La schizophrénie est encore plus incomprise chez les femmes

Il reste encore beaucoup à apprendre sur la façon dont ce trouble affecte les femmes, qui sont plus susceptibles que les hommes d'être mal diagnostiquées et de développer la maladie à un âge tardif.

De Meryl Davids Landau
Publication 11 déc. 2023, 18:41 CET
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La schizophrénie est un terme général désignant un groupe de maladies psychotiques caractérisées par des perturbations de la pensée, des réactions émotionnelles et du comportement. Au cours d’un épisode schizophrénique, les pensées et le comportement de la personne atteinte de la maladie ne se connectent pas de manière logique ; cette pensée désordonnée se traduit par un discours confus et décousu. Dans certains cas, le discours se désintègre pour donner une association de phrases étranges et de syllabes isolées.

ILLUSTRATION DE LOUISE WILLIAMS, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Longtemps considérées comme le parent pauvre des soins de santé, les maladies mentales telles que la dépression et l’anxiété ont gagné en visibilité et sont désormais mieux comprises. Il n’en va pas de même pour la schizophrénie, en particulier chez les femmes.

Le problème vient en partie du fait que l'on a longtemps considéré la schizophrénie, qui est une maladie mentale grave caractérisée par des hallucinations, des délires et des pensées erronées, comme une pathologie rare. En effet, selon les chiffres officiels, le taux de schizophrénie serait de l’ordre de 0,5 %. Cependant, de nouvelles recherches publiées cet été par l’organisme à but non lucratif Research Triangle Institute, ont démontré que cette estimation était largement en deçà de la réalité puisqu’environ 1,6 % des femmes américaines auraient déjà souffert d’un trouble schizophrénique au cours de leur vie, contre 2 % des hommes, qui sont souvent le visage de la maladie.

« On devrait davantage s’intéresser à la schizophrénie », en particulier chez les femmes, soutient Deanna Kelly, psychiatre et chercheuse au Maryland Psychiatric Research Center de l’université du Maryland. Du fait de l’insuffisance des recherches au cours de l’histoire, le corps médical a des difficultés à comprendre les différences entre les femmes et les hommes atteints de schizophrénie, ce qui peut avoir des incidences sur la qualité des soins prodigués, souligne-t-elle.

Selon Katy Thakkar, psychologue à l’université de l’État du Michigan, qui a récemment examiné certaines de ces lacunes informationnelles, il reste encore beaucoup à apprendre sur la maladie chez la femme. Comme différence, citons par exemple que le premier épisode schizophrénique a tendance à se manifester au cours de l’adolescence chez les hommes, contre trois à cinq ans plus tard chez les femmes voire, dans certains cas, bien des années plus tard, au cours de la ménopause.

Les médecins ont longtemps pensé que les femmes atteintes de schizophrénie vivaient mieux la maladie que les hommes, or ce n’est pas nécessairement le cas. Bien que les femmes atteintes de schizophrénie soient moins susceptibles de se suicider que les hommes, une étude menée en Finlande et publiée dans la revue Nature a révélé que les femmes sont légèrement plus susceptibles d’être hospitalisées en raison de leur maladie dans les dix années suivant leur diagnostic.

 

OBTENIR LE BON DIAGNOSTIC

Les disparités commencent dès les premières étapes de suivi puisque les femmes atteintes de schizophrénie ont plus de risques d'être mal diagnostiquées.

Analisa Chase ne le sait que trop bien. Cette thérapeute de 31 ans spécialisée dans l’autisme et qui vit à Takoma, dans l’État de Washington, est atteinte d’un trouble schizo-affectif, qui combine périodiquement les symptômes psychotiques de la schizophrénie à ceux d’une dépression.

Jusqu’à l’âge de 15 ans, Analisa était une adolescente heureuse, membre de l’équipe de natation et de la chorale de son lycée. Puis la maladie s’est installée, raconte-t-elle : « [Elle est sortie] de nulle part, comme si on avait appuyé sur un interrupteur ». Le risque de contracter la schizophrénie serait à 80 % d'origine génétique. Analisa n’a pourtant pas d’antécédents familiaux connus.

Des voix ont commencé à lui dire qu’elle était une prophétesse choisie par Jésus et l’exhortaient à se purifier pour remplir ce rôle. Analisa a ainsi commencé à porter des vêtements blancs et à éviter de manger et de boire. Lorsqu’elle marchait dans sa maison la nuit, elle voyait des esprits sombres ramper dans les escaliers et son propre visage changer de forme dans le miroir.

Analisa a essayé de garder pour elle ses idées délirantes, mais au bout de quelques semaines, sa mère, Patricia Stewart, a commencé à s’inquiéter, notamment lorsqu’elle a remarqué qu'Analisa refusait de boire ne serait-ce qu’une gorgée d’eau. Mme Stewart a emmené sa fille à l’hôpital, où les médecins lui ont diagnostiqué à tort un trouble bipolaire de type 1 (également connu sous le nom de trouble maniaco-dépressif) et lui ont prescrit du lithium, un traitement inefficace contre la schizophrénie.

