Quels effets les colorants alimentaires ont-ils sur notre santé ?
Les colorants alimentaires sont présents partout, des bonbons aux céréales en passant par les jus de fruits. Quels effets ont-ils sur notre santé et celle de nos enfants ?
Les colorants alimentaires sont présents partout, des bonbons aux céréales en passant par les jus ; mais quels effets ont-ils sur notre santé ? Les scientifiques cherchent encore à démêler le vrai du faux parmi toutes les données dont ils disposent.
Un colorant alimentaire fréquemment utilisé dans la confection des bonbons, des céréales, des condiments, des chips, des jus et de certains compléments alimentaires et médicaments est de nouveau sous le feu des projecteurs une cinquantaine d’années après que son innocuité a été remise en question pour la première fois, dans les années 1970.
L’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) envisagerait d’interdire l’érythrosine (E127), l’un des six colorants récemment interdits par l’État de Californie dans toutes ses écoles publiques.
Cette interdiction est en partie due à un rapport de l’Agence californienne pour la protection de l’environnement (CalEPA) qui suggère une corrélation entre la consommation de colorants alimentaires et l’apparition de symptômes aigus de troubles comportementaux, comme le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Cependant, corrélation ne signifie pas nécessairement lien causal, et il existe des contraintes liées à l’âge, à la taille de l’échantillon étudié, à la portée des études et même aux lieux où la majorité des recherches ont été réalisées, ce qui fait dire à des scientifiques comme Lawrence Diller, pédiatre spécialiste du comportement installé en Californie, que l’affirmation selon laquelle les colorants alimentaires exacerbent les symptômes du TDAH sont « une légende urbaine qui refuse de mourir ».
Que savons-nous et que ne savons-nous pas sur les effets nocifs des colorants alimentaires ? Et existe-t-il des raisons légitimes pour les parents de s’inquiéter de la quantité de colorants alimentaires ingérée par leurs enfants ?
QU’Y A-T-IL AU JUSTE DANS LES COLORANTS ALIMENTAIRES ?
Les additifs colorants sont des pigments, colorants ou autres substances utilisées dans les aliments pour en rehausser les couleurs naturelles, pour ajouter de la couleur à des aliments « sympas », comme les vermicelles utilisés pour décorer les gâteaux, mais aussi pour aider à identifier plus facilement leurs saveurs, comme le violet pour indiquer le goût du raisin ou le jaune pour indiquer celui du citron, ainsi que l’explique la FDA.
Cette dernière a approuvé vingt-sept colorants alimentaires naturels dérivés de plantes telles que la betterave ou le curcuma et neufs colorants artificiels fabriqués grâce à des procédés chimiques ; généralement à partir de pétrole. S’ils portent de nombreux noms qui diffèrent souvent selon les pays, les neufs colorants approuvés aux États-Unis sont le bleu brillant FCF (E133 ; Blue 1), le carmin d’indigo (E132 ; Blue 2), le vert solide FCF (E143 ; Green 3), l’orange GGN (E111 ; interdit dans les aliments dans l’UE), la tartrazine (E102 ; Yellow 5), le jaune orangé S (E110 ; Yellow 6), l’amarante (E123 ; Red 2), l’érythrosine (E127 ; Red 3) et le rouge allura AC (E129 ; Red 40). En vertu de la législation européenne, tous les additifs alimentaires, dont les colorants, doivent faire l’objet d'une procédure d'autorisation avant de pouvoir être utilisés dans les aliments.
Les colorants rouges et jaunes sont souvent cités comme étant particulièrement préoccupants, mais « les colorants artificiels n’ont été étudiés chez les humains qu’en tant que groupes de colorants combinés », explique Joel Nigg, professeur de psychiatrie à l’Université des sciences et de la santé de l’Oregon et co-auteur de recherches sur le sujet ; nous ne savons donc pas si un colorant spécifique est particulièrement problématique.
En revanche, nous savons effectivement que de nombreux aliments contenant des colorants ciblent les enfants, ainsi que le rappelle Eugene Arnold, professeur émérite de psychiatrie et de santé comportementale à l’Université d’État de l’Ohio et co-auteur d’une étude sur les effets des colorants alimentaires sur le TDAH. Dans le même esprit, en 2016, une étude avait montré que près de 30 % des produits d’alimentation destinés aux enfants contiennent le colorant E129.
