Votre alimentation peut augmenter (ou réduire) les risques de développer un cancer
Les maladies métaboliques comme l'hypertension ou le diabète peuvent provoquer une réaction inflammatoire qui endommage l'ADN, ce qui, avec le temps, peut entraîner la mutation de cellules normales en cellules cancéreuses.
Le syndrome métabolique, un amas de symptômes dont l'hypertension, l'hypercholestérolémie, le diabète et l'excès de graisse abdominale, est à présent lié à une augmentation de la prévalence et de la progression des cancers. Ci-dessus, une patiente fait vérifier sa tension artérielle dans une clinique.
Urvi Shaha était étudiante en onco-hématologie lorsqu'on lui a diagnostiqué un lymphome de Hodgkin, un cancer qui affecte le système lymphatique. Urvi Shah a dû subir quatre mois de chimiothérapie intense pour vaincre la maladie. Elle s'est alors interrogée sur le rôle que son alimentation avait pu jouer dans l'éradication de son cancer.
« J'ai eu beaucoup de recommandations de la part d'amis ou de membres de ma famille sur ce que je devais ou non manger, et j'ai réalisé qu'on n'apprenait pas le rôle de l'alimentation sur la santé en école de médecine », déclare Shah. « En tant que patiente, je voulais pouvoir agir pour ma santé. »
Intriguée par les preuves que les aliments végétaux riches en fibres réduisent l'incidence du cancer et le risque de récidive, Urvi Shah a recentré ses recherches sur les facteurs de risque modifiables du cancer, notamment la nutrition, l'obésité, le diabète et le microbiote. Aujourd'hui spécialiste du myélome et professeure adjointe au Memorial Sloan Kettering Cancer Center, Urvi Shah dirige quatre études d'intervention diététique (essais NUTRIVENTION) visant à fournir des conseils nutritionnels aux patients atteints de cancer.
Le travail d'Urvi Shah fait partie d'un corps de recherche grandissant laissant entendre qu'un groupe de maladies métaboliques comme l'obésité, le diabète, l'hypertension, l'hypercholestérolémie et l'hypertriglycéridémie, qui touche environ 33 % des Français, pourrait être un facteur clé dans l'apparition et la progression de nombreux cancers. Le terme médical « syndrome métabolique » désigne les personnes touchées par au moins trois de ces symptômes. L'incidence de ce syndrome est en hausse depuis des décennies et le régime alimentaire occidental, associé à un mode de vie inactif, est en grande partie responsable.
L'abus d'alcool, de sucre et d'aliments riches en graisses, ainsi que le fait de passer la majeure partie de son temps assis, entraînent une réaction inflammatoire qui, au fil du temps, endommage l'ADN. Malheureusement, plus votre ADN est endommagé, plus les cellules sont susceptibles de devenir cancéreuses.
Notre vision du cancer en tant que maladie génétique a conduit au développement de thérapies ciblant des mutations génétiques spécifiques, explique Stephen Freedland, directeur du centre de recherche intégrée sur le cancer et le mode de vie, à Cedars-Sinai. « Mais nous savons à présent que le cancer est une maladie métabolique avec des besoins métaboliques uniques, et de nombreux changements génétiques qui se produisent en cas de cancer régulent le métabolisme. »
D'après les estimations du Centre international de recherche sur le cancer, il y a eu environ 20 millions de nouveaux cas de cancers en 2022 et 9.7 millions de morts à cause d'un cancer. Dans de nombreux pays à hauts revenus, le cancer est devenu la cause de mort principale, dépassant les maladies cardiaques. Et, bien que le séquençage génétique ait fait progresser la connaissance en termes de changements génomiques qui se produisent en cas de cancer, il n'a pas permis la mise au point de nombreuses cibles thérapeutiques efficaces.
Les cellules cancéreuses présentant des millions d'altérations génétiques, la mise au point de médicaments spécifiques aux tumeurs est une tâche ardue. Ce que les scientifiques savent, c'est qu'un métabolisme défectueux, processus par lequel les cellules génèrent et utilisent de l'énergie, est une caractéristique du cancer. Cela suggère que la reprogrammation métabolique des cellules cancéreuses pourrait être une stratégie de traitement viable.
