Rapamycine : ce médicament anti-âge est-il vraiment efficace ?

Des études révolutionnaires menées chez les souris ont déchaîné les passions parmi les adeptes de la longévité, mais les essais cliniques chez l'Homme ne font que commencer.

De Meryl Davids Landau
Publication 9 déc. 2024, 14:12 CET
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La rapamycine (en rouge) inhibe le complexe protéique mTORC1 (mammalian target of rapamycin complex 1, ou cible de la rapamycine chez les mammifères, en bleu). À l'origine prescrit pour réduire les risques de rejet lors d'une greffe d'organe, ce médicament est parfois utilisé hors indication pour ses potentielles vertus anti-âge qui n'ont pas encore été prouvées chez les humains.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration by JUAN GAERTNER, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Si la quête de la fontaine de jouvence passionne l'humanité depuis des siècles, ce n'est qu'au cours des vingt dernières années que les scientifiques ont fini par s'en rapprocher… ou du moins pour le monde des levures, des mouches et des souris de laboratoire. 

L'élixir qui intéresse tant les chercheurs et les assoiffés de longévité n'est autre que la rapamycine, dont les potentielles vertus n'en finissent plus de séduire les partisans de la lutte anti-âge, au premier desquels Peter Attia, physicien et célèbre podcasteur qui a consacré un chapitre à ce médicament dans son best-seller, Outlive. Pourtant, la capacité de la substance à prolonger, chez l'Homme, les années passées en bonne santé, reste encore à démontrer.

Les années de recherches menées chez la souris nous montrent que la rapamycine « est le médicament le plus efficace et le plus reproductible » lorsqu'il s'agit de prolonger la durée de vie et de ralentir le vieillissement, témoigne Matt Kaeberlein, chercheur de longue date sur la rapamycine au sein de l'université d'État de Washington à Seattle et fondateur d'Optispan, une entreprise de technologie dédiée à la longévité. « Chez les souris qui ont déjà subi un déclin fonctionnel, un traitement par la rapamycine permet de restaurer ces fonctions. »

Certains se sont emparés de ces résultats pour prendre de petites doses du médicament dès à présent, malgré les nombreuses inconnues qui subsistent quant à son efficacité et son innocuité. S'ils ont pu le faire, c'est parce que la substance est déjà approuvée par diverses agences de santé publique, notamment la Food and Drug Administration aux États-Unis et l'Agence européenne du médicament, pour inhiber le système immunitaire des personnes qui reçoivent une greffe d'organe. Dès qu'un médicament reçoit l'autorisation de mise sur le marché, les médecins peuvent le prescrire, même pour une utilisation hors indication. 

« Il est toutefois préférable d'attendre les données scientifiques », recommande Dudley Lamming, directeur du laboratoire de physiologie moléculaire du vieillissement au sein de l'université d'État du Wisconsin à Madison et coauteur d'une revue systématique de la littérature scientifique sur la rapamycine, publiée dans Nature Aging l'année dernière.

 

COMMENT FONCTIONNE LA RAPAMYCINE ?

La rapamycine agit en inhibant une enzyme de signalisation appelée mTOR (cible de la rapamycine chez les mammifères), elle-même responsable de décisions fondamentales pour une multitude de cellules du corps et du cerveau. L'objectif principal de cette protéine est de détecter la quantité de nutriments disponible. Lorsque la nourriture est abondante, mTOR indique aux cellules de s'adonner à leur passe-temps favori : croître et se diviser.

À l'inverse, en cas de pénurie alimentaire, les cellules restreignent leur réplication. L'organisme s'affaire alors à bichonner les tissus existants. Un comportement qui ne manquera pas de rappeler des souvenirs à tous ceux qui ont profité des périodes de confinement pour donner une nouvelle jeunesse aux recoins négligés de leur domicile.

« Les cellules consacrent leur énergie à recycler les protéines endommagées, à réparer les organites en piteux état, comme les mitochondries, et à retaper d'autres défenses cellulaires d'utilité, par exemple en veillant au bon état et à la stabilité de l'ADN génomique », résume Lamming.

Le résultat de ce remue-ménage ? Des cellules, tissus et autres appareils anatomiques plus en santé.

La détection des nutriments est une tâche si importante que la protéine mTOR est présente dans la quasi-totalité des organismes vivants, des êtres unicellulaires aux êtres humains, ce qui fait sens du point de vue de l'évolution, souligne Kaeberlein. Pendant les périodes de famine, la stratégie du succès évolutif tient en quelques mots : « résister et survivre suffisamment longtemps pour être apte à se reproduire une fois la famine terminée », ajoute-t-il.