« J’ai longtemps cru que j’étais bipolaire », raconte Analisa. Il lui a fallu dix ans, de nombreux épisodes psychotiques et plusieurs hospitalisations avant de recevoir le bon diagnostic.

Par ailleurs, il est souvent difficile d'établir un diagnostic car les personnes souffrant de délires ne le reconnaissent généralement pas. « On va rarement chez le médecin parce qu’on a l’impression de ne pas avoir les idées claires », explique Abigail Donovan, directrice des services cliniques du programme sur les psychoses au Massachusetts General Hospital. « Pour que ça arrive, il faut généralement que l’entourage fasse remarquer au malade que quelque chose ne tourne pas rond. » C’est ce qu’a fait Mme Stewart avec Analisa. 

Soulignons également que la maladie est généralement plus visible chez les hommes, notamment aux yeux de leur famille et de leurs enseignants, car les hommes ont tendance à présenter davantage de « symptômes négatifs » tels que de l’apathie et un repli sur soi, en plus des délires et des hallucinations, explique Donovan.

Il est crucial de recevoir un diagnostic précoce, car « toutes les données montrent que plus on attend avant de suivre un bon traitement, plus le pronostic est mauvais. Les personnes qui bénéficient d’une prise en charge précoce se rétablissent plus rapidement et restent en bonne santé plus longtemps », explique Kelly.

Depuis que cela a été avéré, plusieurs États américains ont financé ces dernières années des cliniques spécialisées dans la prise en charge précoce des premiers épisodes psychotiques ou First-Episode Clinics (dont le Massachusettes General Hospital de Donovan est l’un des premiers modèles). Une étude publiée en août a démontré qu’un traitement précoce et complet était le moyen le plus efficace de réduire les symptômes et d'améliorer la qualité de vie des malades.

 

LE RÔLE DES HORMONES FÉMININES

La maladie a également plus tendance à passer inaperçue chez les femmes en raison du rôle protecteur des œstrogènes, ce qui explique en partie pourquoi le taux de schizophrénie chez les femmes est légèrement plus bas que chez les hommes.

Comme le cerveau baigne dans l’hormone après la puberté, les femmes à risque passent leur adolescence à nouer des relations et à s’épanouir à l’école, ce qui leur apporte un soutien important lorsqu’elles tombent malades quelques années plus tard, explique John Krystal, titulaire de la chaire de psychiatrie à la faculté de médecine de Yale. Les garçons, eux, tombent généralement malades avant cette période sociale cruciale, ce qui explique peut-être pourquoi les hommes atteints de la maladie peuvent être mis à l’écart de la société et, parfois, finir à la rue.

Cependant, lorsque le cerveau cesse de produire l’hormone protectrice lors de la ménopause, les femmes qui avaient jusque-là évité la psychose se retrouvent subitement confrontées à la maladie. Il est rare d’en faire pour la première fois l’expérience après 40 ans, même si cela pourrait concerner jusqu’à 15 % des femmes atteintes de schizophrénie, soit deux fois plus que les hommes au même âge.

« Nous ne savons pas exactement pourquoi cela arrive ni quels traitements ou interventions sont les plus efficaces à cet âge. Le vide informationnel à ce sujet est impressionnant », déclare Thakkar. Il n’est même pas certain que les hormones soient le seul facteur à l’origine de cette soudaine manifestation tardive, car à cette période de leur vie, les femmes subissent également un stress important, entre les enfants devenus adultes, la prise en charge de parents âgés et/ou, parfois, un divorce. Or le stress est connu pour déclencher la maladie chez les personnes qui y sont génétiquement prédisposées, ajoute-t-elle.

Aucune directive thérapeutique particulière n’a été formulée pour les femmes diagnostiquées à la quarantaine, alors qu'elles risquent de ne pas réagir de la même manière aux médicaments que les patientes plus jeunes, et qu’un traitement hormonal de la ménopause pourrait potentiellement les aider, explique Thakkar. Elle et ses collègues recrutent actuellement des femmes dans le cadre d’une étude visant à répondre à certaines de ces questions.

L’apparition tardive de la maladie justifie également des psychothérapies particulières. « Comment aider l’enfant d’une femme d’un certain âge à maintenir une relation étroite et aimante avec un parent qui peut faire ou dire des choses dénuées de sens ? Et comment aider la famille à rester intacte et soudée ? », demande Donovan.

 

DE LA NÉCESSITÉ D’UNE MÉDICATION APPROPRIÉE 

Même les femmes diagnostiquées plus jeunes, comme c’est généralement le cas, rencontrent leur lot de difficultés. Prenons le cas des facteurs environnementaux qui conduisent à la psychose. Kelly pointe notamment du doigt les violences physiques subies par les filles dans l’enfance puisque ses recherches montrent qu’elles entraînent par la suite un nombre nettement plus élevé de symptômes psychotiques comparé aux femmes qui n’ont pas été maltraitées ou même par rapport aux hommes qui l’ont été.