LES ACTEURS DU MÉTABOLISME DANS LE CANCER
Seulement 5 à 10 % des cancers sont liés à une mutation génétique spécifique, et pas une seule de ces mutations n'est associée à tous les types de cancers. Les changements métaboliques, d'un autre côté, surviennent dans presque tous les cas de cancers. Il semble donc que le taux de cancers augmente avec l'épidémie croissante des maladies métaboliques.
Une étude de 2024, menée sur 44 000 personnes en Chine et publiée dans le journal Cancer, indique que les personnes touchées par au moins trois des cinq signes caractéristiques du syndrome métabolique avaient un risque 30 % plus élevé de développer des cancers de tout type au cours de la période d'étude de neuf ans, en comparaison avec celles touchées par moins de trois de ces signes. Les chercheurs ont découvert que le risque de développer un cancer du sein, de l'endomètre, du rein, du côlon et du foie chez les personnes appartenant au groupe ayant les taux les plus élevés de syndrome métabolique était de deux à quatre fois supérieur à celui des personnes ayant les taux les plus faibles.
L'obésité, qui est un signe caractéristique du syndrome métabolique, est associée à des niveaux élevés d'inflammation qui endommagent les tissus sains et contribuent à l'apparition d'au moins treize cancers. Par exemple, des études montrent que les femmes obèses ont un risque trois fois plus élevé de développer un cancer de l'endomètre et un risque deux fois et demie plus élevé de développer un cancer du rein que les femmes ayant un poids normal et étant métaboliquement en bonne santé.
« L'excès de graisse corporelle, en particulier dans la ceinture abdominale, entraîne une augmentation de l'inflammation, de la glycémie et de la production du facteur de croissance analogue à l'insuline (IGF-1), qui sont tous liés à certains cancers », explique Freedland. « Les mécanismes peuvent être différents selon les types de cancer, mais le dysfonctionnement métabolique est le dénominateur commun. »
Mais notre alimentation et notre poids ne sont pas les seuls facteurs. Des recherches démontrent que même les individus de poids normal avec un syndrome métabolique ont un risque plus élevé de développer un cancer. Le mode de vie, par exemple, peut changer la réaction du corps à l'insuline et la façon dont vous convertissez l'énergie des aliments en carburant disponible.
De nombreuses études lient les cancers de tous types avec le stress, les troubles du sommeil, l'inactivité et la solitude, indépendamment du poids ou de l'indice de masse corporelle.
LES CELLULES CANCÉREUSES AVALENT LE GLUCOSE
La théorie selon laquelle le cancer est une maladie métabolique remonte aux années 1920 lorsque l'Allemand Otto Warburg a mis en lumière que les cellules cancéreuses présentaient une bizarrerie métabolique. Contrairement aux cellules saines, les cellules cancéreuses utilisent presque exclusivement le glucose comme source d'énergie, même quand il y a suffisamment d'oxygène pour décomposer les sources d'énergie alternatives telles que les acides gras et les protéines.
Cette caractéristique permet de détecter le cancer à un stade précoce grâce à la tomographie par émission de positrons (TEP) au fluorodésoxyglucose (FDG), un test d'imagerie non invasif qui suit la consommation de glucose par les cellules et permet d'identifier les cellules cancéreuses, celles qui consomment le plus de glucose.
La question qui se pose est la suivante : peut-on affamer les cellules cancéreuses en supprimant le sucre ?
La majorité des scientifiques ne sont pas prêts à l'affirmer, mais plusieurs études établissent un lien entre la consommation excessive de glucose dans les boissons sucrées et le sucre avec l'augmentation du risque de cancer. Les recherches laissent supposer que les patients diabétiques qui prennent de la metformine, un médicament stabilisant la glycémie, sont moins susceptibles de développer un cancer que ceux que ne prennent pas de médicament.