Depuis longtemps déjà, les études nous montrent que les souris soumises à un régime hypocalorique vivent plus longtemps et à présent, les scientifiques se demandent si la diminution de mTOR qui en résulte ne serait pas en partie responsable de ce phénomène. Cela fait des médicaments ciblant mTOR, comme la rapamycine, des candidats séduisants pour prolonger l'espérance de vie humaine ou l'espérance de vie en bonne santé, c'est-à-dire le « nombre d'années qu'une personne peut compter vivre sans souffrir d'incapacité dans les gestes de la vie quotidienne. » 

 

DE RAPA NUI AU LABORATOIRE

La rapamycine a été découverte par hasard en 1964 par des scientifiques canadiens en visite sur l'île de Pâques, dans le Pacifique Sud, pour étudier la santé de ses habitants natifs. En analysant les échantillons de sol prélevés sur l'île, les chercheurs ont identifié un puissant antifongique et le biochimiste Suren Sehgal a donné à la substance le nom de rapamycine, en référence au nom polynésien de l'île, Rapa Nui.

Après la fusion de l'entreprise pharmaceutique pour laquelle il travaillait et la fermeture de son laboratoire, Sehgal a conservé un flacon du mystérieux élément dans son congélateur jusqu'en 1987, date à laquelle il a pu reprendre ses travaux. Le médicament démontra une telle puissance dans la modulation du système immunitaire que Wyeth Pharmaceuticals reçut l'autorisation de la FDA de mettre sur le marché un traitement quotidien à forte dose visant à réduire les risques de rejet d'organe. Un médicament à la composition chimique similaire, l'évérolimus, a quant à lui été approuvé pour le traitement du cancer en 2016.

Au début des années 2000, plusieurs laboratoires travaillant avec divers organismes, de la levure aux mouches en passant par les vers, ont découvert que l'espérance de vie de ces créatures pouvait être affectée par la présence de mutations sur les gènes codant pour mTOR, mais aussi par l'inhibition de la protéine à l'aide de médicaments comme la rapamycine.

L'intérêt pour la substance a explosé suite aux résultats d'une étude publiée dans la revue Nature en 2009 :  après avoir administré de la rapamycine à des souris âgées de deux ans, un âge avancé pour ces rongeurs, leur durée de vie s'est allongée de 14 % pour les souris femelles et de 9 % pour les mâles. 

COMPRENDRE : Le cancer

« C'était le premier médicament anti-âge dont le traitement pouvait commencer à un âge équivalent à 60 ans chez l'Homme », plutôt qu'à l'adolescence comme l'exigent d'autres études dans le domaine, indique Kaeberlein.

 

DE L'ANIMAL À L'HOMME

Depuis, de nombreuses études sur le modèle murin se sont intéressées à ces effets, notamment l'étude menée par Kaeberlein en 2016 démontrant une augmentation de l'espérance de vie de 60 % en cas d'administration du médicament à un âge moyen.

En outre, les chercheurs ont identifié différents domaines pour lesquels la rapamycine ou d'autres inhibiteurs de mTOR améliorent les troubles liés à l'âge chez les souris, notamment le système immunitaire, la fonction cardiaque, la fertilité féminine et les maladies affectant la gencive

Des études plus récentes ont étendu les recherches aux primates. En juin, une équipe travaillant sur des ouistitis d'âge moyen a présenté une analyse intermédiaire lors du congrès de l'American Aging Association, dans laquelle les chercheurs font état d'une augmentation de 15 % de la durée de vie. Cependant, une autre étude publiée en ligne par la même équipe montre que le traitement n'a pas permis d'améliorer l'ostéo-arthrite des animaux. Dans certains cas, la maladie s'est même aggravée.

Kaeberlein se prépare actuellement à tester la rapamycine chez des chiens domestiques dans le cadre de son initiative Dog Aging Project. Puisque les chiens partagent un environnement et souvent des émotions avec l'Homme, les résultats sur leur santé et leur durée de vie seront donc particulièrement révélateurs, explique-t-il.

Les chercheurs tentent encore d'élaborer un plan pour tester avec précision la fiabilité de la rapamycine chez l'Homme. Il semblerait que l'inhibition de mTOR « améliore légèrement le fonctionnement d'un grand nombre d'appareils anatomiques tout en ralentissant légèrement leur dégradation, mais ces effets « légers » sont difficiles à démontrer lors d'un essai clinique », indique Joan Mannick, directeur général de Tornado Therapeutics à Boston, une entreprise qui développe des médicaments dérivés de la rapamycine. 

