Pourquoi aimons-nous tant nous faire peur ?

La réponse biologique et psychologique de notre corps peut faire de la peur une expérience agréable.

De Terry Ward
Publication 23 oct. 2024, 21:03 CEST
Un épouvantail effrayant veille sur un champ de maïs alors qu'un orage approche.

Un épouvantail effrayant veille sur un champ de maïs alors qu'un orage approche.

PHOTOGRAPHIE DE Ivan Kmit / Alamy Banque D'Images

L'année dernière, plus de 1 300 personnes ont participé à un tirage au sort pour passer une nuit dans une chambre d'hôtel à Chattanooga, dans le Tennessee, et plus précisément dans une chambre soi-disant hantée, où Annalisa Netherly a été décapitée en 1927 par son amant.

La popularité de cette loterie n’est qu’un exemple de l’engouement généralisé pour l'épouvante, dont l'expérience nous anime pour des raisons psychologiques et physiques.

Selon le Dr Elias Aboujaoude, professeur de psychiatrie et de sciences du comportement à la faculté de médecine de Stanford et chef de la section des troubles anxieux, notre réaction biologique à la peur est incroyablement complexe et fait intervenir des neurotransmetteurs et des hormones qui affectent des zones du cerveau allant de l’amygdale au lobe frontal. Cette réponse complexe active d’autres émotions à la fois désagréables, comme le stress, et agréables, comme le soulagement.

Notre corps a évolué pour se préparer à combattre ou à fuir face à une menace, en dilatant nos pupilles pour mieux voir, en élargissant nos bronches pour absorber plus d’oxygène et en détournant le sang et le glucose vers les organes vitaux et les muscles squelettiques, explique Aboujaoude. 

L’effet de la peur sur l’ensemble du corps peut être exaltant et, sur le plan psychologique, être source de satisfaction voire de triomphe lorsque l’objet de la peur disparaît. 

 

LA BIOLOGIE DU FRISSON

L’adrénaline, la dopamine et le cortisol sont trois importantes substances chimiques que notre corps s’est mis à libérer en cas de menace au cours de l’évolution.

Lorsque nous détectons un danger, notre corps libère de l’adrénaline pour éveiller notre instinct de combat ou de fuite. Selon David Spiegel, professeur de psychiatrie et de sciences du comportement à la faculté de médecine de Stanford et directeur du Stanford Center on Stress and Health, l’adrénaline augmente les fonctions corporelles telles que le rythme cardiaque, la pression artérielle et la fréquence respiratoire. « Le stress peut nous procurer un sentiment d’ivresse un peu comme après une bonne séance de course à pied. On se sent vigoureux et énergique. »

Le cortisol, l’hormone du stress, est libéré en permanence pour réguler un certain nombre de fonctions corporelles, mais son taux peut aussi monter en flèche lorsque l'on est surmené par une situation ou une expérience difficile.

Le cortisol peut nous aider à rester alertes après la première libération d’hormones de « combat ou de fuite », dont l’adrénaline, et même déclencher la libération de glucose par le foie pour servir de source d’énergie en cas d’urgence.

Lorsque l’on présente de façon chronique des niveaux élevés de cortisol, « l’organisme en pâtit », souligne Spiegel. « Il est en état de guerre chronique, ce qui est anormal. »

L’adrénaline et le cortisol sont deux hormones associées au stress, lequel peut entraîner des symptômes physiques tels que des douleurs thoraciques, des maux de tête ou des tremblements, de l’épuisement, des tensions musculaires, ainsi que des symptômes émotionnels comme de l’irritabilité, des crises de panique et de la tristesse.

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L’adrénaline, la dopamine et le cortisol jouent tous un rôle dans notre manière de réagir à des situations stressantes, comme un tour dans cette attraction à la foire d’État du Minnesota.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, Nat Geo Image Collection

La dopamine quant à elle est un neurotransmetteur qui participe à notre bien-être général. Elle est associée au plaisir et au fait d'attendre et de recevoir une récompense. Cela englobe le fait de maîtriser une menace ou, pourrait-on dire, de « vaincre sa peur, de gagner une course ou encore de recevoir le respect et l’approbation des autres », explique Spiegel. 

Ça ne signifie pas pour autant que la dopamine n'intervient qu'une fois l’objet de la peur disparu : notre organisme en libère à partir du moment où nous sommes dans l'anticipation de la récompense, précise Spiegel. Chez les toxicomanes, la dopamine procure un état d’euphorie pendant qu'ils recherchent de la drogue, avant même donc qu’ils en aient en leur possession.