Contrairement aux cellules normales, qui arrêtent de grandir en réaction à des signaux hormonaux, le métabolisme défectueux des cellules cancéreuses interfère avec ces systèmes de signaux. Deux hormones essentielles produites par le tissu adipeux, la leptine et l'adiponectine, peuvent jouer un rôle dans la conversion de cellules normales en cellules cancéreuses lorsque leur équilibre est altéré.
Un faible taux d'adiponectine et un taux élevé de leptine sont associés à l'obésité et au syndrome métabolique, explique Shah. Ce rapport modifié « est associé à un risque accru de cancer en raison de la résistance à l'insuline et de l'inflammation, deux facteurs clés du cancer. »
Ce qui reste obscur, cependant, c'est de savoir si les altérations génétiques conduisent à un métabolisme déréglé dans le cancer ou si un métabolisme déréglé est à l'origine des altérations génétiques observées dans les cas de cancer.
« Le syndrome métabolique mène à des changements génétiques, qui vous prédisposent à développer un cancer », explique Suresh T. Chari, gastroentérologue au MD Anderson Cancer Center de l'Université du Texas à Houston, qui cherche à savoir si certains biomarqueurs métaboliques pourraient aider à détecter le cancer plus tôt. « Mais le cancer en lui-même cause énormément de perturbations métaboliques dans les années qui précèdent son diagnostic, sûrement pour qu'il puisse survivre. »
D'après Chari, ce lien propose une opportunité : les conditions métaboliques, telles que le diabète, et les facteurs tels que les niveaux de lipide ou les protéines C-réactives, une mesure d'inflammation, pourraient contribuer à détecter les cancers évasifs plus tôt. Et parce que les deux processus sont étroitement liés, les outils qui permettent de lutter contre les troubles métaboliques pourraient également permettre d'apprivoiser tous les types de cancer.
VERS UNE INTERVENTION PRÉCOCE
La conception des scientifiques des fondements métaboliques du cancer continue d'évoluer. D'après Urvi Shah, la surveillance d'éléments tels que la glycémie, la tension artérielle et le cholestérol, ainsi que la prise de mesures visant à reprogrammer les dysfonctionnements métaboliques, peuvent aider les médecins à détecter le cancer plus tôt, voire à le prévenir complètement.
« Certains sont sceptiques quant au fait que ces facteurs de risque modifiables ne confèrent qu'un risque modeste et que nous ne devrions donc pas encombrer les patients avec ces informations », déclare Shah. « Mais d'après mon expérience, les patients sont avides d'informations sur la manière dont ils peuvent prévenir ou réduire le processus de la maladie, et des données solides suggèrent que la surveillance de la gestion du syndrome métabolique constituent une stratégie importante de prévention et de traitement. »
Dans l'un des tests d'Urvi Shah, les boissons sucrées étaient associées avec un risque 40 à 60 % plus élevé d'avoir des protéines anormales dans le sang, liées au risque de myélome multiple. À l'inverse, les céréales complètes, les fruits et les légumes sont associés à une réduction de 30 à 50 % du risque de cet état précancéreux. Les recherches suggèrent également que l'adoption d'un mode de vie sain sur le plan métabolique peut améliorer les chances de survie des personnes atteintes d'un cancer.
Grâce aux nombreux moyens d'améliorer les facteurs de risque métaboliques, les patients peuvent prendre leur santé en main, du moins jusqu'à un certain point. Ils doivent savoir que la quantité, le moment et le contenu de leur alimentation font une différence. Faire du sport pourrait réduire leur risque de développer un cancer et améliorer les résultats des traitements s'ils sont déjà diagnostiqués. Et remplacer les sodas par de l'eau avec un zeste de citron vert est la chose la plus simple à faire parmi les statégies de prévention du cancer.
« Les patients ont un pouvoir énorme », déclare Freedland. « Les décisions qu'ils prennent chaque jour peuvent faire une différence considérable dans leur risque de développer un cancer ou d'autres maladies. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.