Ces dernières années, Mannick et son équipe ont évalué des inhibiteurs de mTOR dans le cadre de petits essais cliniques axés sur le système immunitaire. Plusieurs dizaines de personnes âgées recevant une faible dose d'évérolimus ont présenté une réponse immunitaire à un vaccin contre la grippe supérieure de 20 % par rapport aux sujets recevant un placebo. Lorsque 264 personnes ont été assignées pour recevoir soit une combinaison d'inhibiteurs à faible dose, soit un placebo toutes les six semaines, le nombre d'infections respiratoires était inférieur dans le premier groupe.

Il reste toutefois difficile de mesurer le rôle de l'effet placebo dans ces résultats. Dans toutes les études menées par Mannick, « les personnes qui pensent recevoir un médicament anti-âge commencent à se sentir mieux » et rapportent une plus grande énergie, une amélioration de la vue, de la force et d'autres bienfaits, précise la scientifique.

D'autres chercheurs ont récemment lancé les premiers tests sur l'Homme d'inhibiteurs de mTOR pour des maladies liées à l'âge, notamment la résistance à l'insuline, l'Alzheimer précoce et des troubles parodontaux. 

« En tant que dentiste, plus mes patients vieillissent, plus il m'est difficile de les aider à lutter contre les maladies des gencives, la perte de dents, la diminution de la salive. C'est une bonne nouvelle de pouvoir étudier ces interventions pour un jour en faire profiter nos patients », déclare Jonathan An, professeur adjoint à la School of Dentistry de l'université de Washington à Seattle. Il mène actuellement une étude évaluant les effets de la rapamycine dans le traitement de la parodontite chez 20 personnes âgées.

 

PAS ENCORE PRÊT

En l'absence d'essais cliniques de grande envergure chez l'Homme, personne ne peut encore se montrer confiant envers l'efficacité et l'innocuité de la rapamycine dans le prolongement de la vie et de la santé. Les effets secondaires peuvent aller de l'aphte buccal à l'élévation de la glycémie ou du cholestérol. En cas de prise de rapamycine à long terme, le médicament active un second groupe de protéines qui favorisent ces augmentations, c'est pourquoi les entreprises comme celle de Mannick s'intéressent aux préparations qui ciblent uniquement les protéines les plus bénéfiques.

Par ailleurs, le plan de traitement le plus efficace reste encore flou pour les scientifiques. Il leur faudra déterminer dans quelle mesure inhiber mTOR, un peu ou beaucoup, la seconde option risquant ironiquement de réduire l'espérance de vie au lieu de l'allonger.

Certains partisans de la longévité ont déjà commencé à recommander la rapamycine, mais Mannick met en garde : « Nous ne connaissons ni la dose ni la durée de traitement qui permettent aux bénéfices de dépasser les risques », explique-t-elle. Tant que nous n'aurons pas déterminé ces paramètres par la recherche, la scientifique ne pourra pas se résoudre à prendre elle-même le médicament. 

Si Kaeberlein reconnaît que l'usage répandu de la rapamycine n'est pas encore d'actualité, il a déjà lui-même pris le médicament en plusieurs phases de trois mois. Pendant l'une d'entre elles, il indique que l'inflammation liée à l'âge de son épaule avait presque disparu. Ses autres expériences se sont avérées moins marquantes.

Attia rappelle que tout médecin disposé à prescrire la rapamycine à un patient « doit être en mesure d'expliquer l'état actuel des connaissances et les limites que pose la prescription d'un médicament sans biomarqueur ni bienfaits démontrés pour l'espèce concernée, à savoir l'humain. »  

Quant à ceux qui souhaitent essayer le médicament, la solution pourrait être de participer à un essai clinique, comme le suggère Dudley. D'après la plateforme ClinicalTrials.gov, plus de 100 études sur les médicaments ciblant mTOR recrutent actuellement des participants à travers le monde. « C'est la seule façon d'en apprendre plus », souligne-t-il.

Si les certitudes doivent attendre la publication des résultats, les experts n'en sont pas moins optimistes. « Quiconque croit en l'évolution et comprend la biologie du vieillissement aura du mal à soutenir que la rapamycine ne va pas ralentir le vieillissement biologique chez les humains », indique Kaeberlein. « Tout ce que je sais de la biologie me porte à croire qu'elle le fera sûrement. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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