Le syndrome de l’épaule gelée toucherait principalement les femmes
Même si la capsulite rétractile ou « épaule gelée » peut sévir pendant des années, la recherche médicale a longtemps douté de son existence et ne l’a donc que peu étudiée. Aujourd’hui, de nouveaux traitements pourraient enfin permettre de la guérir.
L’épaule gelée est une maladie qui se traduit par une raideur et une difficulté à lever le bras. Elle peut être causée par des déchirures partielles des tendons de l’épaule, comme le montre cette IRM.
Étriers, frottis, contrôles prénataux : dans son cabinet très fréquenté du Duke Women’s Health à Durham, en Caroline du Nord, la gynécologue-obstétricienne Anne Ford s’occupe de patientes de tous âges, et habituellement de la partie inférieure de leur buste.
Anne Ford a pourtant remarqué qu’un sous-ensemble de ses patientes (en périménopause ou ménopausées) se présentait aux rendez-vous pour un problème à première vue sans rapport avec la gynécologie : des cas de capsulite rétractile ou « épaule gelée », une pathologie mal comprise, souvent douloureuse et incurable, qui peut provoquer des inflammations de l’articulation de l’épaule et l’immobiliser pendant des mois, voire des années.
En réalité, cette affection touche plus souvent les femmes en péri ou postménopause ; trois quarts des patients souffrant d’épaule gelée sont d’ailleurs des femmes.
« Le simple fait d’être une femme est un facteur de risque pour l’épaule gelée », explique la chirurgienne orthopédique Jocelyn Wittstein qui, en tant que praticienne spécialiste de l’épaule, prend aussi en charge un grand nombre de patients souffrant de cette maladie.
Étonnamment (ou pas), les causes de l'épaule gelée n'ont été que peu étudiées. Ford et Wittstein, qui enseignent toutes deux à la faculté de médecine de l’université Duke, ont récemment présenté des travaux de recherche suggérant que le traitement hormonal de la ménopause (autrefois connu sous le nom de traitement hormonal substitutif ou THS) pourrait protéger les femmes de la capsulite rétractile.
Ce premier pas dans un domaine assez peu étudié est source d’espoir pour les femmes qui se préparent à la ménopause ou qui en subissent actuellement les effets.
« L’ÉPAULE DE LA CINQUANTAINE »
Le syndrome de l’épaule gelée toucherait entre 2 et 5 % de la population mondiale, dont une grande majorité de femmes âgées de 40 à 60 ans ; une période de la vie coïncidant avec la ménopause.
Contrairement aux blessures dues à une sursollicitation ou à un traumatisme des articulations, l’épaule gelée, qui consiste en une inflammation du tissu conjonctif ou capsule qui entoure l’articulation de l’épaule, apparaît avec l’âge. Une fois l’épaule « gelée », les patients peuvent être pris dans un cercle vicieux.
« Les malades ont tendance à solliciter leur épaule, ce qui aggrave l’inflammation », explique Wittstein. « Forcer l’amplitude des mouvements, c’est comme mettre de l’huile sur le feu : ça empire la chose. Bien qu’il existe des traitements (généralement des stéroïdes administrés par voie orale ou par injection, ainsi que des séances de kinésithérapie et des exercices à reproduire à la maison), il n’existe aucun remède à cette pathologie, qui peut durer des mois, voire des années. L’épaule finit un jour par “dégeler”, mais entre-temps, la maladie peut autant avoir été source d’inconfort qu’avoir provoqué une douleur insupportable. »
Certaines personnes sont plus sujettes à cette maladie que d’autres comme les diabétiques, par exemple, et les personnes d’origine asiatique, chez qui l’épaule gelée ou une épaule douloureuse et enflammée est le principal symptôme de la ménopause, explique Wittstein. D’ailleurs, dans certains pays asiatiques, cette maladie est si courante qu’on l’appelle « épaule de la cinquantaine » ou « épaule des cinquante ans ».
PERTE D’ŒSTROGÈNES ET DOULEURS ARTICULAIRES
Avec l’âge, les ovaires produisent moins d’œstrogènes (l’une des hormones les plus importantes chez la femme) et à la ménopause, ils cessent totalement la production d’œstrogènes et de progestérone. Ce changement dans le taux d’hormones sexuelles peut aussi bien avoir des répercussions sur la densité osseuse que sur le cœur et les articulations.
On estime que 50 % ou plus des femmes souffrent d’arthralgie, ou de douleurs articulaires, pendant la ménopause. Mais les effets des œstrogènes sur le système musculo-squelettique sont peu étudiés et mal compris, et il n’existe pas de traitement complet pour ces douleurs articulaires provoquées par la ménopause.
Il peut être difficile de s’étirer pour soulager la douleur quand on souffre d’épaule gelée, mais selon les recherches en cours, l’hormonothérapie pourrait être un traitement prometteur.
Pour tenter d’en savoir plus, Ford et Wittstein ont comparé les symptômes de l’épaule gelée de personnes qui suivaient un traitement hormonal de la ménopause et de personnes qui n’augmentaient pas leur taux d’œstrogènes à l’aide de médicaments. Elles ont mené une étude rétrospective sur 1 952 patientes âgées de 45 à 60 ans, en cherchant dans leurs dossiers médicaux des signes de ménopause, un recours à une thérapie hormonale et des symptômes ou un diagnostic de capsulite rétractile.
