Cette découverte pourrait faire avancer la recherche sur les tumeurs cérébrales
Les cellules cancéreuses utilisent les mitochondries des cellules saines pour se développer plus rapidement. Selon les scientifiques, empêcher ce "vol cellulaire" pourrait participer à traiter certains cancers du cerveau particulièrement agressifs.
Scan en 3D d'une imagerie du tenseur de diffusion des voies nerveuses (en couleur) autour d'un glioblastome (en haut à droite) dans le cerveau. Le cerveau est vu de côté, avec l'avant du cerveau à gauche. Le glioblastome est le type de tumeur cérébrale primaire maligne le plus courant. Les symptômes, qui dépendent de la région du cerveau touchée, peuvent prendre la forme de crises d'épilepsie, de maux de tête, d'une faiblesse d'un côté du corps, et de changements relatifs à la mémoire et à la personnalité.
L’espérance de vie des patients atteints de glioblastome, une tumeur cérébrale à évolution très rapide, dépasse rarement la première année suivant le diagnostic. Particulièrement agressive, la maladie commence son développement dans les astrocytes, des cellules gliales dont le rôle est d’aider les neurones à fonctionner correctement. Pour croître rapidement, selon une nouvelle étude, les cellules de glioblastome récupèrent ensuite des mitochondries saines (qui alimentent les cellules en énergie) dans les astrocytes voisins. En cherchant à bloquer ce vol de mitochondries, les scientifiques espèrent concevoir un nouveau type de traitement contre les cancers du cerveau.
Le phénomène qui permet aux mitochondries de passer des cellules saines aux cellules cancéreuses est « un peu fou », commente Justin Lathia, biologiste spécialiste du cancer au Cleveland Clinic Lerner Research Institute, qui a dirigé l’étude publiée dans Nature Cancer.
Bien qu’il ait déjà été démontré par le passé que les mitochondries se déplacent entre les cellules malades et les cellules saines, le lien entre ce déplacement et la propagation du cancer n’était jusqu’alors pas clair pour les spécialistes.
« C’est un autre excellent exemple de cancers qui profitent d’un élément qui existe déjà dans l’organisme pour tenter de se propager et de se développer », indique Eng Lo, neuroscientifique au Massachusetts General Hospital de Boston, qui n’a pas participé à l’étude. « Les cancers peuvent être tellement insidieux qu’ils peuvent détourner de nombreux processus pour permettre leur propre survie et leur propre propagation. »
Avec Kazuhide Hayakawa, neuroscientifique au Massachusetts General Hospital, Eng Lo avait déjà découvert que, à la suite d’un accident vasculaire cérébral, les mitochondries sont transférées des astrocytes vers les neurones endommagés. « Cette [nouvelle] étude est très intéressante, car elle montre comment les cancers détournent un mécanisme [important] de réparation du système nerveux central et l’utilisent pour favoriser la croissance de la tumeur », explique Hayakawa.
L’IMPORTANCE DES MITOCHONDRIES
Les mitochondries constituent la principale source d’adénosine triphosphate (ATP), une molécule essentielle qui alimente tous les processus qui ont lieu dans chaque cellule. Les molécules d’oxygène au sein des mitochondries entrent en réaction avec le glucose pour faire tourner un moteur protéique, et ainsi fabriquer l’ATP. « Nous avons absolument besoin des mitochondries pour survivre, car sans énergie, nous ne pouvons rien faire », détaille Minna Roh-Johnson, biochimiste à l’Université de l’Utah à Salt Lake City.
Micrographie électronique à balayage colorée d'une mitochondrie dans une cellule nerveuse. Les mitochondries sont un type d'organite retrouvé dans le cytoplasme des cellules eucaryotes. À l'intérieur des mitochondries, les molécules d'oxygène réagissent avec les produits métaboliques du glucose pour fabriquer de l'ATP, une molécule qui alimente tous les processus qui ont lieu à l'intérieur de chaque cellule.
« Cependant, les mitochondries ne sont pas seulement une source d’ATP. Elles sont également le point de convergence d’un grand nombre de voies cellulaires permettant de générer de nombreuses composantes importantes de la cellule », révèle Jiří Neužil, biologiste cellulaire à l’Institut de biotechnologie de l’Académie tchèque des sciences à Prague.
Elles constituent les principaux capteurs de l’environnement dans lequel elles se trouvent. « Elles détectent s’il y a suffisamment d’énergie (c’est-à-dire des sources de nourriture) pour que la cellule se développe, s’il y a un danger associé à l’environnement local, et s’il est plutôt nécessaire de fournir de l’énergie pour la motilité ou de s’auto-détruire », explique Danny Welch, biologiste spécialiste du cancer au centre médical de l’Université du Kansas. Du fait de leur rôle essentiel, le transfert des mitochondries est considéré comme l’une des marques de fabrique du cancer.
En 2006, des scientifiques ont découvert pour la première fois que, dans le cas de cellules cultivées ensemble en laboratoire, les mitochondries étaient bel et bien transférées d’une cellule à l'autre. En 2014, d’autres recherches ont permis d’apprendre que les neurones de la rétine perdaient des mitochondries, ce qui a mené les spécialistes à penser que les neurones envoyaient simplement des mitochondries anciennes et endommagées vers des astrocytes adjacents sains dans le but de les « recycler ». En 2016, Hayakawa et Lo ont cependant découvert que les mitochondries pouvaient également être échangées dans le sens inverse : des astrocytes sains vers les neurones endommagés. Selon Hayakawa, ce transfert pourrait agir comme un appel à l’aide de la cellule, qui permettrait aux astrocytes de défendre les neurones vulnérables après un accident vasculaire cérébral.
