Comment améliorer l'accompagnement médical des personnes transgenres ?
Pour de nombreuses personnes transgenres, être suivies par des médecins sensibilisés et bienveillants relève du parcours du combattant. La transphobie qu'elles subissent engendre des ruptures dans les parcours de soins, voire des renoncements aux soins.
Dois-je consulter un urologue ou un gynécologue ? Mon généraliste ou mon psychologue va-t-il m’accepter tel.le que je suis ? Comment prendre soin de ma santé reproductive ? Ces questions, Tom Perrollaz se les est posées : « être trans m’a enlevé la légèreté d’aller à des rendez-vous médicaux sans préparation » regrette-il. « Mon critère n’est plus seulement de savoir si le médecin est compétent, mais aussi s’il va m’accepter, m’écouter, et m’ausculter sans me rejeter ».
Le médecin généraliste, tel un un chef d’orchestre au moment de la transition et après, a « beaucoup de pouvoir sur la vie et le bien-être » des personnes transgenres, affirme Tom Perrollaz.
UN FAIBLE INVESTISSEMENT DANS LA SANTÉ TRANS
Pourtant, peu de médecins expriment leur envie de se former sur la question et ceux-ci peuvent se retrouver démuni ou mal à l’aise dans la prise en soin d’une personne trans par manque de connaissances. « Beaucoup voient le traitement des personnes trans comme quelque chose de très compliqué et une affaire de médecins spécialisés », déplore Louis, membre de l’association Fransgenre, une association d’entraide transgenre. En France, il existe des professionnels de santé compétents dans le domaine de la transidentité, mais cela est encore trop variable et dépendant du lieu de vie, ou même du budget que les personnes transgenres peuvent accorder à leur suivi.
De plus, les médecins considérés comme fiables sont très sollicités et les temps d’attente pour avoir un rendez-vous sont long. Les personnes souhaitant entamer une transition doivent alors se tourner vers les hôpitaux proposant des parcours de soins pluridisciplinaires. Mais les listes d’attente sont là aussi très étendues. « Un an d’attente est un minimum dans certaines villes, or quand on souffre, c’est très long », témoigne Tom Perrollaz.
Au-delà du manque de formation de leur médecin de famille, beaucoup redoutent d’être victimes de transphobie. Selon une étude menée par l'Inserm « auprès de 633 personnes transgenres françaises, plus d'une sur deux a rapporté avoir été victime de transphobie dans des lieux de soins et 45 % ont indiqué éviter ces lieux pour cette raison. »
Les personnes transgenres ont dû lutter plus longtemps pour être reconnues. Ce n’est que dans les années 2000 qu’elles ont vraiment été intégrées au reste de la communauté LGBT. Elles continuent de faire face à des obstacles insurmontables comme en témoigne cette photo d’octobre 2019 où l’on voit des manifestants bloquer la rue qui mène à la Cour suprême des États-Unis, alors en pleine délibération pour savoir si les personnes gays et trans étaient bien couvertes par une loi fédérale proscrivant la discrimination à l’emploi sur la base du sexe. Elles ont fini par obtenir gain de cause.
LE TRAVAIL DES ASSOCIATIONS CITOYENNES
À seize ans, Cassandre a co-créé l’association Fransgenre, qui met à disposition des outils permettant à la communauté trans d’avoir accès à plus d’informations et de suivi. Parmi ces outils, il y a notamment une carte indiquant quel médecin est trans-friendly autour de chez soi, ainsi qu’un espace de discussions ouvert 24h/24 sur Discord. « Les participants peuvent ainsi échanger quand ils ont besoin de soutien, de conseils sur leur transition, ou encore de retours sur des prescriptions médicales », explique Cassandre.
L’association sensibilise aussi depuis quelques années des médecins souhaitant se former sur le suivi des personnes transgenres. Fransgenre se déplace même depuis le début de l’année 2024 directement dans les facultés de médecine, pour pallier le manque d’informations dans la formation initiale. L’association est également associée aux associations étudiantes présentes sur les campus. Fransgenre se donne pour objectif de former cinq cents médecins en 2024. « Si cinq médecins généralistes [sont sensibilisés] dans une ville, cela fera déjà une énorme différence », affirme Louis, membre de Fransgenre.
L’association Toutes Des Femmes a quant à elle lancé le mouvement « Juge pas mon genre », qui a pour but de déjudiciariser le changement de genre à l’état-civil. Le genre d’une personne sur sa pièce d’identité, s’il est mis à jour, lui permet en effet d’accéder à des soins remboursés auprès de la sécurité sociale, ou encore de bénéficier de la procréation médicalement assistée (PMA). « Les personnes qui véhiculent l’idée que l’on change de genre comme de chemise sont dans une ignorance déconcertante » souffle Tom Perrollaz.
À ce jour, les hommes transgenres sont les seuls qui sont encore dans l’incapacité de procréer avec une assistance médicale. Les dispositions de la loi de 1973 les en empêchent. L’article L2141-2 prévoit en effet que : « tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation […] ». Les hommes transgenres en sont donc exclus.
Ceux qui n’ont pas subi de chirurgie de réassignation sexuelle, bien que physiquement en capacité de procréer, n’ont d’autres choix que de « renoncer à modifier la mention de leur sexe à l’état-civil pour conserver leur accès à la PMA », explique le Conseil Constitutionnel en réponse à la saisine en question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du Groupe d’Information et d’Action sur les questions Procréatives et Sexuelles (GIAPS). Les associations travaillent encore sur la revendication de ce droit.
SANTÉ PHYSIQUE ET SANTÉ MENTALE
Aujourd’hui, la transidentité est encore considérée comme un diagnostic psychiatrique par de nombreux médecins, et ce même si l’OMS a adopté une nouvelle version de la classification internationale des maladies en 2022.
Être trans ne rend pas les personnes trans par définition vulnérables. Mais l’adversité que rencontrent ces personnes dans la société les rend de facto vulnérables. De manière générale, toute personne faisant partie d’une minorité à de grandes chances de subir ce que l’on appelle « le stress minoritaire », avec une prévalence au suicide démontrée dans plusieurs études chez les personnes trans. La cohorte d’Amsterdam, une étude menée sur des personnes transgenres entre 1972 et 2015, a notamment démontré que le suicide était l’une des premières causes de surmortalité chez les personnes trans.
Pour que les personnes transgenres aient un accès simplifié aux soins médicaux, il faudrait que les bonnes pratiques inscrites dans la loi puissent être appliquées, tout comme les nombreuses revendications de la communauté LGBTQIA+. « Les personnes transgenres ont besoin d’évoluer dans l’espace public sans être perçues comme une curiosité […]. On bouscule les normes certes, mais nous sommes des êtres humains qui aspirent à être heureux et à construire notre vie avec tranquillité », conclut Tom Perrollaz.