L'exercice physique peut favoriser (ou empêcher) votre digestion
Le sport peut avoir de nombreux effets sur le système digestif qui, dans de rares cas, peuvent s'avérer dangereux pour la santé. Quelques ajustements peuvent cependant suffire à éliminer les risques afin de ne profiter que de ses bienfaits.
L'exercice stimule la motilité gastro-intestinale, et encourage ainsi le passage des déchets métaboliques liés à l'alimentation dans le système digestif.
Le premier emploi de Ricardo Da Costa à la sortie du lycée, dans le Portugal des années 1990, était celui de triathlète professionnel. Il participait donc régulièrement à des compétitions pour lesquelles il devait à la fois nager, faire du vélo et courir. Costa souffrait de troubles gastro-intestinaux, un problème qu’il partageait avec ses collègues athlètes, sans pour autant tenter d'y remédier.
Certains athlètes souffraient de nausées et de maux d’estomac si intenses qu’ils ne pouvaient ni boire ni ingérer de nutriments pendant les courses, ce qui les obligeait parfois à abandonner. En effet, même si un exercice léger ou modéré peut contribuer à améliorer notre digestion, nos estomacs et nos intestins ne sont pas conçus pour des séances de sport d’une telle intensité. Les athlètes ne doivent donc pas seulement entraîner leurs muscles, mais aussi leurs intestins afin de leur apprendre à absorber et traiter l’eau et les aliments dont ils ont besoin pour rester hydratés et en forme pendant une longue course.
« Ils pensaient que [ces symptômes] étaient inhérents à la pratique du sport », se rappelle Costa qui, quant à lui, n’acceptait pas cette difficulté aussi facilement. Aujourd’hui, en tant que professeur associé à l’Université Monash en Australie, il étudie l’influence de l’alimentation et de la nutrition sur les performances sportives.
Costa étudie les effets de l’exercice physique sur la digestion, et les pratiques que les athlètes peuvent mettre en place afin de soulager leurs intestins et concourir au mieux de leurs capacités. Des athlètes amateurs et professionnels du monde entier viennent désormais le rencontrer dans son laboratoire afin d’obtenir une évaluation et un traitement.
Le spécialiste a beaucoup appris au cours des quinze dernières années. Même si vous n’êtes pas un athlète professionnel, l’exercice peut avoir de profondes répercussions sur votre digestion, qui peuvent dépendre du moment et de l’intensité de votre entraînement. Dans de rares cas, ces effets peuvent même être dangereux, mais pour la plupart d’entre nous, quelques ajustements peuvent suffire à limiter les risques.
COMMENT FONCTIONNE LA DIGESTION ?
La digestion commence avant même que l’on ouvre la bouche, révèle Arafa Djalal, gastro-entérologue à la Icahn School of Medicine at Mount Sinai, à New York.
Le simple fait de penser à la nourriture envoie un signal au cerveau qui remplit la bouche de salive et d’enzymes digestives. Lorsque les aliments pénètrent dans la bouche, ces enzymes, associées à la mastication, les décomposent pour nous permettre de les avaler. Ils passent ensuite par l’œsophage pour arriver dans l’estomac. Pendant les deux à cinq heures qui suivent, l’estomac se détend et se contracte, et libère des enzymes digestives qui décomposent les aliments jusqu’à ce qu’ils glissent dans l’intestin grêle, puis dans le gros intestin et, un à trois jours après le repas, les restes non digestibles sont excrétés.
Lorsque les aliments pénètrent dans les intestins, l’organisme peut les sentir appuyer sur les parois, ce qui stimule la sécrétion de nouvelles enzymes digestives ainsi que le péristaltisme, les contractions musculaires qui permettent de déplacer les aliments à travers les intestins. Ce processus nécessite de l’énergie, un flux sanguin ainsi qu’une communication entre les cellules.