Les travaux de Roh-Johnson, publiés cette année, ont également montré que dans le cas du cancer du sein, le transfert de mitochondries dysfonctionnelles vers des cellules cancéreuses stimulait les voies de signalisation cellulaire qui favorisent la métastase. Le mécanisme de ce transfert n’a toutefois pas encore été identifié.
Selon la biologiste, l’étude de Lathia montre qu’en se transférant d’une cellule saine à une cellule cancéreuse, les mitochondries peuvent reprogrammer les récepteurs et lui permettre de mieux s’adapter à son nouvel environnement au sein du cerveau.
LE TRANSFERT DES MITOCHONDRIES
En 2015, des scientifiques ont découvert que dans les tumeurs cérébrales telles que les glioblastomes, des tubes microscopiques forment des réseaux qui relient les cellules cancéreuses entre elles. Ces microtubes permettent ainsi à la maladie d’envahir les cellules saines et de proliférer sur de longues distances.
« Nous avons constaté qu’il y avait beaucoup de mitochondries dans ces microtubes. Nous avons donc eu l’idée de les étudier pour déterminer si le transfert mitochondrial se faisait à travers ces derniers », se souvient Hrvoje Miletic, neuropathologiste à l’Université de Bergen, en Norvège, qui a participé avec Lathia à la nouvelle étude.
Image de microscopie confocale à haute résolution révélant le transfert, par l'intermédiaire de microtubes, de mitochondries (en rouge) depuis le micro-environnement de la tumeur vers les cellules du glioblastome (en vert).
Cette image zoomée de microscopie confocale à haute résolution dévoile le transfert des mitochondries.
C'est l’étude de Hayakawa et Lo, parue en 2016, qui a poussé Lathia à chercher à savoir si les astrocytes cancéreux pouvaient ou non provoquer le transfert de mitochondries à partir de cellules saines, comme le font les neurones endommagés après un accident vasculaire cérébral. « En cas d’accident vasculaire cérébral, les neurones se meurent, et les astrocytes envoient des mitochondries pour tenter de les réanimer », explique Lathia.
Si, physiquement, il était possible que ce transfert de mitochondries se fasse également vers une tumeur cérébrale, il était difficile de déterminer les implications d’un tel phénomène, c’est pourquoi Lathia et Miletic ont décidé de s’associer. « Nos deux laboratoires indépendants obtenaient des résultats similaires », explique Miletic. « Nous avons donc décidé de nous réunir et de rassembler nos données dans un seul article. »
Pour suivre le transfert des mitochondries à travers les cellules, l’équipe de Lathia et Miletic a incorporé des mitochondries saines marquées avec une protéine s’illuminant en rouge sous une lumière fluorescente, dans des souris. Ils ont ensuite injecté à ces mêmes souris des cellules tumorales cérébrales conçues pour briller en vert. « C’était notre meilleure chance de démontrer qu’il y avait bien un transfert », commente Lathia.
Grâce à cette expérience, les scientifiques ont constaté que les cellules tumorales s’emparaient des mitochondries saines, ce qui a fourni la preuve la plus solide à ce jour indiquant que les mitochondries transférées provenaient bien de cellules saines.
LES CAUSES DU TRANSFERT
Pour identifier le processus permettant aux mitochondries de se déplacer d’une cellule à l’autre, l’équipe de Lathia et Miletic a cultivé des cellules humaines de glioblastome (marquées avec des protéines fluorescentes vertes) dans des boîtes de Petri avec des cellules saines contenant des mitochondries (marquées en rouge fluorescent). Au microscope, ils ont observé les mitochondries passer directement des cellules saines aux cellules cancéreuses du cerveau par l’intermédiaire de microtubes reliés les uns aux autres.
Les scientifiques ont constaté qu’entre 10 et 20 % des cellules tumorales humaines présentes dans la boîte de culture recevaient des mitochondries de la part des astrocytes. En volant ces mitochondries saines aux astrocytes, les cellules tumorales peuvent consommer davantage d’oxygène et, ainsi, se développer plus rapidement. Chez les souris, l’étude montre que les cellules de glioblastome qui comportaient de nombreuses mitochondries volées aux astrocytes proliféraient de manière plus agressive que celles qui ne portaient que leurs propres mitochondries, et étaient également plus aptes à former des tumeurs.
« Mon doctorant n’arrivait pas à croire aux premiers résultats ; il a dû répéter l’expérience plusieurs fois », confie Miletic.
Les scientifiques ont montré que, pour que le transfert de mitochondries ait lieu, les cellules devaient se toucher entre elles et qu’une protéine appelée GAP43 devait être présente afin de former les microtubes reliant les astrocytes et les cellules de glioblastome. « Les cellules tumorales doivent être connectées aux astrocytes par l’intermédiaire de ces microtubes », explique Miletic.
Bien que la nouvelle étude établisse fermement que cette protéine GAP43 a un rôle essentiel dans la formation de microtubes, la raison pour laquelle un tel transfert est déclenché en premier lieu demeure un mystère. « On ne sait pas non plus combien de mitochondries doivent pénétrer dans la cellule tumorale pour avoir un réel impact », reprend Welch.
Néanmoins, les scientifiques ont désormais la possibilité de rechercher des traitements potentiels capables de bloquer ce transfert de mitochondries depuis les cellules saines vers les cellules tumorales. « Mais cela va être particulièrement difficile dans le cas des tumeurs cérébrales, car il faut faire pénétrer le médicament dans le cerveau, à des concentrations efficaces, tout ça sans affecter l’activité normale des neurones », décrit Lathia. « Ce sera un véritable défi. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.