Quand la médecine chinoise s’invite à l’hôpital

Acupuncture, qi gong, massage tui na… En France, de plus en plus d’établissements proposent ces soins pour des indications diverses, notamment les effets secondaires des chimiothérapies.

De Corinne Soulay
L'acupuncture est utilisée pour traiter les neuropathies entraînées par la chimiothérapie. Elles se caractérisent par des ...
L'acupuncture est utilisée pour traiter les neuropathies entraînées par la chimiothérapie. Elles se caractérisent par des fourmillements ou tiraillements douloureux, souvent localisés dans les doigts et les pieds.
PHOTOGRAPHIE DE Emanuela Ascoli

Une, deux, trois... Bientôt, quinze aiguilles de 13 mm de long viennent hérisser le pied droit de Christian, 57 ans. Puis, sa colonne vertébrale, son buste, ses oreilles et même son visage. Christian est atteint d’un myélome, un cancer de la moelle osseuse, qui le contraint à porter un corset. Il suit un traitement d’acupuncture pour soigner les neuropathies dues à sa chimiothérapie.

« Cela prend la forme de fourmillements douloureux sur les doigts et les pieds, explique le Lyonnais. Taper à l’ordinateur était devenu une souffrance et j’avais beaucoup de mal à dormir. Je prenais un médicament six fois par jour, sans succès. Et puis, j’ai essayé l’acupuncture et, au bout de trois séances, ces sensations désagréables ont quasiment disparu. »

Pour trouver un praticien, Christian n’a pas eu besoin d’aller très loin : depuis mars 2018, le CHU de Lyon-Sud (Hospices civils de Lyon), où il est suivi, propose, un jour par semaine, des consultations d’acupuncture pour les patients atteints de cancer. C’est la Dr Marie Freichet qui s’en occupe. Le reste du temps, elle travaille comme médecin urgentiste au service de réanimation. En 2016, elle a suivi une formation à la faculté de médecine du Kremlin-Bicêtre et a obtenu un diplôme interuniversitaire d’acupuncture scientifique.

« La médecine allopathique traite les symptômes et réduit le patient à son corps fait de cellules, d’os et d’eau. J’avais besoin d’une approche plus globale de la santé, confie-t-elle. La médecine chinoise, à laquelle appartient l’acupuncture, prend en compte l’individu dans son intégralité. » Cette méthode part notamment du principe que les organes sont reliés les uns aux autres par une énergie – le qi – qui circule à travers des canaux – les méridiens. « Lorsque je pique à un endroit, il y a un effet antalgique local, mais cela peut aussi agir à distance sur d’autres organes », précise la docteure.

En ce vendredi de novembre, les patients défilent pour se faire piquer. Dix-sept rendez-vous sont prévus entre 9 heures et 16 heures. Axelle, grande brune de 29 ans à qui on a diagnostiqué un lymphome à la fin de 2017, vient pour de fortes céphalées. Claude, 51 ans, atteinte d’un cancer ORL et d’un cancer du poumon, consulte pour une sécheresse buccale extrême, qui l’oblige à avoir en permanence une bouteille d’eau à la main. Quant à Véronique, 54 ans, traitée pour deux cancers successifs de l’œil, elle a dû s’alimenter de repas liquides pendant six mois à la suite de vomissements violents. Quelques séances d’acupuncture lui ont permis de se réalimenter normalement. Elle vient aujourd’hui pour accélérer la repousse de ses cheveux et retrouver de l’énergie.

« L’acupuncture n’est pas utilisée comme une médecine alternative, qui remplacerait les thérapies classiques du cancer, insiste la docteure. C’est une médecine complémentaire, qui cible les effets secondaires des traitements anticancéreux. » Les indications sont multiples : nausées, fatigue, douleurs... dues à la chimiothérapie. L’acupuncture aiderait aussi à limiter les brûlures des radiothérapies et, dans le cas de l’hormonothérapie utilisée pour les cancers gynécologiques, à réduire sueurs nocturnes et insomnies. « L’objectif est d’abord que les patients se sentent mieux, indique la Dr Freichet. En outre, si ces derniers supportent davantage leur chimiothérapie ou leur radiothérapie, on ne sera pas obligé d’en réduire les doses, ce qui permettra d’optimiser leur efficacité. »