Environ 8 % des patientes, soit 152 d’entre elles, suivaient un traitement hormonal ; en comparaison, les patientes qui n’avaient pas recours à l’hormonothérapie avaient 99 % de chances supplémentaires de souffrir d’épaule gelée.
Les médecins soulignent néanmoins que l’échantillon était de petite taille et que les probabilités, bien qu’élevées, ne sont pas statistiquement significatives en raison de la taille de l’étude. Depuis qu’elles ont présenté leurs travaux à leurs collègues de la North American Menopause Society et de l’American Orthopedic Society for Sports Medicine, Ford et Wittstein envisagent désormais d’étendre leurs recherches à une population plus large.
« La science fondamentale a du sens », soutient Wittstein, en faisant référence à une récente étude ayant démontré l’implication des œstrogènes dans les muscles squelettiques. Mais selon les médecins, la science a longtemps eu du mal à comprendre le fonctionnement des œstrogènes et de la santé articulaire. En effet, les préjugés, le manque d’implication des chercheurs sur le sujet, un système de santé qui privilégie les symptômes au détriment d’une prise en charge globale du patient et la méfiance du public à l’égard du traitement de la ménopause ont entravé les progrès pendant des années ; or pendant ce temps, les épaules des femmes ménopausées continuent de geler.
« PERSONNALITÉ FIGÉE » ET « TRAITS HYSTÉRIQUES »
Wittstein souligne également que 94 % des chirurgiens orthopédistes ne subiront jamais les effets de la ménopause, puisque les femmes ne représenteraient que 6 % des chirurgiens orthopédistes en exercice.
La peur du public face aux traitements hormonaux ne facilite pas les choses, note Anne Ford. Bien qu’il soit prouvé que la supplémentation en œstrogènes peut soulager les symptômes de la ménopause et réduire le risque de fractures osseuses, d’accidents vasculaires cérébraux et d’autres affections, le public reste méfiant à l’égard du traitement hormonal en raison de la désinformation qui s’est répandue à la suite d’une étude majeure de 2002 ayant démontré que les premières formes de ce traitement avaient eu des effets néfastes. Même si le traitement hormonal substitutif est devenu plus sûr, explique Ford, l’opinion publique n’a pas suivi l’évolution de la pratique médicale actuelle. En conséquence, un groupe de recherche a souligné dans une revue de littérature de 2022 que « malgré des interventions hormonales et non hormonales reconnues comme sans danger pour la santé, la plupart des femmes souffrant de symptômes ménopausiques gênants ne bénéficient pas d’un traitement efficace, approuvé et fondé sur des preuves ».
Il pourrait également s’avérer difficile de parvenir à un consensus scientifique sur la manière dont les œstrogènes affectent les articulations lors de la ménopause, et ce pour une raison plus insidieuse : un manque d’urgence dû à la stigmatisation de la ménopause et à l’incapacité persistante du corps médical à reconnaître et à étudier la douleur des femmes. Les femmes souffrant de douleurs doivent attendre un traitement plus longtemps que leurs homologues masculins et risquent de se faire diagnostiquer pour des problèmes psychiatriques au lieu de recevoir un traitement. Une étude réalisée en 2022 a montré que lorsque des femmes d’âge moyen se présentaient pour une maladie coronarienne, elles étaient 31,3 % plus susceptibles que leurs homologues masculins d’être diagnostiquées pour un problème de santé mentale plutôt que pour leur problème sous-jacent.
Ce phénomène existe également en orthopédie et a longtemps perduré dans le cas des diagnostics de capsulites rétractiles. Bien que le terme « épaule gelée » ait été utilisé pour la première fois en 1934, la définition de la maladie fait toujours l’objet de débats, tout comme l’existence des douleurs articulaires liées à la ménopause.
Dans les années 1970, les préjugés des professionnels de santé et la confusion persistante concernant cette pathologie sont entrés en conflit lorsque des chercheurs britanniques ont publié une étude sur la personnalité de quarante femmes souffrant de capsulite.
« De nombreux cliniciens ont l’impression anecdotique que l’affection survient souvent chez un type de personnalité typique, comme une épaule “gelée” chez une personnalité “gelée” », ont écrit les chercheurs. Ils ont conclu que les femmes souffrant de cette maladie présentaient une anxiété « prémorbide », une insécurité et des « traits hystériques » accrus par rapport aux 14 hommes étudiés.
Il reste encore beaucoup à apprendre sur l’impact des œstrogènes sur les muscles et les os. D’ailleurs, d’autres chercheurs ont mis en évidence un lien entre une hormone de grossesse appelée relaxine et le soulagement des symptômes de l’épaule gelée chez les femmes enceintes. Mais selon Ford et Wittstein comme ces recherches n’en sont qu’à leurs débuts, le meilleur moyen de se prémunir contre des maladies comme la capsulite rétractile est de se livrer régulièrement à des exercices de mise en charge, d’avoir une alimentation saine et de prendre conscience que l’augmentation des douleurs peut être un symptôme de la ménopause.
L’hormonothérapie pourra peut-être bientôt servir à contrer les symptômes de l'épaule gelée. En attendant, les personnes concernées devront prendre leur mal en patience et attendre que des chercheurs investis se penchent sur la santé des femmes, si longtemps négligée par la communauté scientifique.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.