L’EXERCICE MODÉRÉ
Si vous vous promenez ou faites une activité physique de faible intensité pendant la digestion, vous pouvez aider votre système digestif à faire son travail. La contraction des muscles abdominaux peut, par exemple, aider à stimuler le péristaltisme dans vos intestins.
« Vos biceps ou vos triceps sont des muscles squelettiques, ce sont des "muscles volontaires", ce qui signifie que vous pouvez fléchir votre biceps ou contracter vos ischio-jambiers comme vous le souhaitez », explique Robynne Chutkan, gastro-entérologue à Washington et autrice de quatre livres sur la santé de l’intestin. « Le tube digestif, quant à lui, est un muscle lisse. Il fonctionne indépendamment de votre volonté. » L’activité physique peut néanmoins accélérer son fonctionnement en favorisant la circulation du sang et en aidant les contractions des muscles lisses qui le constituent.
À long terme, l’exercice physique contribue à préserver la santé du système digestif, ce qui permet de mieux absorber les nutriments, détaille Florence-Damilola Odufalu, gastro-entérologue à la Keck School of Medicine de l’Université de Californie du Sud. L’exercice augmente la production de l’oxyde nitrique, une substance chimique qui aide à détendre les muscles de l’intestin et prévient l’inflammation.
L’exercice physique est également connu pour ses effets positifs sur la santé mentale. Les intestins sont tapissés de cellules nerveuses qui communiquent avec le cerveau et réagissent au stress par l’intermédiaire de neurotransmetteurs. De nombreux chercheurs estiment désormais que le syndrome de l’intestin irritable (SII), aussi appelé colopathie fonctionnelle, est en réalité un trouble de l’interaction entre l’intestin et le cerveau, fréquemment déclenché ou exacerbé par le stress, l’anxiété ou la dépression.
Bien que les personnes souffrant de troubles digestifs ne soient pas toujours en mesure de faire de l’exercice correctement durant leurs crises, lorsqu’elles y parviennent, cela est bénéfique. En effet, l’exercice peut notamment réduire les symptômes de dépression et d’anxiété qui sont à l’origine de ces crises.
« Il est important de souligner que [l’exercice physique] a de nombreux effets bénéfiques sur le corps, les os et la santé mentale », reprend Djalal, et que tous ces effets peuvent réduire les troubles digestifs, tels que le SII et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.
L’EXERCICE INTENSE
Si l’exercice physique léger ou modéré est presque toujours bénéfique pour la digestion, l’exercice physique intense requiert une certaine prudence.
« Une augmentation du flux sanguin se produit tout au long du tube digestif afin de permettre la digestion », décrit Djalal, et « lorsque vous faites de l’exercice, le sang est attiré dans d’autres zones : les muscles, les poumons et le cœur. » Le système digestif, les muscles et le système respiratoire entrent alors dans une sorte de compétition pour attirer le flux sanguin.
Lorsque vous vous entraînez à faible intensité, tous les systèmes peuvent se partager le flux sanguin et fonctionner correctement en même temps, mais lorsque le sport devient plus intense, vos muscles, vos poumons et votre cœur ont besoin de plus en plus de sang, ce qui en laisse beaucoup moins pour votre système digestif. Il est donc difficile pour votre corps de digérer quoi que ce soit.
Lorsque vous faites de l’exercice à haute intensité, votre corps transforme l’oxygène qui provient de vos plus grosses respirations pour créer de l’énergie, ou de l’ATP. Ce faisant, il crée également des sous-produits métaboliques tels que du lactate et des ions d’hydrogène. Lors d’un exercice léger, le corps peut facilement éliminer ces sous-produits avant qu’ils ne causent des problèmes, mais lorsqu’il commence à monter en intensité, il ne peut plus suivre. Le système digestif peut essayer de se débarrasser de ces sous-produits par le biais de vomissements. Selon Costa, c’est la raison pour laquelle il n’est pas rare de voir quelqu’un vomir même après une course de vitesse très courte, mais très intense, ou se sentir nauséeux après une séance de sport particulièrement difficile.