Au CHU de Lyon-Sud, le Dr Marie Freichet pratique l'acupuncture chez des patients atteints de cancer. ...
Au CHU de Lyon-Sud, le Dr Marie Freichet pratique l'acupuncture chez des patients atteints de cancer. Ici, Claude vient pour réduire la sécheresse buccale consécutive à son traitement.
PHOTOGRAPHIE DE Emanuela Ascoli

Dans toute la France, de plus en plus d’hôpitaux se piquent de médecine chinoise. On retrouve de l’acupuncture au CHU de Nantes, pour la prise en charge de la douleur ; du qi gong, une pratique fondée sur des mouvements lents visant à harmoniser l’énergie vitale, à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif; et un service entier dédié à la médecine chinoise au centre hospitalier Alès-Cévennes.

« Ce type de consultations se développent, mais il est compliqué d’en dresser une liste exhaustive, car elles ne relèvent pas d’une politique de santé organisée : la plupart du temps, il s’agit d’initiatives individuelles au sein des services », souligne le Pr Alain Baumelou, nephrologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière APHP. Bercé à la médecine allopathique, le professeur a pourtant pris la tête du Centre intégré de médecine traditionnelle chinoise, créé en 2006 au sein de l’établissement parisien.

« La médecine chinoise est un système de santé global, qui comprend l’acupuncture, des techniques corps-esprit comme le qi gong ou le tai-chi-chuan, de la nutrition, de la phytothérapie, des massages énergétiques, énumère-t-il. Notre objectif est de valider scientifiquement ces pratiques. Pour notre médecine conventionnelle, il est difficile de comprendre le fonctionnement de ces thérapies. Mais de plus en plus de patients, souvent parce qu’ils développent une défiance par rapport aux médicaments, se tournent vers cette médecine et sont satisfaits : c’est une raison suffisante pour s’y intéresser. »

À l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, ces thérapies complémentaires sont utilisées dans de nombreux domaines. « C’est intéressant pour les femmes enceintes, qui ne peuvent pas prendre beaucoup de médicaments, pointe Stéphanie Nicolian, une sage-femme qui pratique l’acupuncture dans le service de gynécologie obstétrique. Notre étude, menée sur 200 patientes, doit bientôt être publiée. Non seulement celles qui ont reçu de l’acupuncture en plus des soins classiques (conseils d’étirement, paracétamol...) ont vu leurs douleurs lombo-pelviennes diminuer de moitié par rapport aux autres, mais les résultats ont aussi montré que cela coûtait moins cher à la société, car ces femmes posaient moins d’arrêts de travail. »

Outre les douleurs, l’acupuncture est indiquée dans les troubles du transit, les insomnies, les nausées, l’anxiété, l’arrêt du tabac... « Il nous faut désormais comprendre quelle est la part de l’effet placebo dans son efficacité, confie la sage-femme. Pour ce faire, nous avons lancé une étude en lien avec des hôpitaux de Strasbourg, de Caen et de Colombes. » Le principe : soumettre un groupe de femmes à un protocole d’acupuncture classique et un autre à une « fausse » acupuncture, en piquant des zones a priori inactives avec des aiguilles rétractables.

Toujours à la Pitié-Salpêtrière, dans l’unité d’addictologie, c’est le qi gong qui est évalué. « Au moment du sevrage, et ce, durant douze semaines, les patients suivent des séances régulières pour réduire le craving, c’est-à-dire l’envie impérieuse de consommer le produit, détaille le Pr Baumelou. C’est un essai multicentrique, que nous menons avec des hôpitaux à Strasbourg, à Nice, à Montpellier et à Bordeaux. »

Au service de neurologie, les patients atteints de la maladie de Parkinson à un stade modéré peuvent tester le tai-chi-chuan pour améliorer leur équilibre et limiter les chutes, tandis qu’en pédopsychiatrie, les adolescents bénéficient de tui na, des massages énergétiques, pour  réduire leur stress et leur anxiété.

« Je mise beaucoup sur les avancées en neurosciences pour lever le voile sur les processus à l’œuvre dans la médecine chinoise, indique le Pr Baumelou. Cela permettrait à ces pratiques d’intégrer plus largement nos hôpitaux. »

 

Ce reportage a été publié dans le numéro de janvier 2019 du magazine National Geographic.

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