Peut-on vraiment faire confiance à son intuition ?

Longtemps considérée comme mystique, l'intuition est désormais étudiée par les scientifiques. Il ressort que les personnes intuitives prennent des décisions plus rapidement, mais sont plus sujettes aux biais cognitifs.

De Rachel Fairbank
Publication 18 avr. 2025, 15:35 CEST
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Une vue illustrée du système nerveux humain, qui joue un rôle important dans la prise intuitive de décision.

ILLUSTRATION DE magicmine, Alamy Stock Photo

Il y a des moments dans la vie où il faut prendre des décisions sans avoir toutes les informations à disposition, qu’il s’agisse d’un choix rapide à faire durant une crise ou bien répondre à une offre d’emploi. Dans ces situations, il arrive que l’on s’en remette à son intuition, dans l’espoir que notre inconscient nous aide à faire le bon choix.

L’intuition est « une forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement ». Durant de nombreuses années, l’intuition était considérée comme presque mysthique, un concept ni bon ni mauvais mais que l'on ne pouvait définir et dont on ne pouvait prouver l'utilité.

Bien que l’intuition ait été notoirement difficile à définir et à étudier, les scientifiques cherchent à mieux la comprendre, voire à lui trouver de nouvelles définitions.

« Ma définition [de l’intuition] c’est l’utilisation sensée et productive de nos informations inconscientes qui nous aide à prendre de meilleures décisions », déclare Joel Pearson, chercheur à l’université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Son livre, The Intuition Toolkit, n’a pas été traduit en français. Comme l’a découvert Joel Pearson, certaines fois, les informations inconscientes peuvent nous aider à prendre de meilleures décisions, tandis que d’autres processus inconscients, tels que les biais, peuvent nous desservir.

Comprendre la différence entre ces deux concepts pourrait aider à la prise de décisions plus éclairées.

 

LES BIENFAITS DE L’INTUITION

Se reposer tout le temps sur son intuition n’est pas pratique, explique Joel Pearson, mais il y a des situations où l’intuition peut aider à prendre de meilleures décisions, en s’aidant de schémas qui pourraient se trouver hors d’une compréhension consciente. « Le moment où [l’intuition] est la plus utile, c’est lors de la prise immédiate de décisions dans une situation où les informations à notre disposition sont ambiguës », continue le chercheur.

Hrund Gunnsteinsdóttir, autrice du livre InnSæi, qui n’a pas été traduit en français, sur l’art islandais de l’intuition, est d’accord avec lui. Pour elle, l’intuition est « la connaissance incarnée », c’est-à-dire qu’elle est souvent motivée par nos réponses corporelles, comme un sentiment de malaise ou, au contraire, une sensation d’exactitude. Ces sensations sont souvent subtiles et formées par nos connaissances inconscientes, comme des indices dans notre environnement ou bien des schémas que l’on aurait déjà rencontrés.

Se reposer sur son intuition peut aider à démêler une situation complexe, souvent en identifiant des schémas qui ne sont pas nécessairement évidents au premier abord. « Les stratégies de décisions intuitives sont souvent très efficaces car elles peuvent ne se concentrer que sur une seule information », explique Florian Artinger, professeur en gestion d’entreprise à l’université internationale des sciences appliquées de Berlin. Ses recherches se concentrent sur la prise de décisions.

Florian Artinger explique qu’il rencontre souvent des situations dans le monde de l’entreprise où les décisions doivent être prises de deux manières : soit par une personne intuitive et expérimentée, qui détient des connaissances dans un domaine spécifique, ou bien une décision prise après une analyse approfondie et chronophage.

Toutes deux peuvent être de bonnes stratégies mais, lorsque les bonnes conditions sont réunies, une décision se reposant sur l’intuition peut être prise plus rapidement, consommer moins de ressources et s’avérer être le meilleur choix à faire. « Si vous êtes expérimenté, il se pourrait bien que votre intuition vous fournisse la meilleure solution », explique Florian Artinger.

Cela est particulièrement vrai pour les décisions d’entreprise, comme se demander s’il faudrait investir un marché ou bien modifier un produit en prenant en compte l’opinion du consommateur, deux situations pour lesquelles les informations pouvant orienter les décisions sont limitées.

