La seconde intercalaire a fait son temps, vive la minute intercalaire

Selon les années, on ajoutait parfois une seconde supplémentaire à l’heure officielle de la Terre : un casse-tête trop lourd à gérer selon les scientifiques, qui ont décidé d’abandonner cette pratique.

De Erin Blakemore
Publication 27 févr. 2024, 16:21 CET
Des scientifiques travaillent sur l’une des premières versions de l’horloge atomique au césium en 1959. Les ...

Des scientifiques travaillent sur l’une des premières versions de l’horloge atomique au césium en 1959. Les secondes intercalaires ont été utilisées pour synchroniser le temps atomique et le temps astronomique.

PHOTOGRAPHIE DE NIST, The New York Times, Redux

Quelle heure est-il ? Jetez un coup d’œil à votre téléphone ou à votre ordinateur et vous obtiendrez une réponse assez précise. Sachez cependant que si le temps semble constant, nous l’ajustons en réalité depuis des décennies en ajoutant, passées quelques années, une seconde intercalaire au temps universel.

Cette solution technologique, destinée à faire coïncider les horloges atomiques avec la rotation de la Terre, a longtemps permis de réguler le temps international. Alors pourquoi les scientifiques ont-ils alors décidé d’abandonner la seconde intercalaire ? Et quelles seront les conséquences de cette décision ?

 

LA FABRICATION DU TEMPS

L’unité de temps que nous appelons seconde a vu le jour à l’aide d’un simple calcul qui a divisé la journée astronomique de 24 heures, soit une rotation complète de la Terre, en 86 400 unités. Mais un problème s’est posé : la Terre ne tourne pas à la même vitesse tous les jours. Sa vitesse de rotation varie légèrement, et les perturbations environnementales et physiques telles que la gravité, les forces de frottement et les vibrations à la surface de la Terre rendaient même les horloges les plus sophistiquées et les plus fiables légèrement inexactes.

Par la suite, notre compréhension croissante des lois de la physique nous a amenés à redéfinir le temps lui-même. Contrairement aux dispositifs tels que les pendules ou les substances comme les cristaux qui alimentaient les horloges précédentes, les atomes émettent et absorbent des radiations à un rythme remarquablement constant. Cette oscillation fiable est devenue la base des premières horloges atomiques conçues dans les années 1940 et 1950. En 1967, les membres de la Conférence générale des normes de poids et mesures ont proposé une nouvelle définition de la seconde : elle correspond depuis à la durée de 9 192 631 770 oscillations d’un atome de césium 133.

 

COMBLER LE RETARD

L’adoption de la seconde atomique a permis de définir le temps de manière remarquablement précise et immuable. Seul problème : la seconde atomique ne correspondait pas tout à fait à la seconde astronomique définie par la rotation de la Terre. Pour faire coïncider les deux unités de temps, des scientifiques se sont alors réunis à la fin des années 1960 et ont décidé d’ajouter occasionnellement des secondes au temps universel coordonné (UTC), l’échelle de temps déterminée par les horloges atomiques. Ces « secondes intercalaires » permettent à l’UTC et à la seconde astronomique de rester synchrones et d’empêcher ainsi le décalage continu de l’horloge atomique tout en permettant aux systèmes GPS, aux réseaux électriques et à l’internet, entre autres, de continuer à fonctionner.

La seconde intercalaire a permis de synchroniser le temps astronomique et le temps atomique. Mais l’introduction de la seconde intercalaire, qui a finalement été adoptée en 1972, a nécessité de surveiller et d’ajuster l’UTC au fil du temps, et au fil des ans, le temps astronomique a pris 37 secondes d’avance au total sur le temps atomique. Introduites tous les quatre ans environ, ces secondes représentent aujourd’hui un véritable casse-tête technologique, surtout si l’on tient compte de l’importance croissante de la coordination du temps dans divers secteurs d’activité.

 

LA FIN DE LA SECONDE INTERCALAIRE

La seconde intercalaire constituait une solution imparfaite à un problème perpétuel, et alimente depuis lors un débat de longue haleine.

« Il n’y avait pas de meilleure solution pour résoudre le problème », explique Judah Levine, physicien à la division du temps et des fréquences au National Institute of Standards and Technology (NSTI) à Boulder, dans le Colorado. Surnommé le « gardien du temps de la nation », Levine a conçu et mis en œuvre l’échelle de temps UTC pour les États-Unis et travaille fréquemment avec les horloges atomiques qui régissent le temps dans le monde entier. S’il y avait eu une solution claire et simple, a-t-il déclaré, les gardiens du temps « l’auraient mise en place il y a des années ».

Comment Einstein a redéfini la valeur du temps

Au lieu de cela, il a fallu des décennies à la communauté internationale responsable du temps pour trancher le débat et décider d'abandonner la seconde intercalaire de manière définitive. En 2022, les gardiens du temps du monde mondial ont finalement décidé de se débarrasser des secondes intercalaires d’ici à 2035.

L’adoption de l’heure atomique comme norme mondiale par opposition à l’heure astronomique est un objectif ambitieux, qui pourrait s’avérer difficile à mettre en œuvre. Pour pallier l’abandon de la seconde intercalaire, les scientifiques ont plusieurs idées comme le fait de laisser le temps atomique et le temps astronomique se décaler un peu plus chaque année, ou encore insérer une unique minute intercalaire qui règlerait les décalages de temps pour les quelques siècles à venir. Dans l’idéal, explique Levine, la transition ne se fera pas sentir puisqu’elle ne concernera qu’une petite poignée de scientifiques et de programmeurs et passera pratiquement inaperçue aux yeux du grand public.

 

L’IMPORTANCE DE L’HEURE ATOMIQUE

Pendant que les scientifiques débattent de la meilleure façon d’adopter définitivement le temps atomique, le monde devient de plus en plus dépendant des dispositifs nécessitant une mesure précise du temps universel, souligne Lévine.

« Les domaines qui dépendent d’une échelle de temps commune et régulière sont devenus prépondérants », explique Levine, en citant les télécommunications, la production d’énergie et les services financiers entre autres choses. « Sans les horloges atomiques, ils ne pourraient tout simplement pas opérer. »

Les secondes intercalaires et les dispositifs modernes ne sont pas les seuls obstacles en vue. Les gardiens du temps sont confrontés à de nombreux autres défis, dont une récente augmentation de la vitesse de rotation de la Terre qui pourrait inverser le décalage entre le temps atomique et le temps astronomique. L’avenir des horloges à césium 133 reste également incertain, d’autant plus que les chercheurs développent et perfectionnent des garde-temps plus fiables, comme l’horloge expérimentale à ytterbium du NIST, l’une des plus stables au monde.

Les avis peuvent diverger quant à la meilleure façon de diviser le temps. Mais pendant que la communauté scientifique continue de réfléchir à comment harmoniser ce dernier, une chose est sûre : l’oscillation des horloges atomiques continuera de faire tourner nos sociétés.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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