Pourquoi suivons-nous aveuglément les tendances, même les plus risquées ?
Besoin évolutif de créer un lien social, sentiment d'appartenance : les humains sont programmés pour s’intégrer dans la société malgré les risques que peuvent poser les tendances émergeant (notamment) sur les réseaux sociaux.
Des camarades de classe rassemblés autour d'un téléphone à leur école à Jhabkara, en Inde. Bien que les réseaux sociaux aient permis aux tendances de se propager plus loin et plus vite que jamais, les experts affirment que les êtres humains sont programmés pour les suivre afin de faire savoir aux autres à quel groupe ils appartiennent, un comportement connu sous le nom de signal d'identité.
« Eyebrow blind » ou « blush blind » ? Telle est la question qui se pose notamment sur TikTok. Les utilisateurs de ce réseau social semblent déplorer le dilemme de suivre aveuglément les tendances, notamment en termes de maquillage, au lieu de nous en tenir à ce qui nous va le mieux.
Bien que le « eyebrow blindness », aussi appelé « déni sourcilier » en français, ainsi que les autres genres de « beauty blindness » ne soient pas destinés à figurer prochainement dans les manuels de diagnostic psychologique, la propension de l'être humain à suivre les tendances, même si elles semblent idiotes ou risquées, est définitivement un phénomène bien réel. Il s'avère que nous sommes à ce point programmés pour signaler nos affiliations avec d'autres personnes que ce désir peut l'emporter sur nos meilleures intentions ou le fait de savoir que la nouvelle tendance n'est pas faite pour nous.
Mais les Sephora Kids ne sont pas les seules susceptibles de suivre les tendances pour s'intégrer ou se démarquer. Qu'en disent les psychologues ? Existe-t-il un moyen de se libérer du désir d'adopter la dernière mode ?
UNE SOIF ÉVOLUTIVE DE LIEN SOCIAL
Tout d'abord, soyez rassuré·e, suivre des tendances n'est pas un signe de faiblesse, de manque de personnalité ou de troubles mentaux. Au contraire, selon la psychologue Pamela B. Rutledge, spécialisée dans la psychologie sociale des médias et de la technologie, c'est tout à fait normal. La raison : le « lien social », un concept psychologique qui fait référence au besoin fondamental de l'être humain d'appartenir à un groupe social et d'être en contact avec les autres.
« Le lien social est une motivation primordiale », déclare Pamela Rutledge. « En réalité, c'était à l'origine nécessaire à notre survie ; nous sommes très déterminés à être tribaux. »
Le lien social est si important qu'on le considère comme l'un des besoins fondamentaux de l'Homme. De nombreux psychologues affirment que les relations humaines sont aussi importantes que les éléments de base tels que l'accès à la nourriture et au logement. Il s'agit notamment de la pyramide de Maslow, soutenue dans les années 1950 par Abraham Maslow, et la populaire théorie de l'auto-détermination introduite dans les années 1980.
C'est parce que les humains évoluent pour compter les uns sur les autres. Les preuves d'efforts collectifs pour survivre remontent presque aussi loin que les humains eux-mêmes. Par exemple, les archéologues ont mis au jour des preuves que les premiers homininés travaillaient ensemble pour transporter des outils en pierre sur de longues distances il y a environ deux millions d'années dans ce qui est aujourd'hui le Kenya, une collaboration qui leur a permis de survivre dans un environnement hostile.
NOTRE CERVEAU SIGNALE NOTRE IDENTITÉ AUX AUTRES
La cognition sociale, processus qui dicte ce que nous remarquons et comment nous réagissons aux autres, se forme principalement dans les parties du cerveau gérant la vue, la reconnaissance des formes, la prise de décisions, l'empathie et d'autres fonctions similaires. Il s'agit notamment de l'amygdale, qui détecte le danger, et du cortex préfrontal, impliqué dans les fonctions exécutives supérieures et la prise de décisions.
Grâce à ces systèmes cognitifs complexes, notre cerveau est très doué pour identifier des modèles et susciter des comportements qui communiquent notre statut social. C'est pourquoi, selon Rutledge, « vous pouvez utiliser presque n'importe quoi pour signaler votre appartenance ou votre affiliation » à un groupe social.
En émettant les bons signaux sociaux, vous permettez aux autres de savoir à quel groupe vous appartenez ou souhaitez être affilié, et ces signaux sont surveillés et interprétés par les autres. Connus sous le nom de signaux identitaires, ces comportements peuvent aller de l'apposition d'un autocollant politique sur une voiture au choix d'une marque de vêtements.
