Pourquoi certaines personnes sont de véritables aimants à moustiques

De nouvelles recherches prouvent que ces suceurs de sang peuvent vous repérer dans une foule. Découvrez quelles odeurs les attirent et ce que les scientifiques recommandent pour les éloigner.

De Connie Chang
Publication 21 juin 2023, 15:29 CEST
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Micrographie colorée, réalisée via un microscope électronique à balayage, d'un spécimen femelle de l'espèce de moustique Anopheles gambiae. Cette micrographie montre l'abdomen du moustique, gonflé après avoir sucé du sang humain. La femelle se distingue du mâle par la relative rareté des soies sur ses antennes. Le proboscis, c’est-à-dire la trompe, est constitué d'instruments permettant de percer et sucer. Ceux-ci, positionnés sous l’œil composé de couleur verte, sont appelés stylets et se présentent sous la forme d'un mince tube rouge.

PHOTOGRAPHIE DE Micrograph by DR TONY BRAIN, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Les moustiques adorent Kim Zarins, professeure d'anglais à l'université d'État de Californie, sur le campus de Sacramento. Ces insectes sont tellement attirés par elle que son fils de dix-huit ans aime qu'elle l'accompagne à l'extérieur, lui servant ainsi de leurre. « Il sait qu'il n’aura rien à craindre », explique-t-elle.

Les personnes comme Kim Zarins, qui sont des véritables aimants à insectes, aident aujourd’hui les scientifiques à déterminer ce qui attire ces suceurs de sang assoiffés. 

Plus qu'une simple nuisance, les moustiques peuvent véhiculer des maladies dévastatrices telles qu’une infection par le virus Zika, la dengue, le paludisme et la fièvre du Nil occidental, et sont responsables de plus d'un million de décès chaque année. Alors qu'historiquement ils étaient plus répandus dans les climats tropicaux, les moustiques porteurs d'agents pathogènes élargissent leur champ d'action à mesure que la planète se réchauffe, notamment dans certaines régions des États-Unis comme le Connecticut, la Californie et l'Arizona.

Les moustiques se basent sur toute une série de signaux pour se diriger vers la cible idéale. Les humains se distinguant des autres animaux par leur odeur, certains moustiques ont évolué pour rechercher spécifiquement notre effluve unique. À une distance de 60 mètres, ils suivent les panaches de dioxyde de carbone que nous exhalons à chaque respiration. Lorsqu'ils se rapprochent de quelques mètres, ils sentent les odeurs émanant de nos pieds, de nos aisselles et de notre peau. À environ 15 mètres, ils commencent à nous voir comme des silhouettes sombres à contre-jour. Enfin, les zones de chaleur les guident vers les sites les plus propices à l'atterrissage, tandis que les récepteurs gustatifs situés sur leurs pattes les aident à déterminer où piquer.

 

CE QUE LES MOUSTIQUES AIMENT SENTIR

« La capacité des moustiques à nous détecter est vraiment remarquable », déclare Diego Giraldo, neuroscientifique à l’université Johns-Hopkins et coauteur d'une nouvelle étude caractérisant les profils olfactifs humains qui attirent Anopheles gambiae, un moustique africain qui transmet le paludisme. Ces travaux montrent, pour la première fois, que les moustiques peuvent distinguer plusieurs personnes dans un endroit aussi spacieux qu'une patinoire. Les recherches précédentes utilisaient des endroits beaucoup plus petits et n’incluaient que deux personnes.

L'espace utilisé dans l'expérience de Diego Giraldo était relié à huit tentes par des conduits d'air qui acheminaient les odeurs des occupants de chacune d’entre elles vers des disques noirs chauffés qu’il contenait. Des caméras infrarouges captaient les mouvements des moustiques qui se posaient sur chaque disque. Au cours de l'expérience, les moustiques étaient quatre fois plus susceptibles de se poser sur le disque associé au sujet qui en attirait le plus. « Cela montre bien que, même dans des situations complexes, avec de multiples sources d'odeurs, les moustiques semblent préférer certaines personnes à d'autres », explique le neuroscientifique.

Les chercheurs ont ensuite identifié les substances chimiques présentes dans le profil olfactif de chaque sujet à l'aide d'un instrument capable de séparer les éléments constitutifs des gaz composant l'échantillon. « L'odeur humaine est incroyablement complexe », indique Stephanie Rankin-Turner, chimiste à l’université Johns-Hopkins, qui a également participé à l'étude. Dans les odeurs humaines « sont présents beaucoup de composés chimiques que personne n'a jamais classifiés auparavant ». Pour réduire le champ d'investigation, les chercheurs se sont concentrés sur les substances chimiques connues pour composer l'odeur humaine.

