Le vrai super prédateur de la fin du Crétacé était un énorme crocodile

Le cousin préhistorique du crocodile aurait aussi bien vécu dans l’eau douce que dans l’eau salée conquérant, ainsi les côtes d’Amérique du Nord durant le Crétacé.

De Riley Black
Publication 26 avr. 2025, 10:28 CEST
Deinosuchus, un crocodile géant, était l’un des plus grands prédateurs des zones humides de la fin ...

Deinosuchus, un crocodile géant, était l’un des plus grands prédateurs des zones humides de la fin du Crétacé. Ici, Deinosuchus hatcheri, une espèce vivant dans la formation rocheuse qui est aujourd’hui l’Utah, attrape Rhinorex condrupus, un dinosaure au bec de canard.

ILLUSTRATION DE Julius T Csotonyi, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Il y a près de 75 millions d’années, le plus grand et le plus impressionnant des prédateurs nord-américains n’était pas un dinosaure, mais un crocodile. Deinosuchus, le « terrible crocodile » en grec, pouvait mesurer plus de 10 mètres de long et peser plus de 5 tonnes. Des marques de morsures retrouvées sur des os montrent que l'immense reptile attrapait et dévorait des dinosaures. Jusque-là, on ignorait cependant comment Deinosuchus avait pu atteindre une telle taille et devenir un prédateur aussi répandu.

Une étude publiée dans la revue scientifique Communications Biology affirme avoir trouvé la pièce manquante de ce puzzle : la place de Deinosuchus dans l’arbre généalogique du crocodile et sa tolérance potentielle aux eaux salées. « Nous souhaitions comprendre comment Deinosuchus était devenu un prédateur aussi efficace des zones humides du littoral nord-américain, pourquoi il était si énorme », explique Márton Rabi, paléontologue de l’université de Tübingen, en Allemagne, et co-auteur de ladite étude.

 

UNE NOUVELLE PLACE DANS L’ARBRE GÉNÉALOGIQUE DU CROCODILE

Les paléontologues étaient sur la trace de Deinosuchus depuis que deux dents fossilisées avaient été retrouvées en Caroline du Nord en 1858. Depuis le temps, des dents fossilisées du reptile, des parties de son armure osseuse, mais aussi de son crâne et de son squelette ont été retrouvées au Mexique, dans l'Utah, au Texas, dans le Montana, en Caroline du Sud, dans le New Jersey, entre autres, constellant les côtes préhistoriques de l’Amérique du Nord dans des roches vieilles de 72 à 82 millions d’années. Dans les landes des terres basses et les marais de l’Amérique du Nord du Crétacé, Deinosuchus observait et attendait que ses proies se trouvent à portée de mâchoire.

Les paléontologues ont catégorisé les trois espèces connues de Deinosuchus comme étant des alligatoridés, le large groupe qui rassemble nos alligators d’Amérique et de Chine modernes. Le museau large et arrondi de Deinosuchus fait penser aux alligators, plus qu’à d’autres crocodiliens, le groupe de reptiles qui inclut à la fois les crocodiles, les alligators et leurs cousins. C'est un indice de leur lien de parenté.

Après avoir une nouvelle fois analysé ces relations familiales, les chercheurs ont remis en question cette vue traditionnelle et recatégorisé l’énorme reptile. L’étude suggère que Deinosuchus appartiendrait plutôt à une ancienne lignée qui aurait émergé avant le dernier ancêtre commun des alligators et des crocodiles, avec des caractéristiques qui se retrouvent dans les deux groupes. Cela permettait au crocodile préhistorique d’habiter des eaux salées, comme les estuaires et le littoral océanique, à l'instar des crocodiles d’eaux salées que nous côtoyons de nos jours.

« Nous avons été surpris de découvrir que Deinosuchus n’était pas “un plus gros alligator” », confie Márton Rabi. Selon l’équipe de chercheurs, l’apparence du reptile relevait plus d’une convergence évolutive que d’un trait commun.

Le paléontologue de l’Institut de technologie de New York, Adam Cossette, qui n’a pas pris part à la récente étude, questionne cependant certaines méthodes utilisées pour construire ce nouvel arbre généalogique, mais ajoute que la nouvelle position de Deinosuchus n’est pas choquante. En effet, les fossiles de l’espèce donnent à voir un ensemble de traits que l’on retrouve à la fois chez les alligators et les crocodiles, ainsi que certaines caractéristiques « la plupart du temps observables bien plus bas dans l’arbre ».

