véritables cultures », déplore Mindlin. « Grâce à des équations mathématiques que nous transformons en ondes sonores, nous pouvons nous assurer que cette culture n’est pas perdue. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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