Comment les cactus parviennent-ils à survivre dans les environnements les plus hostiles ?

Beaucoup savent que les cactus stockent de l’eau, mais saviez-vous que leurs fleurs migrent ? Les scientifiques s’inspirent de ces stratégies de survie pour imaginer le monde de demain.

De Angela Posada-Swafford
Publication 28 oct. 2024, 15:09 CET
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Les fleurs jaune et blanc cassé du saguaro s’ouvrent en série autour de la couronne de la plante.

PHOTOGRAPHIE DE Christian Ziegler

Par une journée printanière ensoleillée, un cactus esseulé de 8,5 mètres de haut s’élevait au-dessus des broussailles poussiéreuses du Parc national de Saguaro, en Arizona. Malgré la fournaise et le soleil de plomb, le géant à épines se portait bien. Il avait récemment plu dans le parc et la plante aux côtes plissées était gorgée de centaines de litres d’eau.

Ce réservoir interne aide les cactus à survivre là où les autres plantes flétriraient instantanément. Mais le cactus saguaro (Carnegiea gigantea), endémique du désert de Sonora situé à cheval entre les États-Unis et le Mexique, cache un autre tour de passepasse évolutif. Pour l’observer, Don Swann, un biologiste du parc, a positionné une perche télescopique faite sur mesure extra longue et surmontée d’un appareil photo au-dessus de la couronne du géant. Il a ensuite pris plusieurs clichés, les derniers d’une série d’images photographiées depuis quelques semaines. C’est plus tard dans l’après-midi, alors qu’il regardait la série d’images en accéléré, qu’il a remarqué que « quelque chose relevant du miracle » s’était produit.

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À cheval entre les États-Unis et le Mexique, le désert de Sonora abrite 140 espèces de cactus, qui survivent dans des conditions de plus en plus chaudes et sèches.

PHOTOGRAPHIE DE Christian Ziegler

Les photos mettaient en évidence un chapelet de fleurs jaune et blanche bien fermées, qui encerclait le haut de la plante. Les fleurs de saguaro n’éclosent qu’une fois et généralement de nuit, pour protéger leur délicate anatomie interne des longues heures d’exposition au soleil brûlant. Mais les photos, vues à la suite, ont dévoilé quelque chose d’autre : les boutons semblaient se déplacer. De la mi-avril à la mi-juin, les fleurs ont effectué une lente migration dans le sens des aiguilles d’une montre, se déplaçant radialement de la face est de la plante vers son côté nord, le plus ombragé.

« Les saguaros pourraient ainsi profiter des températures plus chaudes et d’une exposition plus importante au soleil pendant la période plus fraîche du début du printemps, tout en minimisant les effets délétères de la chaleur à mesure que l’on avance dans la saison », suggère Don Swann.

Au cours des cinq dernières années, le biologiste et d’autres scientifiques du parc ont fait équipe avec un groupe de scientifiques citoyens afin de photographier cinquante-cinq saguaros, devenant ainsi les premiers chercheurs à confirmer à l’aide de preuves visuelles la survenue annuelle de cette migration florale. Et il ne s’agit là que d’un exemple associé à une seule espèce : il existe en tout plus de 1 500 espèces connues de cactus, qui, bien que menacées par l’imprévisibilité du changement climatique et les pressions anthropiques, continuent de vivre dans quelques-uns des environnements les plus rudes sur Terre.

« On entend beaucoup de choses négatives et inquiétantes au sujet des cactus, estime Ben Wilder, écologue spécialiste des plantes désertiques et directeur de Next Generation Sonoran Desert Researchers, une organisation qui met en relation des spécialistes des deux côtés de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Pour moi, les cactus sont un très bel exemple d’adaptation aux milieux arides et de stratégies différentes de résilience et de prospérité ».

Les chercheurs estiment que les cactus représentent désormais une nouvelle frontière de survie, dont nous pourrions nous inspirer pour le futur.

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    MM9826- cactus spines

    Les scientifiques ont découvert que les épines du cactus saguaro renferment des informations sur les conditions climatiques passées, à l’instar des cernes d’un arbre.

    PHOTOGRAPHIE DE Christian Ziegler
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    Une abeille autochtone pollinise une fleur de cactus. Les abeilles autochtones parviennent mieux que les abeilles européennes à polliniser les cactus du désert. En échange, les plantes fournissent un type de pollen spécifique dont ont besoin les abeilles pour nourrir leur progéniture.

    PHOTOGRAPHIE DE Christian Ziegler

    La famille des Cactacées, qui a évolué il y a 35 millions d’années en Amérique, rassemble quelques-unes des plantes les plus diverses et originales de la planète. Ces cactus peuvent prendre la forme d’immenses arbres atteignant jusqu’à 18 mètres de haut, d’épais ballons ou bien être aussi petits qu’une pièce d’un centime. Certains sont des « pierres vivantes » capables de vivre dans des sols qui dessècheraient n’importe quelle autre plante, tandis que d’autres sont recouverts d’un abondant duvet blanc qui les protègent des éléments et du froid des hautes altitudes des Andes.

