Les diamants sont-ils vraiment éternels ?
Cette pierre précieuse pas si rare est devenue le symbole de l’amour éternel grâce à une incroyable campagne marketing.
Pesant 599 carats, le diamant Centenary est l’un des plus gros et plus purs au monde. Il a été découvert en 1986 dans la mine sud-africaine de Premier Mine appartenant à De Beers.
Lorsque Gladys Babson Hannaford a visité l’université d’État de Floride en 1960, ses conférences ne figuraient pas vraiment au programme. Celle que l’on surnommait « la Dame aux diamants » n’était d’ailleurs pas une professeure comme les autres. Elle qui a donné des centaines de conférences par an sur les pierres précieuses était en réalité salariée d’une agence de publicité, qui avait un objectif simple, mais ambitieux : rendre les Américaines folles des diamants.
À l’époque, le prix de ces pierres précieuses (qui ne sont pas rares) était fixé par le client de l’agence, le conglomérat diamantaire mondial De Beers. Et les bagues de fiançailles ornées d’un diamant n’étaient pas encore une tradition. Cela n’a cependant pas empêché Gladys Babson Hannaford de déclarer que les diamants étaient des pierres précieuses à l’importante valeur historique et émotionnelle. « La durabilité d’un diamant est associée à un amour éternel », avait-elle annoncé aux étudiants, encourageant l’audience féminine à exiger de leur futur fiancé une bague ornée de diamants.
Les conférences de Gladys s’inscrivaient dans le cadre d’une campagne continue longue de plusieurs décennies visant à rendre les bagues de fiançailles ornées de diamants populaires. Ces cadeaux désormais obligatoires étaient pourtant loin d’être traditionnels lorsque De Beers a commencé à en faire la promotion en tant que symbole rare de l’amour.
UNE MARQUE D’AMOUR ROYALE
Jusqu’au 19e siècle, le sous-continent indien et l’Amérique du Sud étaient les principaux fournisseurs de diamants au monde. Connues depuis l’Antiquité, ces pierres précieuses ne sont devenues à la mode en Europe de l’Ouest qu’au début du 13e siècle. Ce n’est qu’à la Renaissance que l’industrie de la taille des diamants est née, lorsque les artisans se sont mis à utiliser de nouveaux outils pour tailler des facettes dans les pierres mal dégrossies et brutes, un procédé permettant de mettre en valeur leur brillant et de les préparer pour les transformer en de magnifiques bijoux.
Un joailler tient dans sa main quatre diamants taillés et polis, provenant d’une seule pierre de 265,82 carats. C’est à la Renaissance que l’industrie de la taille des diamants est née, lorsque les artisans se sont mis à utiliser de nouveaux outils pour tailler des facettes dans les pierres mal dégrossies et brutes.
Ces nouveaux diamants à facettes étaient incroyablement beaux. Ils étaient aussi très rares, si bien qu’ils sont devenus des symboles de richesse et de luxe pour ceux qui pouvaient se les offrir. Un de ces joyaux est entré dans l’histoire en ornant la toute première bague de fiançailles, offerte par l’archiduc Maximilien, futur empereur du Saint-Empire, à Marie de Bourgogne en 1477. Cette même année, l’un des conseillers de l’archiduc lui aurait dit d’avoir « une bague sertie de diamants et aussi une bague en or » prêtes en vue de ses fiançailles à sa promise. Selon le minéralogiste George Frederick Kunz, ce cadeau est la preuve, des siècles plus tard, que les bagues de fiançailles ornées de diamants étaient déjà à la mode chez la royauté de l’époque.
Les Européens lambdas sont eux restés indifférents à cette mode, échangeant des anneaux en fer, des vêtements et du bétail lorsqu’ils décidaient de se marier. En parallèle, les membres de la royauté ont continué à échanger des joyaux précieux pour leurs fiançailles, à l’instar de la reine Victoria. En 1839, elle a ainsi reçu du Prince Albert une bague de fiançailles en or en forme de serpent, symbole populaire de l’amour éternel à l’époque. Elle était ornée d’une grosse émeraude (la pierre de naissance de la reine), ainsi que de deux rubis et d’un diamant, les yeux et la bouche du reptile respectivement. La reine Victoria est à l’origine de nombreuses tendances en matière de bijoux et aurait lancé la mode du mariage en blanc.
UNE PIERRE PRÉCIEUSE LOIN D’ÊTRE RARE
C’est dans les années 1860 que des diamants ont été découverts sur les terres d’une ferme sud-africaine appartenant à Johannes et Diederik de Beer, deux colons néerlandais. Ces derniers ont par la suite vendu la mine exploitée sur leur propriété (et qui portait leur nom) à une entreprise britannique. Elle a ensuite été acquise par Cecil Rhodes, entrepreneur et homme politique britannique tristement célèbre, qui a commencé à acheter les nouvelles mines, consolidant ainsi l’ensemble de l’industrie diamantaire de la région. Le conglomérat qui en a résulté, De Beers, contrôlait le marché mondial du diamant au début du 20e siècle.