Leur analyse a permis de découvrir quinze composés en suspension dans l'air présents dans les odeurs produites par tous les sujets. Ce sont les concentrations de ces différentes substances chimiques qui détermineraient la probabilité que les moustiques piquent les sujets. « S'il y a un composé que les moustiques aiment vraiment et qu'une personne dégage beaucoup, cela peut augmenter l’attrait des moustiques pour elle », explique Stephanie Rankin-Turner.

Les moustiques ont été particulièrement attirés par les acides carboxyliques, une catégorie d'acides gras présents dans la sueur humaine et dont l'odeur est parfois comparée à celle du beurre ou du fromage rance. Cela confirme des travaux antérieurs démontrant une préférence similaire chez une autre espèce de moustique. Nous produisons ces acides dans notre sébum, la couche huileuse qui protège notre peau, mais également lorsque des microbes vivant à la surface de notre peau, et qui nous sont bénéfiques, digèrent nos sécrétions.

Les insectes ont également été attirés par l'acétoïne qui est également produite par les microbes sur notre peau. « Il semble donc que le microbiome de la peau joue un rôle important dans notre odeur et dans ce qui attire les moustiques chez nous », explique Stephanie Rankin-Turner.

Si des facteurs tels que la grossesse, l'état de santé ou ce que nous mangeons et buvons peuvent avoir une influence sur notre odeur, certaines caractéristiques sont remarquablement stables et persistent pendant des mois, voire des années. Cela s’accorde avec l'observation selon laquelle certaines personnes, comme Kim Zarins, ont tendance à attirer les moustiques.

« Beaucoup d'entre nous dans ce domaine veulent comprendre ce qui, chez une personne, attire davantage les moustiques. La résolution de ce mystère pourrait nous permettre de créer la prochaine génération de répulsif », explique Matthew DeGennaro, généticien spécialiste des moustiques à l'université internationale de Floride, qui n'a pas participé à l'étude. Il estime que les chercheurs ont réussi à réunir des conditions presque semblables à celles de la nature, ce qui constitue une étape importante dans l'élucidation de ce mystère.

 

TROMPER LES MOUSTIQUES

Du shampoing au déodorant en passant par le savon, la plupart d’entre nous utilisent des produits d'hygiène corporelle tous les jours. Si l'odeur de notre corps peut attirer les moustiques, il est possible que le lavage ou la superposition de parfums puisse les dérouter. Comme l'ont découvert les scientifiques lors d'une récente preuve de concept qui a exploré l'impact de ces savons sur la capacité des moustiques à nous suivre à la trace, la réalité est toutefois plus complexe.

Pour leur première expérience, les chercheurs ont comparé le nombre de fois où les moustiques se posaient sur une manche en nylon portée sur un bras d’abord non lavé, puis lavé, d’un même sujet. Celle-ci a été répétée sur quatre sujets distincts avec quatre savons différents de marques comme Dial et Native par exemple.

À la surprise des chercheurs, dans certains cas, le nombre d'atterrissages de moustiques augmentait après le lavage, ce qui indique que le savon amplifiait leur l'attrait. L'effet n'était cependant pas constant. Les savons Dove et Simple Truth, par exemple, renforçait l’attrait pour certaines personnes, mais pas toutes, tandis que Native semblait diminuer celui-ci.

Contrairement aux attentes, la composition chimique d'un savon peut avoir moins d’importance que la manière dont elle réagit avec celle du corps de la personne qui l'utilise. « Tous les savons que nous avons utilisés contenaient en majorité un composé appelé limonène, répulsif connu pour les moustiques, mais trois savons sur quatre les ont pourtant davantage attirés », explique Clément Vinauger, neuro-éthologue à l’Institut polytechnique et université d'État de Virginie et co-auteur de l'étude. La même substance chimique peut donc attirer ou repousser les moustiques en fonction de sa concentration et de la façon dont elle est combinée à d'autres substances naturelles présentes sur la peau humaine. Clément Vinauger suppose que, dans la nature, le moustique interprète une certaine combinaison de substances chimiques comme celle d’une plante et une autre, avec un ratio différent des mêmes composants, à celle d’un humain.

