Tous les adolescents sont anxieux... et c'est normal

Grands bouleversements, changements hormonaux et nouvelles relations sociales : à l'adolescence, de multiples raisons expliquent l'augmentation de l'anxiété. Comment la gérer et quand faut-il s'inquiéter ?

De Romy Roynard
Publication 12 juil. 2024, 14:41 CEST
Anxiété rejoint le quartier cérébral et les émotions déjà installées dans Vice-Versa.

Anxiété rejoint le quartier cérébral et les émotions déjà installées dans Vice-Versa.

PHOTOGRAPHIE DE The Walt Disney Company / Pixar

Dans le deuxième volet de Vice-Versa, Riley vient d’avoir treize ans et est sur le point d'entrer dans l’enseignement secondaire. L’île de l’amitié a pris une place prépondérante dans son cerveau, faisant de l’ombre à celle de la famille. Ses émotions, Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût, ont créé une nouvelle section de l'esprit, l’estime de soi, qui abrite des souvenirs et des sentiments qui représentent la personnalité fondamentale de Riley, les croyances qui la définissent. 

Alors que Riley s’apprête à partir pour un camp d’été, la console émotionnelle déclenche une alarme « Puberté ». Un groupe de travailleurs de l'esprit fait irruption dans le quartier cérébral pour améliorer la console et avertit les émotions que « les autres » arrivent. Les « autres », ce sont Envie, Ennui, Embarras, et leur cheffe, Anxiété. 

Très vite, Anxiété prend le dessus et rejette l’estime de soi au fond de l'esprit de Riley. Elle considère également que les anciennes émotions ne sont pas assez complexes pour répondre aux besoins de Riley, et les expulse du quartier cérébral.

À l’âge adulte, combien d’entre nous se souviennent de l’adolescent qu’ils ont été ? Combien le souhaitent, tant cette période peut être éprouvante ? Devenue une adulte peu anxieuse, je me suis forcée à me replonger dans mes émotions adolescentes. L’anxiété était-elle alors prépondérante ? Cette émotion est-elle inextricablement liée au tumulte de l’adolescence ? Est-elle inévitable, et si tel est le cas, comment apprendre à la gérer ?

 

L’ANXIÉTÉ, L’INVITÉE SURPRISE DE L’ADOLESCENCE

Grâce aux techniques récentes d’imagerie dynamique non-invasive du cerveau, des chercheurs sont parvenus à comprendre des processus importants du développement du cerveau entre l’âge de dix et vingt ans. Durant cette période, le cerveau se réorganise en profondeur, notamment au niveau du cortex préfrontal, siège des fonctions cognitives dites exécutives (le langage, la mémoire, le raisonnement). Les connexions et les fonctions de ses structures changent, pour ne se fixer que dans la première moitié de la trentaine. Cette plasticité renouvelée est une chance de rectifier les déséquilibres observés dans la petite enfance. C’est aussi une phase de grande vulnérabilité

« Il y a au moment de l’adolescence un changement brutal de l’architecture cérébrale. Elle change pendant toute l’enfance, mais à l’adolescence le système limbique (ou cerveau émotionnel) se développe beaucoup plus rapidement que le cortex préfrontal. La maturité postérieure du cortex préfrontal arrive à la fin de l’adolescence. C’est pourquoi la recherche de récompense immédiate n’est pendant cette période pas contrebalancée par une forme de contrôle. C’est pour cela qu’on observe beaucoup de conduites à risques et de débuts d’addictions chez les adolescents » étaye Philippe Hercberg, psychiatre ancien interne des hôpitaux de Paris installé à San Fernando, en Espagne.

L’un des changements hormonaux les plus importants, mis en lumière dans un article paru dans Nature Neuroscience, serait lié à l’augmentation de l’anxiété à la puberté. L’hormone THP (alloprégnanolone), présente dans le sang et le cerveau et normalement libérée en réponse au stress chez les adultes et les enfants préadolescents, serait inhibée chez les adolescents, provoquant une plus grande anxiété à la puberté. « Chez les enfants et les adultes, des hormones stéroïdes sont libérées en cas de stress continu. Après vingt minutes en moyenne, il a été démontré chez les rongeurs et les humains que cette hormone [alloprégnanolone] était plus présente » explique Sheryl S Smith, Professeure émérite de physiologie et pharmacologie à la SUNY Downstate Medical School et co-autrice de l'étude. « Son rôle est d'agir contre les récepteurs α4βδ GABAA en les inhibant, ce qui vous permet de vous détendre. C'est un mécanisme qui nous permet de réagir au stress. » 