Des mineurs travaillant dans une mine De Beers à Kimberley, en Afrique du Sud, vers 1900.
Ces découvertes ont toutefois posé un problème pour l’industrie. Avec les mines sud-africaines, l’approvisionnement mondial en diamants a considérablement augmenté et De Beers a fini par posséder 90 % des diamants dans le monde. L’entreprise s’est alors retrouvée dans une position délicate, puisqu’elle devait maintenir la valeur monétaire des pierres précieuses tout en préservant leur réputation de produits de luxe malgré leur abondance. Ce fut particulièrement le cas au début du 20e siècle, la demande chutant fortement en Europe avec les guerres mondiales et la grande dépression.
Sous l’impulsion d’Ernest Oppenheimer, alors propriétaire du conglomérat, De Beers s’est alors tourné vers les États-Unis, un marché encore inexploité. Mais les bagues de fiançailles serties de diamants étaient loin d’être la norme dans l’Amérique du début du 20e siècle. Cela n’a pas stoppé De Beers pour autant, qui, avec l’aide des publicitaires de l’agence N.W. Ayer de Philadelphie, a convaincu les Américains d’acheter des diamants en les présentant comme des articles de luxe nécessaires, symboles de l’amour éternel, ce qui justifiait leur prix élevé.
UN DIAMANT POUR L’ÉTERNITÉ
Dès les années 1940, l’agence de publicité Ayers a bombardé les Américains d’images de diamants et d’histoires vantant leur rareté et leur symbolique. Dans les magazines, les publicités montraient de jeunes mondaines fiancées, une bague sertie de diamants au doigt. De Beers a prêté des diamants à d’importantes stars hollywoodiennes, a présenté ses bijoux et a envoyé des représentants (comme la Dame aux diamants) dans des clubs de femmes, des groupes sociaux et même des lycées américains pour faire la publicité de ces pierres précieuses et créer un lien subliminal entre les diamants et le mariage.
Plus d’une centaine de diamants sont disséminés à la surface d’une fraise, parmi ses akènes.
Les membres de la royauté ont aussi apporté leur contribution. Alors qu’elle visitait les mines De Beers en Afrique du Sud en 1947, la reine Elizabeth a accepté un collier de diamants étincelant de la part du gouvernement de l’Afrique du Sud ainsi qu’un diamant de six carats offert par De Beers. La bague de fiançailles d’Elizabeth, imaginée par son fiancé et futur époux le prince Philip, était aussi ornée de diamants. Ceux-ci provenaient d’une tiare sertie de diamants et d’aigues-marines offerte à la mère de Philip par le tsar Nicolas de Russie. Cette bague iconique (et très photographiée) a contribué à alimenter l’appétit du public pour les diamants et a rappelé aux consommateurs que les diamants n’étaient pas qu’une affaire de femmes. De Beers a joué sur cet angle, ciblant les hommes en faisant des diamants un symbole de la réussite économique et de la position sociale des hommes, représentées par le caillou reposant sur le doigt de leur promise.
La campagne marketing était si importante qu’elle a résulté en un slogan généralement considéré comme le meilleur de tous les temps. Mary Frances Gerety, rédactrice publicitaire d’Ayers qui ne s’est d’ailleurs jamais mariée, trouve la fameuse accroche A Diamond is Forever (« Un diamant est éternel ») en 1948. Elle est à ce jour encore utilisée par De Beers et l’industrie diamantaire. Pour les universitaires, ce slogan concis « [transmet] également l’idée selon laquelle la bague ne devrait pas être revendue en raison de sa valeur sentimentale », encourageant ainsi l’achat d’un nouveau diamant en cas de remariage.
L’objectif de De Beers était ambitieux : faire des diamants une « nécessité psychologique » et un objet indispensable des fiançailles, quels que soient son coût, les revenus de l’acheteur ou les difficultés financières auxquelles il pouvait être confronté. Et cela a porté ses fruits. Selon le Conseil mondial du diamant, les ventes mondiales de bijoux représentent plus de 72 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an, les États-Unis étant le principal consommateur. Quant au conglomérat De Beers, il ne contrôle désormais plus la majorité des diamants du monde en raison de la découverte de nouvelles mines, de la concurrence et de l’émergence des diamants de synthèse.
Il suffit toutefois de faire un petit tour sur Instagram pour constater que la tendance des bagues de fiançailles ornées de diamants n’est pas prête de disparaître. En fait, les réseaux sociaux sont même considérés comme le principal moteur des ventes de diamants, une majorité de couples fraîchement fiancés annonçant la bonne nouvelle sur ces plateformes. Malgré la baisse des ventes de bagues de fiançailles pendant la pandémie de COVID-19, les vendeurs espèrent que cette tendance va s’inverser. Comme l’a dit la Dame aux diamants en 1960, les « diamants sont l’épine dorsale de l’activité des joaillers ». Tout cela grâce à un marketing bien avisé.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.