Ces signaux ne s'adressent pas uniquement aux autres. Les groupes adoptent des identifiants et des symboles qui leur permettent de se sentir à leur place, ou qui montrent clairement qu'ils veulent se démarquer. Cela explique pourquoi les micro-tendances telles que les « sourcils Instagram » ou la zone du visage où l'on applique du fard à joues sont si virales.
En outre, les psychologues ont constaté que lorsque les tendances se généralisaient, nombre de ceux qui étaient parmi les premiers à les avoir adoptées passaient à d'autres signaux afin de prouver qu'ils restaient à la pointe des tendances.
Les réseaux sociaux ont-ils modifié la manière dont les humains se signalent les uns aux autres ? Pas exactement, répond Rutledge. En revanche, « ils ont certainement permis à certaines tendances de se propager plus rapidement qu'elles ne l'auraient fait autrement ». Prenons l'exemple de la mode. Alors que les tendances se répandaient autrefois sur plusieurs années à partir des défilés de haute couture, les réseaux sociaux permettent aujourd'hui à des mini-tendances d'émerger et de disparaître en l'espace de quelques semaines.
Mais pourquoi les tendances elles-mêmes suscitent-elles un tel engouement ? L'évolution est à nouveau en cause, selon Pamela Rutledge. « Notre cerveau est programmé pour remarquer les choses anormales », explique-t-elle. C'est ainsi que nous remarquons les choses aberrantes et celles qui attirent l'attention, ce qui donne encore plus de cachet aux tendances pour celles et ceux qui sont assez audacieux pour les suivre.
TOUT LE MONDE EST SUSCEPTIBLE DE LE FAIRE
Lorsque les enfants s'engagent sur la voie de l'indépendance, ils cherchent à exprimer leur individualité. Paradoxalement, cela peut se traduire par des tentatives parfois désespérées de prouver son appartenance à des groupes socialement crédibles, et peut alimenter le désir de se démarquer par le moyen de tendances virales.
Personne n'est dispensé de suivre les modes, de remarquer les tendances ou de signaler son appartenance, réelle ou supposée, à des groupes sociaux, souligne Pamela Rutledge. Mais un groupe en particulier est encore plus enclin à suivre les tendances, même celles qui sont risquées : les préadolescents, les adolescents et les jeunes adultes.
« Vous devez trouver comment vous frayer un chemin dans le monde », relève Rutledge. « Et pour ce faire, il faut savoir qui l'on est ». Étant donné que nous sommes des créatures sociales, ce développement se fait dans un environnement social et une prise de conscience croissante des signaux sociaux signifie un intérêt croissant pour le suivi ou l'abandon des tendances. La popularité « n'a pas vraiment d'importance, même si on a l'impression qu'elle en a », continue-t-il. « Mais d'un point de vue biologique, elle est importante pour trouver un partenaire. »
En conséquence, le cerveau d'un.e adolescent.e connaît un développement rapide dans les domaines essentiels à la cognition sociale. Des études suggèrent que la capacité à reconnaître et à lire les visages atteint son apogée à l'adolescence, ce qui contribue à une hyperconscience de ses pairs. Le cortex préfrontal, région associée à la logique et à la prise de décisions, est la dernière zone du cerveau à se développer complètement, il n'est donc pas étonnant que les adolescents se mettent à manger des dosettes Tide ou à inhaler de la cannelle pour impressionner leurs amis.
De même, selon Pamela Rutledge, les personnes âgées ont tendance à se sentir plus sûres de leur identité, ce qui les rend moins sensibles aux modes passagères. Les recherches montrent que l'attention sociale varie en fonction de l'âge, les adultes âgés étant moins attentifs aux signaux sociaux que leurs homologues plus jeunes.
Mais même les adultes peuvent être victimes du désir de signaler une différence sociale. Prenons l'exemple de la crise de la quarantaine : bien que le paradigme soit encore vivement débattu, certaines recherches ont montré que certains individus pouvaient être plus sensibles à la récompense sociale et à l'influence des membres de leurs cercles sociaux, au cours de la quarantaine.
Les réseaux sociaux ne sont pas non plus les seuls endroits où l'on peut trouver des tendances à suivre. Pamela Rutledge cite tous les signaux sociaux, des drapeaux aux épaulettes en passant par les tatouages.
La prochaine fois que vous vous maquillerez, que vous vous habillerez, que vous commanderez un repas en public, que vous choisirez un autocollant pour votre pare-choc ou que vous acheterez un véhicule, vous saurez que votre décision n'est peut-être pas si singulière. « Il s'agit en fait d'une réaction enracinée », pointe Pamela Rutledge, qui peut s'expliquer par notre besoin de nous intégrer à la foule ou de nous en démarquer.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.