Depuis quand les humains ont-ils recours aux plantes pour se soigner ?
Le site funéraire de la grotte des Pigeons au Maroc renfermerait la plus ancienne preuve jamais découverte de l'utilisation des plantes à des fins médicinales.
Un peuple de l'âge de pierre occupait autrefois la grotte des Pigeons près de Taforalt, dans les montagnes de l'est du Maroc. Une ancienne fosse funéraire retrouvée dans la grotte contient des cônes appartenant à des plantes du genre Ephedra, aujourd'hui utilisées en tant que stimulant dans la médecine traditionnelle.
La plus ancienne preuve de l’utilisation de plantes à des fins médicinales, ou peut-être récréatives, pourrait bien avoir été trouvée aux côtés de restes humains dans une grotte funéraire d’Afrique du Nord vieille de 15 000 ans.
Une étude publiée début novembre dans la revue Scientific Reports décrit en effet la découverte de cônes appartenant à de petits arbustes du genre Ephedra dans une ancienne fosse funéraire de la grotte des Pigeons, dans le nord-est du Maroc.
Les cônes des plantes du genre Ephedra contiennent de l’éphédrine, un puissant stimulant qui accélère la communication entre le cerveau et le corps. Selon les chercheurs, ces derniers auraient été consommés pendant l’enterrement, ce qui suggère que la plante était largement utilisée par les peuples qui vivaient dans les alentours de cette grotte durant l’âge de pierre.
Cette découverte « souligne le rôle important des plantes dans les modes de vie du Paléolithique, bien avant l’apparition de l’agriculture et de la sédentarisation », explique Jacob Morales, auteur principal de l’étude et archéobotaniste à l’Université espagnole de Las Palmas de Grande Canarie. « Nos résultats démontrent que les plantes constituaient une ressource importante pour les populations du Paléolithique. »
Aujourd’hui, l’éphédrine est utilisée en tant qu’antiasthmatique, pour faciliter la respiration, mais aussi en tant que vasoconstricteur, c’est-à-dire qu’elle aide à rétrécir les vaisseaux sanguins et, ainsi, à limiter certains types de saignements.
Ce stimulant peut cependant également augmenter la pression artérielle et le rythme cardiaque jusqu’à des niveaux parfois dangereux, et sa consommation, si elle est trop régulière, peut même provoquer des crises d’épilepsie.
La fosse funéraire de la grotte des Pigeons contenait des restes humains (en bleu sur le schéma de gauche), un noyau de corne de mouflons à manchettes (en gris), de la pierre avec de l'ocre (en gris foncé et en rouge), des os d'animaux (en jaune), un coquillage (tache verte) et des cônes du genre Ephedra (points rouges). Apparaissent également les limites de la fosse funéraire (ligne pointillée). Les cônes (photographiés à droite) contiennent des graines.
Des écrits datant de la Chine antique indiquent que les arbustes du genre Ephedra sont utilisés dans des remèdes traditionnels contre le rhume depuis des milliers d’années, et ils sont aujourd’hui encore vendus pour ces propriétés sur les marchés de certaines régions d’Afrique et d’Asie. La pseudoéphédrine, une substance moins puissante apparentée à l’éphédrine, est également utilisée comme ingrédient dans de nombreux médicaments actuels contre le rhume.
ENTERREMENT ET RITUEL
La grotte des Pigeons, également connue sous le nom de grotte de Taforalt, ou Tafoughalt, en référence au village berbère voisin du même nom, contient des preuves d’occupation humaine et de différents enterrements effectués sur une période de plus de 100 000 ans. À l’époque de l’enterrement analysé dans l’étude, la grotte était probablement occupée par des chasseurs appartenant à la culture des Ibéromaurusiens, qui vivaient le long des côtes de l’Afrique du Nord.
Selon Morales, l’enterrement « semble avoir eu une signification particulière », car la fosse contenait également des traces de mouflons à manchettes et de grandes outardes abattus.
« Ces restes suggèrent que des produits issus de l’abattage ont été intentionnellement placés dans la fosse funéraire aux côtés du corps humain et d’autres objets de valeur », commente-t-il. « Il est possible que de l’Ephedra ait été consommée en même temps que ces aliments spéciaux dans le cadre d’un festin rituel, et que tous ces restes aient ensuite été enterrés dans la fosse avec le défunt. »
DES PLANTES PRÉHISTORIQUES
« Les plantes du genre Ephedra peuvent agir comme un puissant stimulant tout en ayant des propriétés médicinales », décrit l’archéologue Karen Hardy, de l’Université de Glasgow, qui n’était pas impliquée dans l’étude.
Elles peuvent néanmoins aussi s’avérer dangereuses ; leur utilisation suggère donc une connaissance approfondie de leurs effets, ajoute-t-elle.
Selon Morales, toute connaissance relative aux effets physiologiques de ces plantes n’a pu être acquise qu’en les consommant.
« Nous savons que les cônes d’Ephedra étaient des "aliments médicinaux" appréciés pour leurs bienfaits thérapeutiques et nutritionnels », mais aussi que la distinction que l’on fait aujourd’hui entre un aliment et un médicament n’existait probablement pas à l’époque, poursuit-il.
Les chercheurs n'ont pas été en mesure d'identifier l'espèce exacte d'Ephedra retrouvée dans la fosse funéraire, mais les cônes ressemblent beaucoup à ceux d'Ephedra fragilis, l'un des cinq types d'Ephedra que l'on trouve couramment au Maroc de nos jours.