    Aucune de ces plantes n’existerait sans une évolution clé : les cactus et autres succulentes ont développé une technique unique de photosynthèse. Dès qu’une plante ouvre ses pores pour absorber le dioxyde de carbone nécessaire à la conversion de l’énergie, elle perd de l’eau. Si cela se produit fréquemment en journée, l’eau s’évaporera rapidement en raison des températures élevées.

    Pour éviter cela, les plantes désertiques n’ouvrent leurs pores qu’une fois le soleil couché. Elles absorbent alors les gaz atmosphériques et les transforment en acide malique. Celui-ci est ensuite stocké dans de grands sacs à l’intérieur des cellules des plantes pour être utilisé le lendemain. Ce processus est connu sous le nom de métabolisme acide crassulacéen (ou CAM pour crassulacean acid metabolism).

    John Cushman, professeur de biochimie et de biologie moléculaire à l’université du Nevada de Reno (États-Unis), rêve de cultiver ce trait génétique chez d’autres plantes. Dans le domaine agricole, cela pourrait se traduire par des cultures affichant une meilleure capacité de rétention de l’eau en cas de sécheresse. Cela n’est cependant pas pour demain. En attendant, les chercheurs ont trouvé une autre façon de rendre les plantes n’appartenant pas à la famille des Cactacées plus proches des cactus.

    Pour cultiver le CAM dans de nouvelles plantes, les scientifiques doivent d’abord altérer l’anatomie de leurs feuilles afin qu’elles stockent de l’acide malique et accueillent des cellules de taille supérieure, lesquelles jouent le rôle d’entrepôts de traitement pour cette interaction. Les cellules de taille supérieure permettent aux plantes de retenir davantage d’eau, ce qui favorise la succulence, ou la capacité de tissus d’un végétal à grossir et à emprisonner davantage l’humidité disponible. Dans une étude parue en 2018, John Cushman a exposé la technique de la succulence des tissus chez une petite mauvaise herbe à fleurs blanches appelée arabette des dames (Arabidopsis thaliana). Une étude de suivi, publiée en 2020, a révélé que les feuilles d'une plante expérimentale étaient devenues 40 % plus épaisses.

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    Un seul cactus peut présenter diverses caractéristiques. Ces épines qui font leur apparition sur la partie inférieure d’un cactus totem sont courtes.

    PHOTOGRAPHIE DE Christian Ziegler
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    Une chauve-souris Leptonycteris yerbabuenae boit le nectar d’une fleur de saguaro, qui fleurit une seule fois, la nuit, avant de se refermer le lendemain.

    PHOTOGRAPHIE DE Christian Ziegler

    « C’est une adaptation passionnante sur laquelle nous avons encore beaucoup à apprendre », explique John Cushman. Par exemple, si une plante peut augmenter la quantité d'eau qu'elle transporte dans ses tissus, elle peut probablement diluer les sels excessifs qui ont tendance à se concentrer dans le sol pendant les périodes de sécheresse. Le professeur applique actuellement cette science au soja, deuxième plus importante culture de base des États-Unis, dans l'espoir d'améliorer considérablement la sécurité alimentaire.

    Créer des cultures et des plantes plus intelligentes grâce à des attributs s’inspirant des cactus est un grand pas en avant. Les chercheurs cherchent actuellement à identifier d'autres superpouvoirs pouvant être appliqués de manière spectaculaire à des innovations qui ne nécessitent pas de plantes du tout, comme par exemple, les nouveaux matériaux de construction. L'une des avancées les plus intéressantes concerne Copiapoa, un genre qui comprend au moins trente-deux espèces, que l’on trouve pour la plupart dans la région côtière d'Atacama, dans le nord du Chili, le désert non polaire le plus aride de la planète. Pour les scientifiques, c’est leur forme unique qui expliquerait leur résistance. La plupart des plantes mesurent entre 12 et 15 centimètres de diamètre environ, et peuvent former des coussins gris-verdâtre qui parsèment un paysage sinistre autrement dépourvu de végétation.

    « On sait très peu de choses sur la biologie de ces plantes », précise Carol Peña, botaniste à l'université de Concepción, au Chili, qui se rend régulièrement dans les collines arides de l'arrière-pays pour étudier la façon dont elles survivent. Elle les trouve souvent nichées entre les plis de la roche dans un ravin ou sur des falaises abruptes faisant face à la côte.

    Comme l’explique la botaniste, les copiapoas survivent très certainement en « buvant » le brouillard (camanchaca) salé en provenance de la mer qui balaie la zone tous les matins, ainsi que la rosée qui condense sur leurs épines et leur peau. Cette découverte, documentée par de nombreux scientifiques, a poussé Tegwen Malik, chercheuse en biomimétisme de l’université de Swansea au Royaume-Uni, à se demander si ce processus de collecte de la rosée pouvait être reproduit sur des structures métalliques.