CHALEUR, DÉSHYDRATATION ET BACTÉRIES
La chaleur peut exacerber les problèmes digestifs provoqués par l’exercice. Lorsque la température corporelle augmente, le sang s’éloigne des organes internes et se dirige vers la peau afin d’aider le corps à se rafraîchir.
Par ailleurs, les séances de sport intenses provoquent toujours de la transpiration. Si vous n’êtes pas en mesure de réapprovisionner votre corps en liquide et en électrolytes suffisamment rapidement après les avoir perdus, l’hydratation finit par manquer. Le sang s’épaissit alors, ce qui ralentit sa circulation et aggrave les symptômes liés aux troubles digestifs, décrit Costa.
L’expert a également constaté que l’exercice physique pouvait endommager la muqueuse intestinale. En général, si l’exercice n’est pas trop intense pour la personne qui le pratique, le problème n’est pas grave.
« C’est comme pour les muscles. Vous faites de l’exercice, les muscles subissent des microdéchirures, et vous récupérez sous 24 à 48 heures », explique-t-il. Cependant, si l’intensité de l’exercice est telle que les intestins sont trop endommagés pour se réparer rapidement, des problèmes plus graves peuvent survenir, tels que la libération de bactéries intestinales dans le sang.
Le système immunitaire peut gérer la présence de quelques bactéries indésirables dans la circulation sanguine après un exercice. En revanche, si votre système immunitaire est affaibli ou si vous vous entraînez pendant des heures à une intensité supérieure à celle à laquelle votre corps est habitué (comme c’est le cas lors d’un ultra-triathlon, par exemple), la fuite bactérienne peut vous rendre extrêmement malade, voire vous tuer.
COMMENT SE PROTÉGER ?
De nombreuses personnes savent qu’il n’est pas recommandé de prendre un gros repas juste avant de faire de l’exercice, mais selon Costa et Djalal, contrairement à ce que l’on pourrait croire, pour la plupart d’entre nous, la solution la plus simple serait de consommer un petit en-cas comme une banane, un toast, ou une boisson glucidique 30 minutes à 1 heure avant la séance de sport.
L’idéal, ce sont les glucides et les sucres, poursuit Djalal, car ils sont absorbés rapidement pour servir de carburant. Lorsqu’ils traversent l’organisme, ces nutriments signalent à l’estomac et aux intestins qu’ils doivent continuer à travailler et à attirer le flux sanguin.
Pour les athlètes d’endurance, il est non seulement important de manger et de boire avant, mais aussi pendant l’exercice.
Costa a ainsi travaillé avec un triathlète professionnel espagnol qui participait à des triathlons plus courts depuis des années. Lorsqu’il a décidé de s’attaquer au triathlon Ironman classique (3,8 km de natation, 180,2 km de vélo et 42,2 km de course à pied), ses troubles digestifs se sont tellement aggravés que son estomac ne pouvait plus garder d’eau pendant la course, ce qui l’obligeait à abandonner pour cause de déshydratation.
Il s’est alors envolé pour l’Australie afin de travailler avec Costa, qui a découvert que l’athlète perdait beaucoup plus de liquide par sa transpiration que son estomac ne pouvait en absorber pendant la course. À chaque fois qu’il était sur le point de boire suffisamment de liquide, il se sentait plein et en régurgitait. Au cours des trois mois suivants, Costa l’a donc guidé pour lui permettre d’augmenter progressivement la quantité de liquide et d’énergie qu’il était capable d’absorber pendant l’exercice. Il n’entraînait pas seulement ses muscles, mais aussi son système digestif.
À la fin de ces trois mois, l’athlète a pu terminer un Ironman et, encore trois mois plus tard, il a participé à une nouvelle compétition. Il a non seulement terminé cette dernière, mais est également arrivé en troisième place.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.