 

QUAND LA PEUR DEVIENT AGRÉABLE

Aboujaude affirme que la peur peut procurer une sorte d’exaltation quand on est conscient du fait qu'on en sortira sain et sauf, comme dans le cas des maisons hantées ou des montagnes russes. 

« Certaines expériences peuvent nous donner l’illusion de maîtriser des situations menaçantes et d’y survivre », explique-t-il. « Faire face à une menace ressemble à une victoire, et il est vrai qu'affronter ses peurs peut être une bonne chose. »

En se confrontant à leurs peurs, certaines personnes peuvent se désensibiliser et, par conséquent, ne plus réagir à leurs déclencheurs émotionnels. D’autres, en revanche, peuvent se mettre inutilement en danger.

« Certaines personnes tirent plus de plaisir ou de soulagement que d’autres de ces expériences et peuvent finir par jouer avec le feu », explique Spiegel. On peut aller faire du ski en étant conscient des risques et ainsi rester prudent. Ou chercher des sensations fortes et aller jusqu’à dépasser ses limites et se mettre volontairement en danger. « Le danger comporte son lot de risques, et y survivre peut être exaltant. »

Si les maisons hantées et les films d’horreur ciblent souvent les adolescents et les jeunes adultes, c’est pour une bonne raison.

« Il s’agit d’une tranche d’âge qui s’interroge beaucoup sur la mort, sur ses craintes et son courage », explique Tok Thompson, professeur d’anthropologie à l’USC Dornsife, qui dispense un cours sur les histoires de fantômes. Il explique par ailleurs que le fait d’affronter ses peurs fait partie intégrante de l’âge adulte dans toutes les cultures.

« C’est bien souvent une expérience sociale, une expérience de jeunes qui se testent en allant voir si une maison est vraiment hantée », explique-t-il.

 

QU’EST-CE QUI NOUS FAIT PEUR ?

Certaines peurs humaines sont « préprogrammées » par l’évolution, explique Alice Flaherty, professeure agrégée de neurologie et de psychiatrie à l’université de Harvard. Nos ancêtres ont appris à éviter les stimuli effrayants, ce qui les a aidés à survivre et à nous transmettre ces instincts. 

« Les enfants n’ont pas besoin d’apprendre à avoir peur des bruits forts, des araignées, des serpents, du sang et des objets qui s’approchent rapidement », explique Flaherty, en référence à ce que l’on appelle les peurs innées, qui sont, selon elle, « profondément ancrées ».

Mais la plupart des autres peurs apparaissent avec l’expérience. Il y a autant de peurs que d’individus : on peut avoir une peur bleue des chiens après s’être fait mordre quand on était enfant, ou avoir peur des abeilles après avoir fait une réaction allergique à une piqure. 

Les recherches montrent que ces stimuli n’ont pas besoin d'être réels pour nous effrayer, mais que plus ils sont réalistes, plus ils font peur.

« Un vrai serpent fera sûrement plus peur qu’une simulation en réalité virtuelle, qui fera elle-même plus peur qu’une photographie », explique Aboujaoude. 

Nous savons également que la peur peut varier d’un genre à l’autre, ajoute Flaherty. « On dit que les hommes aiment plus les films d’horreur que les femmes, mais il semble bien établi que les hommes tendent à s’identifier au prédateur et les femmes aux victimes », ajoute-t-elle. 

Nos peurs sont extrêmement variées, c’est pourquoi le Scream-a-Geddon, un parc d’horreur de 24 hectares situé à Dade City, en Floride, emploie un large éventail de tactiques d’épouvante, explique Jon Pianki, directeur du marketing. Dans ce parc où l’on trouve des clowns, des sorcières, la réplique d'une prison et d'une expérience bioscientifique qui aurait mal tourné, la plupart des visiteurs arrivent en couple ou en groupe d’amis.

« Je ne pense pas que les gens ont peur comme ils auraient peur s’ils tombaient sur un individu louche dans une ruelle mal éclairée », explique Jon Pianki, qui ajoute que le parc a pour but d’être « anxiogène », mais qu’il offre aussi des moments de répit. « Les visiteurs entrent d’un pas mal assuré, en un groupe bien compact, puis quand la peur est passée, ils repartent tout excités et en riant. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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