Mais tout change à l'adolescence. « À l'adolescence, les récepteurs α4βδ GABAA augmentent de façon exponentielle dans plusieurs régions du cerveau, dont celle régulant l'humeur, le cortex préfrontal. Cette augmentation ne serait pas grave si l'alloprégnanolone pouvait agir et réguler l'activité cérébrale en cas de stress. Mais à la puberté, l'alloprégnanolone provoque une désensibilisation beaucoup plus importante. Les récepteurs, au lieu d'être capables de détendre les cellules nerveuses, n'ont que très peu d'effet. Le résultat que nous observons chez les souris à la puberté est une augmentation de l'anxiété. Si nous faisons la même injection avant ou après la puberté, nous constatons une diminution de l'anxiété. Les stéroïdes libérés en réaction au stress ont donc l'effet inverse à la puberté en raison de la forte augmentation de ces récepteurs dans une partie du cerveau où l'alloprégnanolone a l'effet inverse. » 

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    PHOTOGRAPHIE DE The Walt Disney Company / Pixar

     

    QUAND FAUT-IL S’INQUIÉTER ?

    « Il est courant que les adolescents ressentent une augmentation de l'anxiété en raison des changements hormonaux, cognitifs et sociaux qui surviennent durant cette période » abonde Ariane Hébert, psychologue québécoise et fondatrice de La boîte à psy, qui accompagne une patientèle d'enfants et d'adultes et a notamment écrit L'anxiété racontée aux enfants.

    L'adolescence est une période faite de changements, de questionnements et d'inconnus. Qui suis-je par rapport aux autres et pour les autres ? Quelle est ma place dans le monde ? À l'adolescence, il faut accepter son nouveau corps, l’intégrer à l’image de soi, développer ses propres valeurs, devenir plus autonome et faire des choix difficiles pour décider de son avenir professionnel. Quel adulte ne se sentirait pas submergé face à tant de changements en des temps si courts ?

    « Néanmoins, je ne considère pas que l'anxiété à l'adolescence soit inéluctable pour tous les jeunes » nuance Ariane Hébert. « Les influences familiales, sociales et les expériences individuelles jouent un rôle crucial dans la manière dont l'anxiété se manifeste. Avec un soutien approprié, comprenant des techniques de gestion du stress et un environnement familial stable, il est très raisonnable de penser que les adolescents peuvent apprendre à gérer leur stress de manière efficace​. »

    Quels sont les critères permettant d’établir que l’anxiété est suffisamment sévère pour être considérée comme un trouble ? Pour Ariane Hébert, il faut distinguer les troubles anxieux de la peur ou de l’anxiété passagère. « Pour être considérée comme un trouble, l'anxiété doit être persistante, ce qui signifie qu'elle persiste sur une longue période, et excessive, se manifestant de manière disproportionnée par rapport à la situation réelle, dépassant ce qui serait normalement attendu dans des circonstances similaires. De plus, elle doit entraîner une détresse suffisante pour perturber significativement la vie quotidienne de l'individu. »

     

    LES TECHNIQUES DE GESTION DU STRESS

    De plus en plus de praticiens recommandent une approche holistique pour la gestion des troubles anxieux, notamment des techniques de respiration profonde, la relaxation, le yoga, la visualisation, la musique comme autant d'outils pratiques dont il est possible de faire usage pour gérer les sensations désagréables liées à l'anxiété.

    « La méditation par exemple peut vous aider à avoir une réaction moins forte au stress. L'alloprégnanolone ne sera pas libérée en grande quantité et l'anxiété sera moins forte » indique Sheryl S Smith.

    Des ajustements du mode de vie sur le long terme peuvent également induire la production des quatre « hormones du bonheur » : la dopamine, la sérotonine, l’ocytocine et l'endorphine. La production d’une partie de ces hormones est liée à une alimentation équilibrée et variée, synonyme d’un microbiote intestinal en bonne santé. L’intestin fournit entre 90 et 95 % de la sérotonine de l’organisme. Cette hormone transmet les messages entre les cellules nerveuses et aide à réguler le sommeil, l’humeur et la digestion. Le microbiote intestinal contribue aussi à la production d’autres neurotransmetteurs et substances chimiques tels que la dopamine et la tryptamine, qui jouent un rôle dans l’anxiété et la dépression. 

    Pour rééquilibrer son microbiote intestinal, il est recommandé de consommer des aliments riches en fibres, comme des glucides complexes contenus dans les céréales, des légumes et des légumineuses, ainsi que des aliments fermentés qui contiennent leurs propres probiotiques (des micro-organismes vivants qui augmentent la diversité du microbiote dans l’intestin). Il est aussi recommandé de limiter la consommation de sucres et de les associer à des fibres. 