Pour Hardy, il est impossible de savoir exactement les raisons pour lesquelles les humains préhistoriques de l’actuel Maroc choisissaient de consommer cette plante.
Toutefois, « nous ne pouvons écarter aucun type d’utilisation, en particulier dans le contexte d’une potentielle cérémonie funéraire. Sa présence en association avec l’enterrement… avait probablement une importance. »
L’archéologue Anna Maria Mercuri, de l’Université italienne de Modène et de Reggio d’Émilie, qui se spécialise dans l’utilisation des plantes durant la Préhistoire et qui n’était pas non plus impliquée dans cette étude, estime que les cônes d’Ephedra retrouvés dans la grotte des Pigeons témoignent d’un « comportement humain compétent, sophistiqué et, pour nous, surprenant ».
« Il ne fait aucun doute que nous, les humains, avons appris très tôt à utiliser les plantes en fonction de leurs propriétés, en recherchant leurs bienfaits ainsi que leur aide pour contrôler la nature. »
Si les Ibéromaurusiens comprenaient les effets des plantes du genre Ephedra, il est possible qu’ils les aient également utilisées dans d’autres contextes. Selon Morales, des preuves indiquent que ces peuples anciens maîtrisaient certaines opérations chirurgicales primitives, telles que l’extraction de dents ou la trépanation, qui consiste à percer un petit trou dans la boîte crânienne afin de traiter une maladie.
« Compte tenu des propriétés vasoconstrictrices d’Ephedra, il est possible que la plante ait été utilisée pour limiter les hémorragies lors de ces interventions chirurgicales », suggère-t-il. « Ses effets antibactériens et antifongiques auraient également pu servir à favoriser la guérison en réduisant le risque d’infection. »
LES MÉDICAMENTS CHEZ LES HUMAINS DE LA PRÉHISTOIRE
Cette nouvelle découverte semble constituer la toute première preuve indiquant que les humains de la Préhistoire savaient eux aussi utiliser des plantes pour se soigner.
Des chercheurs avaient déjà proposé que du pollen préhistorique retrouvé dans une « sépulture fleurie » néandertalienne de la grotte de Shanidar, en Irak, provenait de l’achillée et de la camomille, des plantes dotées de légères propriétés sédatives. Cette sépulture est vieille de 70 000 ans, et donc bien plus ancienne que celle de la grotte des Pigeons. Des recherches plus récentes ont cependant suggéré que le pollen aurait été déposé par des abeilles à l’époque moderne.
D’anciens écrits retrouvés en Chine, en Égypte et en Mésopotamie, tels que l’Épopée de Gilgamesh, un poème en sumérien vieux de 4 000 ans qui constitue l’un des plus vieux textes écrits du monde, décrivent des plantes utilisées à des fins médicinales.
De l’éphédrine a également été retrouvée récemment dans des mèches de cheveux vieilles de 3 000 ans découvertes sur l’île de Minorque, aux côtés de substances végétales hallucinogènes, telles que l’atropine et la scopolamine.
UNE DÉCOUVERTE EXCEPTIONNELLE
Morales ne s’attendait pas à trouver des cônes d’Ephedra lorsque son équipe s’est lancée dans l’analyse microscopique de la sépulture.
« Il est rare de découvrir des restes de fruits d’Ephedra sur des sites archéologiques », révèle-t-il. « À notre connaissance, aucune découverte de ce type n’a été réalisée sur des sites datant du Paléolithique. Le fait d’en trouver concentrés dans l’un des plus anciens cimetières d’Afrique était donc tout à fait inattendu. »
L’étude des cheveux de l’île de Minorque suggérait que l’éphédrine avait été consommée dans l’objectif d’atténuer les symptômes provoqués par la prise d’hallucinogènes, et selon Morales, il est possible qu’elle ait été utilisée à des fins similaires dans la grotte des Pigeons.
L’Ephedra aurait tout aussi bien pu être consommée pour d’autres raisons, comme pour retarder le sommeil, soulager la douleur pendant des événements rituels, ou réduire la fatigue après la récolte des aliments spéciaux du festin.
Il est cependant peu probable qu’elle ait été utilisée pour un simple « trip ».
« Nous ne pensons pas qu’elle ait servi à des fins récréatives, comme c’est souvent le cas de nos jours, car cette pratique est plus contemporaine », explique Morales.
L’ethnobotaniste Giorgio Samorini, chercheur indépendant qui étudie l’usage des drogues psychoactives durant la Préhistoire et qui n’était pas non plus impliqué dans l’étude de Morales, affirme que les récentes découvertes archéologiques « répondent enfin à ce qui était jusqu’à présent une énigme sur la connaissance et l’usage des plantes d’Ephedra dans le passé de l’humanité ».
« Ce qui rend la découverte au Maroc exceptionnelle, c’est qu’elle est très ancienne et qu’elle est la première de son genre sur le continent africain. »
De nombreux archéologues modernes pensent que ces drogues étaient utilisées à des fins médicinales. Cependant, si l’on ne sait pas exactement pourquoi les Ibéromaurusiens de la grotte des Pigeons consommaient des cônes de plantes du genre Ephedra, leur utilisation à l’époque pourrait avoir été très différente de celle que nous en faisons de nos jours.
Selon Samorini, une seule chose est sûre : « Les humains anciens ont eux aussi connu les incroyables effets de ces plantes. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.