Ceci a son importance, car les enfants sont ceux dont on pense que le comportement est le plus affecté par les choix alimentaires, ainsi que le montre un large corpus d’études portant sur une multitude d’ingrédients et d’additifs.
Certaines de ces études ont montré qu’un excès de sucre entrave la fonction cognitive, que l’acide glutamique présent notamment dans le fromage et dans la charcuterie peut entraîner des troubles de l’humeur, que les aliments transformés favorisent le stress et qu’un excès de sel peut altérer la mémoire.
CE QUE SUGGÈRENT LES ÉTUDES SCIENTIFIQUES SUR LES COLORANTS ALIMENTAIRES ET LE TDAH
Pour leur part, les colorants alimentaires ont commencé à faire l’objet d’une surveillance dans les années 1970 lorsque Benjamin Feingold, allergologue et pédiatre californien, a suggéré que l’on pourrait traiter les symptômes du TDAH en les supprimant de l’alimentation d’un enfant. Mais des recherches subséquentes et le consensus scientifique qu’elles ont fait émerger dans les années 1980 ont tordu le cou à cette affirmation infondée.
Mais d’autres recherches entreprises par la suite ont de nouveau mis en évidence une corrélation, et parfois, semble-t-il, un lien de cause à effet, entre la consommation de colorants alimentaires et l’apparition de symptômes aigus de troubles du comportement, et notamment de TDAH.
Parmi ces recherches, une étude publiée en 2012 suggère un lien « ténu mais tangible » entre colorants alimentaires et symptômes graves de TDAH, ainsi que l’explique son co-auteur, Joel Nigg. Une autre met en évidence un lien entre les colorants et des comportements tels que l’hyperactivité, indépendamment du fait qu’un enfant se soit vu ou non diagnostiquer un trouble du comportement tel que le TDAH. De plus, une étude des plus importantes et du plus haut niveau sur le sujet montre « que les colorants ont un effet indésirable faible mais significatif sur les facultés intellectuelles et le comportement des enfants, qu’importe qu’ils aient un TDAH ou non », rappelle Eugene Arnold.
Mais la méta-analyse la plus importante a été publiée en 2021 par l’Agence américaine pour l’évaluation des risques environnementaux pour la santé (OEHHA). Ses auteurs ont scruté l’ensemble des études en lien avec le sujet et ont réalisé leurs propres recherches afin d’estimer la quantité de colorants artificiels que les enfants consomment selon différents groupes d’âge, ethniques et socio-économiques.
D’après les résultats de cette méta-analyse, non seulement les enfants sont susceptibles de dépasser ce que l’on considère comme des niveaux « sûrs » d’additifs colorants, mais il a également été établi un lien entre absorption de colorants alimentaires et augmentation des symptômes de troubles du comportement, y compris pour ce qui est du TDAH. L’analyse « va dans le sens d’un lien entre exposition aux colorants alimentaires et effets comportementaux indésirables chez les enfants, à la fois lorsque des troubles du comportement préexistent et lorsque cela n’est pas le cas », font observer les auteurs de l’étude.
Mais ces études ne répondent toujours pas à de nombreuses questions persistantes et ne parviennent pas à démontrer que les colorants alimentaires sont bel et bien la cause de ces problèmes.
CE QUE CES ÉTUDES NE PEUVENT PAS NOUS DIRE SUR LES COLORANTS ALIMENTAIRES ET LE TDAH
Si ces recherches sont convaincantes, « la qualité de beaucoup d’études apparentées est limitée », affirme Joel Nigg. « Et nous n’avons jamais réalisé d’essai sur un grand ensemble de population aux États-Unis ; seulement en Europe, où les régulations et les additifs alimentaires diffèrent légèrement par rapport aux États-Unis, et où les conservateurs ont également été inclus dans les recherches. »
Le benzoate de sodium, par exemple, est un conservateur courant qu’on a pu de manière semblable associer à une hyperactivité accrue chez les enfants ; la recherche n’a, là aussi, pas définitivement prouvé que l’augmentation perçue des symptômes de TDAH est due aux colorants plus qu’à d’autres additifs ou conservateurs. La même chose vaut pour des ingrédients du quotidien tels que le sucre dont a pu montrer qu’ils affectaient, eux aussi, le comportement.