Maria Elena De Obaldia, neuro-généticienne, qui a étudié l'olfaction des moustiques à l'université Rockefeller mais qui n'a pas participé à l'étude, n'est pas surprise que les résultats ne soient pas simples à interpréter. L'être humain étant très important pour le cycle de vie de certains moustiques, notamment pour les femelles qui ont besoin de boire du sang avant de pouvoir pondre des œufs, ces insectes rusés ont développé des redondances dans leur mécanisme de détection de l'Homme. « Ils ne peuvent se fier à un seul signal et disposent donc d'un très solide système pouvant détecter toute une gamme d'odeurs, ce qui est très difficile à représenter », explique la neuro-généticienne.

Dans la phase suivante de l'étude, les chercheurs ont analysé les manches en nylon afin d'identifier les combinaisons de substances chimiques associées à l'attraction et à la répulsion des moustiques. À partir de ces données, ils ont conçu un mélange attractif et un autre répulsif qu’ils ont testés sur un cinquième sujet n'ayant pas participé aux expériences précédentes. Selon Chloé Lahondère, entomologiste à l’Institut polytechnique et université d'État de Virginie et co-auteur de l'étude, lorsque les moustiques avaient le choix entre une manche imprégnée du mélange attractif et une autre d'huile minérale, les moustiques préféraient majoritairement le premier composé. À l’inverse, ils ont préféré se poser sur la manche imprégnée d'huile minérale plutôt que celle du mélange répulsif.

Avec de futures études et un plus grand nombre de participants, Chloé Lahondère espère pouvoir utiliser des outils puissants comme le machine learning, c’est-à-dire la capacité des machines à « apprendre » à partir de données, afin de pouvoir dire : « sur la base de votre odeur, nous pouvons déterminer si l’utilisation de ce savon vous permettra d’éviter les moustiques ».

 

LES MEILLEURS MOYENS POUR REPOUSSER LES MOUSTIQUES

La recherche visant à mettre au point des répulsifs infaillibles n'en est qu'à ses balbutiements mais les scientifiques ont déjà quelques idées basées sur la science actuelle. Clément Vinauger suggère d'essayer des produits à l'odeur de noix de coco, le parfum associé au savon qui a davantage dissuadé les moustiques. « Comme cela peut dépendre de votre odeur corporelle personnelle, essayez différents savons pour voir lequel fonctionne le mieux. »

Chloé Lahondère, quant à elle, recommande d'adopter les stratégies utilisées par les chercheurs sur le terrain. « Lorsque nous collectons des moustiques, nous portons des manches longues et des vêtements clairs car ils ont tendance à être attirés par les couleurs sombres. »

La meilleure défense contre les moustiques reste néanmoins les répulsifs traditionnels comme le DEET que les experts recommandent si vous prévoyez de séjourner dans des régions où les maladies qu’ils transmettent sont endémiques. Les répulsifs naturels comme l'huile d'eucalyptus citronné peuvent également fonctionner mais ils sont beaucoup moins efficaces et doivent être réappliqués plus souvent. Matthew DeGennaro, qui vit en Floride, se souvient : « pendant la phase Zika, je mettais du DEET tous les jours ». Il ajoute que cette substance chimique est sans danger lorsqu'elle est utilisée conformément aux instructions et qu'elle est également très efficace contre les tiques.

Toutefois, selon lui, « l'avenir réside dans la compréhension du microbiome de la peau humaine et le développement d'une solution probiotique qui le manipulera pour protéger les gens contre les piqûres de moustiques ». Lui et ses collègues ont montré que des microbiomes cutanés plus diversifiés, cultivés en boîte, émettaient moins d'odeurs qui attiraient les moustiques que ceux qui étaient plus uniformes.

Pour Maria Elena De Obaldia, il est essentiel de poursuivre la recherche fondamentale si nous voulons devancer l'évolution des moustiques. Certaines espèces, par exemple, ont commencé à se nourrir plus tôt dans la journée pour contrecarrer l'utilisation des moustiquaires de lit. « Comprendre comment les moustiques nous trouvent dans notre environnement et comment nous les attirons nous aidera à développer des répulsifs plus efficaces. »

Quant à Kim Zarins, elle attend avec impatience le jour où elle pourra arrêter de jouer les leurres pour son fils et trouver un répulsif qui leur convienne à tous les deux.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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