    Anxiété, Ennui, Envie et Embarras viennent rejoindre la petite équipe des émotions au quartier général pour faire entrer Riley dans l'adolescence. 

    PHOTOGRAPHIE DE The Walt Disney Company / Pixar

    Les endorphines sont libérées par l’activité physique, par un divertissement comme de la musique ou un film, mais aussi par le rire. Le contact physique comme les étreintes, les embrassades ou les rapports sexuels sont autant de déclencheurs infaillibles de la libération d’ocytocine. Il a également été démontré que le fait de participer à une conversation, de rendre service ou d’interagir avec un animal provoquait une libération d'ocytocine.

    Pour bénéficier des avantages des techniques et stratégies de gestion de l’anxiété, les enfants et adolescents ont toutefois besoin de référents, rappelle Ariane Hébert : le rôle du parent devient celui de tuteur et de modèle dans l'application de ces stratégies. « Dans une perspective préventive, il est crucial d'être prévisible et bienveillant, de fixer des objectifs clairs, et de nourrir le sentiment d'appartenance ainsi que l'estime personnelle de l'enfant afin de créer des conditions de développement optimales. » Elle juge par ailleurs tout aussi essentiel d'apprendre aux enfants à confronter leurs pensées anxieuses et à les remplacer par des pensées plus aidantes. 

     

    UNE NOUVELLE ÉMOTION ?

    Si l’adolescence est synonyme d’un pic de l’anxiété, les premiers signes peuvent apparaître dès le plus jeune âge, généralement entre quatre et six ans, même dans un environnement stable, c'est-à-dire sans violence intra-familiale ou scolaire et sans stress traumatique.

    « Parmi les signes et symptômes les plus courants, on observe des changements brusques de comportement tels que l’agitation, l'irritabilité, et des accès de colère intenses. Les enfants peuvent également éprouver des difficultés de concentration ou de mémoire, des modifications d’appétit, une propension à la fatigue rapide, ainsi que des défis dans l’établissement de relations sociales, préférant souvent la solitude et ayant des difficultés à s’exprimer en public » énumère Ariane Hébert. « Sur le plan physique, ils peuvent se plaindre de maux de ventre, de maux de tête ou ressentir une tension musculaire. Les troubles du sommeil sont aussi fréquents. En outre, ils peuvent rechercher constamment l'assurance de leurs parents, préférant rester près d'eux ou posant des questions de manière répétée. »

    Paul Ekman, psychologue américain et l’un des spécialistes les plus influents dans l’étude des émotions, a élaboré en 1973 la théorie des six émotions primaires universelles : la joie, la tristesse, le dégoût, la peur, la colère et la surprise. Une théorie remise en question en 2017 par des psychologues de l'Université de Californie à Berkeley, qui ont identifié vingt-sept catégories distinctes permettant de décrire « toute la palette des émotions qui colorent notre monde intérieur » : Admiration, Adoration, Appréciation esthétique, Amusement, Colère, Anxiété, Émerveillement, Malaise (embarras), Ennui, Calme (sérénité), Confusion, Envie (craving), Dégoût, Douleur empathique, Intérêt étonné, intrigué, Excitation (stimulation, montée d'adrénaline), Peur, Horreur, Intérêt, Joie, Nostalgie, Soulagement, Romance, Tristesse, Satisfaction, Désir sexuel, Surprise. 

    Si toutes les émotions ne coexistent pas nécessairement dès l’enfance, certaines sont déjà installées, et selon les expériences que l’enfant vivra et son entourage direct, elles pourront évoluer ou s’intensifier.

    « Dès la naissance, les enfants commencent à développer leurs capacités à ressentir et à exprimer différentes émotions : leur jardin est une terre fertile prête à accueillir une multitude de graines. Les premières graines plantées sont souvent celles liées à des besoins fondamentaux tels que la faim, le confort et la sécurité » image Ariane Hébert. « À mesure que l'enfant grandit, de nouvelles graines d'émotions plus complexes, comme la fierté, la honte, la culpabilité et l'embarras, sont plantées. Chaque expérience personnelle, chaque interaction avec l'entourage aide ces graines à germer et à s'épanouir. »

    Une rapide introspection m'a permis de me rappeler que mon adolescence, comme les autres, avait été marquée par une plus grande anxiété, des épisodes qui me paraissent toujours marqués par l'embarras deux décennies plus tard. Mais de la même manière que les émotions de Riley apprennent à se connaître pour coexister au mieux, j'ai appris à gérer les épisodes de stress. Du moins jusqu'à ce que mes enfants entrent à leur tour dans l'adolescence... 

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