Les femmes sont plus à risque de développer des maladies auto-immunes
Lorsque le système immunitaire dysfonctionne et attaque ses propres cellules, il peut provoquer une maladie auto-immune. Les chercheurs tentent de comprendre pourquoi quatre patients sur cinq atteints de maladies auto-immunes sont des femmes.
Lorsque le système immunitaire dysfonctionne et attaque ses propres cellules, il peut provoquer plus de 80 types de maladies auto-immunes telles que le lupus, la sclérose en plaques et la polyarthrite rhumatoïde. Comme on peut le voir sur ce cliché, la maladie auto-immune appelée dermatomyosite se manifeste par une éruption cutanée sur l'ensemble du corps.
Un système immunitaire sain défend le corps contre les maladies et les infections. Cependant, chez une personne sur dix (le plus souvent une femme) le système immunitaire dysfonctionne et attaque ses propres cellules. Ce phénomène est à l’origine de plus de 80 types de maladies auto-immunes, telles que le lupus, la sclérose en plaques et la polyarthrite rhumatoïde. Selon deux études récentes, les femmes seraient plus concernées par ces maladies en raison du dysfonctionnement d’un processus censé désactiver l’un de leurs deux chromosomes X.
Une étude de l’université de Stanford a démontré qu’une molécule appelée Xist (à prononcer « existe »), dont le rôle est de désactiver l’une copie du chromosome X dans chaque cellule du corps féminin, pouvait déclencher une incontrôlable réponse immunitaire. Une autre étude française, qui n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation par des pairs, a montré que des symptômes semblables au lupus pouvaient apparaitre chez des souris âgées lorsque certains gènes du chromosome X inactif se réactivaient.
Comme la plupart des maladies auto-immunes sont diagnostiquées après la puberté, et ce davantage chez les filles que chez les garçons, on a cru que les hormones sexuelles étaient le principal facteur à l’origine de cette différence. En effet, quatre patients sur cinq atteints de maladies auto-immunes sont des femmes ; dix fois plus de femmes sont atteintes de lupus, et 20 fois plus de femmes développent le syndrome de Sjögren, une maladie qui provoque principalement un assèchement des yeux et de la bouche.
« Notre étude montre que les hormones sexuelles féminines, tout comme un deuxième chromosome X ne sont pas des conditions indispensables [au développement de la maladie], alors que cette [molécule] Xist à elle seule pourrait jouer un rôle majeur dans le développement de certaines maladies auto-immunes », explique Howard Chang, dermatologue et généticien moléculaire à la faculté de médecine de l’université de Stanford, en Californie, qui a dirigé l’étude.
« Il est désormais clairement établi que le biais sexuel dans les maladies auto-immunes n'est pas le seulement lié aux hormones, mais aussi au nombre de chromosomes X présents et au processus d’inactivation du chromosome X », explique l’épigénéticienne Claire Rougeulle, qui a dirigé la seconde étude au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de l’Université Paris Cité.
Comme l’explique Jean-Charles Guéry, immunologue à l’Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires (Infinity), « on ne savait pas du tout » qu’il existait autant d’anticorps qui ciblent et détruisent les molécules censées inactiver ou éteindre l'un des chromosomes X.
Paradoxalement, le risque accru de maladies auto-immunes chez les femmes pourrait être une adaptation évolutive visant à protéger la vie de leur progéniture. « Les femmes ont un meilleur système immunitaire pour lutter contre les maladies », explique Johann Gudjonsson, dermatologue à l’université du Michigan, à Ann Arbor.
Les femmes ont tendance à produire plus d’anticorps que les hommes, ce qui les protège, elles et leurs bébés, par le biais du lait maternel, explique Vanessa Kronzer, rhumatologue à la Mayo Clinic de Rochester, dans le Minnesota.
Les hormones aussi jouent un rôle là-dedans. Les œstrogènes féminins renforcent l’immunité, tandis que les hormones masculines limitent l’immunité, mais protègent contre l’auto-immunité. On pensait que ces différences entre les hormones sexuelles expliquaient pourquoi les femmes disposaient d’un meilleur système immunitaire, lequel les rend également plus susceptibles que les hommes de développer des maladies auto-immunes. Mais les hormones pourraient ne pas être la seule explication au phénomène.
La combinaison des chromosomes sexuels hérités lors de la fécondation détermine le sexe d’un individu. Comme on peut le voir ici, les hommes héritent d’un chromosome X (à gauche) et d’un chromosome Y (à droite) ; les femmes héritent quant à elles de deux copies du chromosome X. Le chromosome Y porte les instructions pour le développement des caractères masculins.
L'INACTIVATION DE L’UN DES CHROMOSOMES X
Chaque cellule du corps d’une femme possède deux chromosomes X, l’un provenant de la mère et l’autre du père. Les hommes ont un chromosome X de leur mère et un chromosome Y, beaucoup plus petit, de leur père. Le chromosome Y ne contient qu’une centaine de gènes, quand le chromosome X en contient plus de 900.
Afin que l’activité des gènes situés sur le chromosome X soit la même chez les hommes et les femmes, l’un des deux chromosomes X de chaque cellule féminine est désactivé de manière aléatoire. Cela se produit au début du développement du fœtus, lorsque la molécule Xist et ses protéines partenaires s’enroulent autour de l’un des chromosomes X et l’éteignent. À noter qu’une cellule meurt si ses deux chromosomes X restent aussi actifs l’un que l’autre.