Comprendre : Les dinosaures

Márton Rabi et ses co-auteurs se demandent si la nouvelle classification pourrait expliquer la présence de Deinosuchus dans des milieux d’eau salée et d’eau douce aussi géographiquement éloignés que le Mexique et le New Jersey. Les alligators ont tendance à préférer les habitats d’eau douce, tandis que beaucoup de crocodiles tolèrent mieux l’eau salée. Les chercheurs avancent que Deinosuchus ressemblait plus à un crocodile d’eau salée qu’à un alligator d’Amérique. En plus de suivre les habitats côtiers, il nageait dans une mer préhistorique qui divisait l’Amérique du Nord en deux à la fin du Crétacé.

D’autres chercheurs doutent cependant de cet argument. « Je ne pense pas que les espèces de Deinosuchus toléraient l’eau salée », affirme Adam Cossette. Il remarque que Deinosuchus arpentait le Texas où il vivait dans des environnements d’eau douce qui ne se trouvaient pas spécialement près de la côte. Les fossiles de Deinosuchus découverts dans l’Utah prospéraient, eux aussi, aux côtés de poissons d’eau douce et de reptiles éloignés du littoral. Il se pourrait que Deinosuchus préférait l’eau douce mais était capable de traverser des territoires salés quand la nécessité se faisait sentir.

« L’abondance de fossiles de Deinosuchus dans les dépôts côtiers n’est qu’un reflet des conditions de préservation », ajoute Max Stockdale, paléontologue de l’université de Bristol, qui n’a pas pris part à la récente étude. Le littoral fait seulement partie du paysage. Deinosuchus aurait pu vivre dans des environnements que l’on n’imagine pas au vu des lieux où ces fossiles ont été mis au jour. De plus, remarque Max Stockdale, les espèces d’eau douce comme le crocodile du Nil et les alligators d’Amérique ont déjà été observés en train de nager entre des îles dans l’océan ou de barboter dans la mer. Ainsi, l’affaire de Deinosuchus reste en suspens, faute de preuves suffisantes.

 

COMMENT FAIRE UN CROCODILE GÉANT ?

Même si les paléontologues remettent encore en question les détails de la biologie de Deinosuchus, sa taille, elle, ne fait aucun doute. Le prédateur était énorme. Les fossiles de Deinosuchus sont souvent découverts dans les mêmes formations que les tyrannosaures carnivores, mais au cours de sa vie, Deinosuchus pouvait devenir plus long et plus massif que ces titans : c’était lui, le vrai super prédateur. Ses mâchoires étaient d’ailleurs plus puissantes que celles de T-rex, bien que les deux espèces n’aient pas vécu à la même période. Deinosuchus avait besoin d’une grande quantité de nourriture pour se développer. Le grand nombre de carnivores indique que beaucoup d’habitats étaient adaptés à de tels amateurs de viande.

« On a besoin de deux choses pour avoir des crocodiles géants », explique Márton Rabi. Une croissance rapide au début de la vie et un apport continu en énergie pour répondre aux besoins d’une telle croissance. Vers la fin du Crétacé, au temps de Deinosuchus, le niveau élevé des eaux et le climat chaud étaient à l’origine de croissances incroyables au sein des landes et des marais, partout où la mer touchait l’Amérique du Nord. La nouvelle étude suggère que la nature de ces écosystèmes aquatiques réunissait les conditions parfaites pour l’évolution de ces reptiles géants.

« La productivité importante des marais, en n’oubliant pas les proies, était critique à l’évolution de Deinosuchus », explique Márton Rabi. C’est un schéma que l’on retrouve chez d’autres crocodiles préhistoriques géants, comme Sarcosuchus, qui habitait l’Afrique et l’Amérique du Sud préhistoriques il y a 120 millions d’années, ainsi que Purussaurus au large museau, en Amérique du Sud il y a 5 à 16 millions d’années.

Mais la nourriture n’était pas le seul facteur de la présence de ces énormes crocodiles au sang-froid. « Le gigantisme que l’on observe chez Deinosuchus reflète la stabilité de son environnement », avertit Max Stockdale. Surtout lorsque l’on considère que Deinosuchus se serait reposer sur la température de son habitat pour réguler la sienne Les conditions devaient être parfaites durant de longues années pour qu’un tel crocodile puisse évoluer. De tels écosystèmes ont plusieurs fois fait leur apparition dans l’histoire de la Terre, permettant la croissance de géants comme Deinosuchus. Et, peut-être que de tels écosystèmes réapparaîtront un jour.

les plus populaires

    voir plus

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.