Les scientifiques s’inquiètent également de l’impact de la consommation de cannabis sur l’incidence de la schizophrénie chez les adolescentes vivant dans des États où cette drogue a été légalisée ; cela pourrait encore réduire l’écart concernant les taux de schizophrénie entre les sexes.

« On sait que la consommation de cannabis à l’adolescence augmente la probabilité d’exprimer des symptômes psychotiques », explique Krystal. Selon une étude publiée en mars dans le Lancet, la consommation de cannabis est l’un des facteurs les plus prédictifs de rechute chez les personnes atteintes de schizophrénie.

En ce qui concerne les traitements, de nombreux antipsychotiques courants entraînent des effets secondaires plus graves chez les femmes que chez les hommes, notamment de l’hypertension et des troubles du rythme cardiaque. Certaines présentent également une incidence plus élevée d’hyperprolactinémie, un effet secondaire particulièrement désagréable qui se traduit par une production de lait, et qui pousse certaines femmes à interrompre leur traitement.

Le Dr Kelly a constaté que l’ajout d’un antipsychotique, l’aripiprazole, permettait de réduire considérablement ce problème chez les femmes. De tels résultats soulignent la nécessité de mener des recherches supplémentaires sur les traitements en fonction des genres, ajoute-t-elle.

Il existe également des disparités en ce qui concerne l'accès à la clozapine, le médicament le plus efficace contre la schizophrénie.

Selon les experts, ce médicament est sous-prescrit de manière générale, mais encore plus chez les femmes. Selon l’étude de Nature, dans les cinq années suivant le diagnostic, seulement 27 % des femmes atteintes de schizophrénie prenaient ce médicament, contre 31 % des hommes.

Les psychiatres hésitent à prescrire de la clozapine, du moins en partie, en raison des exigences strictes en matière de sécurité imposées par l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) des États-Unis, connues sous le nom de stratégie d’évaluation et d’atténuation des risques (REMS), explique le docteur Kelly.

La FDA exige des REMS parce que la clozapine est connue pour potentiellement provoquer une chute de certains globules blancs, ce qui peut entraîner des infections graves, voire la mort. Les médecins qui prescrivent ce médicament demandent à leurs patients sous traitement de faire régulièrement des analyses sanguines (toutes les semaines pendant les six premiers mois).

Kelly souhaiterait que les contrôles sanguins soient moins fréquents, en particulier après la première année, lorsque le risque diminue de manière significative. Au printemps dernier, elle a témoigné à ce sujet aux côtés d'Analisa devant un comité du Congrès.

« Le risque de suicide [chez les patients atteints de schizophrénie non contrôlée] est plusieurs centaines de fois voire plusieurs milliers de fois plus élevé que le risque de décéder à cause d’un faible taux de globules blancs », insiste Kelly.

Bien qu'Analisa ait consulté de nombreux psychiatres après avoir été correctement diagnostiquée, personne ne lui a proposé de prendre de la clozapine, explique Mme Stewart, qui s’occupe de ses soins. Au lieu de cela, Analisa a lutté pendant des années contre des symptômes épisodiques et des effets secondaires gênants, le tout sous sept médicaments successifs.

Mme Stewart a fini par découvrir la clozapine dans un groupe sur les médias sociaux. Lorsqu’elle en a parlé aux médecins d'Analisa, ils ont tous refusé de lui faire suivre ce traitement.

« En tant que mère et avocate, j’ai dû me battre pour qu’Analisa reçoive la médication adéquate. Comment peut-on attendre d’une personne souffrant de cette maladie qu’elle se défende elle-même ? », souligne Mme Stewart. Finalement, il y a quatre ans, après un nouvel épisode psychotique majeur et une hospitalisation d’un mois, Analisa a été mise sous clozapine.

« Je vois encore des choses et j’entends parfois des voix, mais maintenant j'arrive à séparer la réalité de ce qui n’est pas réel, et à m’en détacher », dit-elle.

Depuis qu’elle a commencé à prendre ce médicament, Analisa est devenue suffisamment stable pour vivre seule, obtenir un diplôme universitaire, un emploi à temps partiel et nouer une relation amoureuse saine. « Elle s’est incroyablement bien débrouillée en dépit des difficultés », souligne Mme Stewart.

« La schizophrénie est considérée comme un trouble qui isole le malade et le rend incapable de fonctionner en société », explique Kelly. L’obtention d’un diagnostic et d’un traitement adéquats bouleverse cette trajectoire. « Les femmes vivent, travaillent et s'épanouissent parmi nous. Certaines ne redeviennent pas exactement la personne qu'elles étaient avant », mais avec l’aide appropriée, elles peuvent mener une vie épanouissante et qui a du sens.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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