Emily Barrett, directrice adjointe du Centre des maladies et expositions environnementales de l’École de santé publique Rutgers, qui a inter-évalué le rapport de l’OEHHA, ajoute que bon nombre des études qui montrent une corrélation entre colorants alimentaires et troubles du comportement « sont assez anciennes – elles datent des années 1970 et 1980 – et beaucoup sont assez restreintes et comptent moins de cinquante participants ».
Il est également important de noter que l’étude de l’OEHHA conclut qu’il est « clair que certains enfants sont susceptibles d’être plus négativement affectés par les colorants alimentaires synthétiques que d’autres ». Selon Eugene Arnold, cela est probablement déterminé par les gènes également responsables de la production d’histamine dans le corps ; raison pour laquelle certaines personnes ont plus de chances de voir apparaître des symptômes allergiques que d’autres.
Pour sa part, la FDA affirme que les recherches existantes, y compris les rapports de l’OEHHA, n’ont pour l’instant pas prouvé que les colorants alimentaires sont les uniques responsables de l’apparition de symptômes aigus de troubles du comportement.
Un représentant de la FDA a affirmé à National Geographic que l’agence « a par le passé, et en plusieurs occasions, déjà évalué des informations concernant les additifs colorants, notamment des analyses émanant [de son] Comité consultatif pour l’alimentation et [de son] Comité scientifique ; [et qu’à] ce jour, on n’a pas établi de lien causal entre exposition aux additifs colorants, Red 40 y compris, et l’hyperactivité chez les enfants au sein de la population générale ».
CE QUE LES PARENTS PEUVENT FAIRE
En définitive, selon Joel Nigg, la quantité de colorant consommée par la plupart des personnes « est ‘faible’ ou ‘modeste’ quand on l’examine à l’échelle de la population ». Malgré tout, il préconise d’éviter la surconsommation d’aliments contenant des colorants plutôt que de se sentir le besoin de les éliminer complètement. « Ainsi que nous aimons à le dire dans la communauté scientifique : ‘C’est la dose seule qui fait le poison.’ », renchérit Eugene Arnold.
Ce dernier ajoute que cela vaut tout à fait la peine d’être noté, car « la consommation par habitant de produits contenant des colorants alimentaires a quintuplé au cours des trois décennies passées ». Selon Emily Barrett, cela signifie que les parents d’aujourd’hui doivent peut-être se sensibiliser davantage par rapport à ce que leurs enfants mangent que les parents des générations précédentes.
La FDA recommande par exemple de ne pas consommer plus de 3,75 mg de rouge allura AC par jour et par kilogramme de poids de corps. Toutefois, selon Kate Donelan, diététicienne agréée officiant au Stanford Health Care, il est facile pour les enfants de dépasser allègrement cette limite lors d’une simple fête d’anniversaire. Après tout, « 35 cL de soda rouge, un petit sachet de Skittles et un morceau de gâteau avec glaçage rouge, cela représente 130 mg au total », fait-elle observer.
Il peut également être sage de se demander si son enfant est plus exposé aux troubles du comportement liés aux colorants alimentaires.
« Comme seul un petit nombre d’enfants semblent avoir des réactions indésirables fortes, […] tout parent constatant des changements de comportement importants chez ses enfants pourrait avoir intérêt à envisager cette possibilité », prévient Joel Nigg. Lawrence Diller abonde en ce sens : « Avant d’interdire pour toujours un aliment, voire un additif, je mettrais d’abord en place une période de privation de deux semaines pour voir si cela a un quelconque effet sur le comportement. »
Pour tous les autres, Emily Barrett dit qu’elle recommanderait de manger en priorité des aliments frais et complets plutôt que des aliments transformés lorsque cela est possible. « Cela réduira probablement l’exposition aux colorants ainsi que la surconsommation de sucre et d’autres additifs. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.