Par conséquent, le corps féminin contient une mosaïque de cellules dans lesquelles le chromosome X de la mère ou du père est inactif. Cette inactivation du chromosome X est la raison pour laquelle la fourrure des chattes calicos présente des zones oranges et brunes : alors que certains de leurs poils expriment une couleur noire provenant d’un chromosome X actif, d’autres arborent une couleur orange provenant de l’autre chromosome.
Cependant, l’inactivation du chromosome X est loin d’être un processus exact, car 15 à 23 % des gènes du chromosome concerné échappent à l'inactivation. L’un de ces gènes, actif alors qu’il ne le devrait pas, a d’ailleurs été associé au lupus. Par ailleurs, les garçons et les hommes nés avec un chromosome X supplémentaire présentent également un risque accru de développer des maladies auto-immunes, ce qui confirme le rôle essentiel du chromosome X.
LA MOLÉCULE XIST DÉCLENCHE LA PRODUCTION D’AUTO-ANTICORPS
Chang étudie la molécule Xist depuis de nombreuses années et, en 2015, il a découvert que de nombreuses protéines coopérant avec Xist étaient impliquées dans des troubles auto-immuns et étaient attaquées par des anticorps malveillants, appelés auto-anticorps, qui, au lieu de combattre les envahisseurs étrangers tels que les germes, ciblent par erreur les propres cellules d’un individu.
Pour vérifier si une inactivation défectueuse du chromosome X était la raison pour laquelle plus de femmes que d’hommes souffraient de maladies auto-immunes, l’équipe de Chang a génétiquement modifié des souris mâles afin qu’elles synthétisent la molécule Xist, normalement uniquement présente dans les cellules féminines.
Cependant, la molécule Xist à elle seule n’a pas provoqué de maladie auto-immune chez les souris mâles génétiquement modifiées.
Ce n’est que lorsque les chercheurs ont injecté un irritant à ces souris mâles que leurs taux d’auto-anticorps ont augmenté et provoqué une maladie semblable au lupus. Avec l’ajout de l’irritant, les taux d’auto-anticorps chez les mâles synthétisant la molécule Xist correspondaient à ceux des femelles, et étaient plus élevés que chez les mâles non génétiquement modifiés, qui ne produisent donc pas naturellement de Xist. Ces souris modifiées présentaient également des lésions tissulaires plus importantes et des signes d’inflammation accrue lorsqu’elles étaient exposées à l’irritant.
Ainsi, la seule présence de Xist ne suffirait pas à expliquer l’apparition des maladies auto-immunes. Selon cette étude, ce n’est que lorsque les cellules sont endommagées, soit par un facteur environnemental, soit par une susceptibilité génétique, que la molécule Xist et ses partenaires protéiques s’échappent de la cellule et provoquent la production par le système immunitaire d’auto-anticorps contre le complexe Xist-protéine, déclenchant ainsi une maladie auto-immune.
« C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la plupart des femmes ne souffre pas de maladie auto-immune, explique Chang, alors que toutes les femmes expriment les molécules Xist dans leur organisme. »
LIENS ENTRE LE CHROMOSOME X ET LE LUPUS
Rougeulle a collaboré avec Céline Morey, épigénéticienne à Paris, pour comprendre ce qu’il se passe lorsque le chromosome X n’était pas complètement éteint.
Pour cela, elles ont génétiquement modifié des souris femelles de sorte qu’elles présentent une inactivation imparfaite du chromosome X (dans ce cas, la plupart des gènes du second chromosome X sont inactifs, mais pas tous). Les chercheurs ont eu recours à une inactivation incomplète, car le fait de bloquer toute l’activité des molécules Xist aurait laissé les deux chromosomes X pleinement fonctionnels et aurait tué les souris. Les scientifiques français ne s’attendaient pas à ce que leurs souris développent une maladie auto-immune, et ont été surpris de constater que les souris femelles génétiquement modifiées présentaient les symptômes d’une maladie semblable au lupus.
« Les symptômes de maladie auto-immune ne se manifestent pas immédiatement chez ces souris, mais apparaîssent à mesure qu’elles vieillissent », explique Morey.
Cela confirme l’étude de Guéry de 2018 qui a montré que lorsqu’un gène qui favorise l’inflammation échappait à l’inactivation dans les cellules immunitaires, il augmentait le risque de lupus.
L’étude de Stanford et l’étude française ont pour point commun de toutes deux établir un lien entre le chromosome X et le processus d’inactivation du chromosome X, d’une part, et l’auto-immunité, d’autre part, explique Rougeulle.
Les mécanismes liés à l’inactivation du chromosome X semblent expliquer les différences entre les sexes dans certaines maladies auto-immunes telles que le lupus et le syndrome de Sjögren, déclare Guéry. « Mais il ne peut y avoir un mécanisme unique pour toutes les maladies auto-immunes. »
PRÉDIRE LES RISQUES DE MALADIE AUTO-IMMUNE
L’étude de Stanford a permis de découvrir que des auto-anticorps dirigés contre de nombreuses protéines associées à Xist sont présents dans le sang de patients souffrant de maladies auto-immunes, telles que le lupus, la sclérodermie ou la dermatomyosite.
Si certains auto-anticorps sont spécifiques à certaines maladies auto-immunes, d’autres sont communs à plusieurs d’entre elles. Il pourrait donc être possible de mettre au point un panel d’auto-anticorps permettant de distinguer différentes maladies.
Rougeulle note toutefois que les études actuelles n'indiquent pas si les niveaux d’auto-anticorps augmentent de manière significative avant les maladies. D'autres études seront donc nécessaires avant de pouvoir concevoir un outil de diagnostic.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.