    La chercheuse a notamment étudié les épines coniques longues de plus de trois centimètres de l’espèce C. cinerea var. Haseltoniana, un cactus sphérique vert et ambre, et a découvert que sa surface était recouverte de minuscules rainures qui s’élargissaient à la base de la plante. « Cela crée un gradient de rugosité qui permet de collecter les fines gouttes de rosée, même sous l’effet de la gravité », explique-t-elle.

    C’est en 2013 qu’elle décide de recréer cette structure en concevant une réplique en acier plat et aluminium de la tige et des épines du cactus, qu’elle a ensuite exposé à une série de températures et de taux d’humidité différents. Après plusieurs années d’expérimentation en intérieur et en extérieur, et en utilisant diverses méthodes de refroidissement, la chercheuse a fini par obtenir le résultat escompté. En 2023, elle a publié une étude démontrant que la surface profilée et couverte d’épines était 8 % plus efficace pour collecter la rosée que la plaque de métal qui avait servi de base.

    Pour optimiser sa conception, elle imagine des maisons dans le désert qui seraient équipées de ces collecteurs d’eau. L’innovation pourrait même être adoptée plus largement à des fins humanitaires, pour garantir l’accès à l’eau potable dans les régions arides qui manquent de ressources. « Le plus simple serait d’installer les surfaces collectrices de rosée sur les tuiles d’un toit, mais elles peuvent aussi être posées sur des tentes dans le désert par exemple, indique Tegwen Malik. Les copiapoas sont des perles rares dont nous commençons à peine à percer les secrets », conclut-elle.

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    Un colibri inspecte les fleurs d’un Stenocereus alamosensis, un cactus que l’on ne trouve qu’au Mexique. La plante, qui ressemble à un fourré de tiges épineuses en grandissant, peut mesurer jusqu’à neuf mètres de large.

    PHOTOGRAPHIE DE Christian Ziegler

    Alors que les scientifiques n’ont jamais été aussi proches de révéler les secrets de ce cactus, l’avenir de la plante est incertain. Selon une étude rédigée par Bárbara Goettsch, vice-présidente du Groupe de spécialistes des cactus et plantes succulentes de l'Union internationale pour la conservation de la nature, entre 60 à 90 % des espèces de cactus seront négativement impactées par le changement climatique ou l’activité humaine. « Les cactus figurent parmi les groupes taxonomiques évalués les plus menacés à ce jour », souligne-t-elle.

    Preuve en est : le mois de mars 2021 a marqué la fin de l’année la plus sèche depuis soixante-dix ans dans le sud de la péninsule de Basse-Californie, au Mexique. En réaction, de vastes étendues de l’iconique cactus orgue (Stenocereus thurberi) ont jauni.

    Ben Wilder, directeur du groupe de recherche de Sonora, a décrit ce phénomène comme un « évènement de roussissement des cactus », dont les effets sur le long terme demeurent en grande partie inconnus. On sait toutefois que les systèmes photosynthétiques de certaines plantes semblent se détériorer en raison du stress engendré par la chaleur intense et le manque d’humidité. « Ce que nous observons, c’est que des évènements extrêmes de sécheresse et de chaleur intense ont une incidence sur la population de cactus au niveau du paysage », analyse-t-il.

    À Tucson, Don Swann se montre optimiste concernant les espèces qu’il photographie soigneusement. Il a récemment intégré le projet de sciences participatives Saguaro Arms Citizen Science Project, lancé en 2023, et a découvert que les cactus saguaros faisaient pousser leur premier bras sur leur côté exposé au sud-est, pour recevoir le plus d’énergie du soleil. Il fait également partie du projet de recherche Future of the Saguaro, un partenariat visant à élucider les stratégies adoptées par les saguaros face au changement climatique, notamment grâce à la plantation de plants d’essais à des fins d’études de la génétique associée à la résistance thermique.

    Sous un soleil de plomb, Don Swann fait un geste en direction d’une pente recouverte de ces cactus iconiques, qui ressemblent, avec leurs bras tordus, à des humains. « Ces saguaros vont vivre encore longtemps », assure le biologiste. Certains spécimens peuvent vivre plus de deux cents ans. De quoi laisser le temps de faire quelques découvertes.

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    Même l’emblématique cactus saguaro fait face à un avenir incertain. Sa survie est remise en cause par la chaleur intense, la sécheresse et les feux de forêt.

    PHOTOGRAPHIE DE VICTOR AMMANN

    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic daté novembre 2024.

    Membre du club des explorateurs, Angela Posada-Swafford vit à Miami. Elle écrit principalement sur les initiatives scientifiques dans le monde. Son dernier article pour National Geographic portait sur les grenouilles de verre de l’Équateur.

    Le photojournaliste Christian Ziegler, qui vit entre l’Allemagne et le Panama, a été nommé Explorateur National Geographic en 2013. Sa spécialité est la photographie de forêts tropicales, par laquelle il met en évidence des espèces rares et la complexité des écosystèmes.

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