 

LES INCONVÉNIENTS D’UN MODE DE PENSÉE INTUITIF

Comme le montrent toutefois les recherches de Joel Pearson, il survient parfois des situations où prendre une décision à l’instinct peut nous porter préjudice, des situations qu’il définit comme « désintuitives ».

Par exemple, Joel Pearson a découvert que la précision de notre intuition peut être influencée par notre état mental. Certaines émotions fortes, comme l’anxiété ou une joie intense, peuvent nous submerger et masquer d’autres indices plus subtils, que l’on ne remarquerait pas, qui auraient pu guider notre intuition. Ainsi, si vous craignez les requins, cette peur pourrait vous distraire du fait que les attaques de requins sont, statistiquement, très rares.

Un autre exemple très connu de désintuition : une dépendance excessive entre prise intuitive de décisions et théories du complot, explique Darel Cookson, maître de conférences à l’université Trent, à Nottingham, qui étudie les croyances dans les théories du complot.

Comme il le remarque, les êtres humains ont tendance à avoir deux manières de pensée différentes : une approche analytique et une approche intuitive. Les personnes qui se reposent plus sur l’analyse ont tendance à être plus lentes mais ont plus souvent raison, tandis que les personnes qui se reposent sur leur intuition sont plus rapides mais également plus sujettes aux biais cognitifs. Dans le cas des théories du complot, « il est parfois plus facile de lire quelque chose et d’en tirer des conclusions hâtives, plutôt que d’avoir une approche plus analytique et critique à propos de l’information que l’on vient de lire », explique Darel Cookson.

L’autre piège de l’intuition, c’est de sortir de sa zone d’expertise, ce qui peut mener à des erreurs de jugement lors de la prise de décisions. Comme le remarque Joel Pearson, un exemple notable serait Steve Jobs, qui s’en est souvent remis à son intuition et a connu un grand succès dans le monde de l’entreprise et de la technologie. D’un autre côté, il a également suivi des traitements médicaux expérimentaux pour son cancer du pancréas ce qui, selon les spéculations de certains experts, aurait mené à sa mort prématurée.

 

PEUT-ON DÉVELOPPER SON INTUITION ?

Bien que l’intuition soit complexe à définir, quelques règles générales peuvent nous aider à prendre de meilleures décisions. Joel Pearson a réduit cette liste à cinq grandes règles à suivre :

  1. Conscience de soi : avoir conscience de son état physique et émotionnel et éviter de s’en remettre à son intuition lorsque cet état est compromis par des émotions fortes (anxiété, euphorie).
  2. Maîtrise : ne faire confiance à son intuition que dans des domaines que l’on maîtrise.
  3. Instinct et impulsion : faire la différence entre intuition, instinct et impulsion. Les instincts sont des comportements animaux, comme le vertige ou le dégoût lié aux mauvaises odeurs, tandis que les impulsions peuvent pousser une personne à confondre désir pour des substances addictives avec une intuition.
  4. Événements peu probables : éviter de s’en remettre à son intuition quand il est question d’événements qui ont peu de risques de se produire, comme un crash d’avion ou un gain au loto. Joel Pearson remarque que les personnes ne parviennent pas à correctement comprendre les probabilités, tandis que les émotions qui leur sont liées, comme la peur de se faire attaquer par un requin ou l’espoir de gagner au loto, peuvent souvent obscurcir le jugement.
  5. Environnement : reconnaître le rôle que joue un environnement familier dans l’expression de notre intuition. Elle est souvent développée dans un environnement spécifique, comme le lieu de travail ou le foyer. Changer d’environnement, comme c’est le cas lors d’un déménagement ou au début d’un nouveau travail, peut rendre ardue la prise d’informations inconscientes.

Darel Cookson remarque également que l’on peut à la fois avoir recours à un mode de pensée intuitif et à un mode de pensée analytique. Par exemple, il se pourrait que l’on analyse un problème complexe afin d’y trouver une solution, pour finalement s’en remettre à son intuition lors de la prise de décision finale.

En comprenant les limites de l’intuition, et en l’agrémentant de pensée analytique, la prise de décisions n’en sera que meilleure.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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