Vous pouvez apprendre à contrôler vos rêves

Grâce à la science, on sait que les rêves lucides permettent de réduire les insomnies et l’anxiété, voire même permettent de faire le deuil. Mais pour la plupart d’entre nous, cela n’a rien d’évident.

De Stacey Colino
Publication 13 déc. 2023, 16:31 CET
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Le rêve lucide est un état dans lequel on est conscient du rêve que l’on est en train de faire.

ILLUSTRATION DE OSCAR BURRIEL, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Si vous avez déjà eu l’impression d’être dans un film et de regarder ce film en même temps alors que vous étiez en train de rêver, vous avez probablement déjà fait un rêve lucide. Mais vous ne saviez peut-être pas que c’en était un, ni en quoi cela pouvait être bénéfique pour votre santé et pour votre bien-être.

Dit simplement, un rêve lucide est un rêve dans lequel la personne est consciente qu’elle est en train de rêver et peut soit exercer un certain contrôle sur ce rêve, soit observer passivement son déroulement tout en restant consciente qu’il ne s’agit pas de la réalité. Cela donne au rêveur l’opportunité d’influencer sa vie onirique – pourquoi pas en interrompant consciemment un fil nocturne pour en récrire l’issue, ce qui peut s’avérer particulièrement utile pour réduire la fréquence des cauchemars chez ceux qui en font, selon une étude publiée en 2023 dans la revue Encephale. La science a également montré que le fait de se mettre à rêver de manière lucide peut nous aider à réduire la sévérité de nos insomnies ainsi que les symptômes anxieux.

« Certaines personnes qui font des rêves lucides ne veulent pas modifier le rêve, elles veulent l’explorer et voir ce qu’il a à leur offrir », observe Antonio Zadra, professeur de psychologie à l’Université de Montréal et co-auteur de When Brains Dream. « C’est une façon de sonder votre propre esprit et de créer des occasions de coopérer avec différentes parties de votre psyché. »

Mais selon Benjamin Baird, spécialiste en neurosciences cognitives et professeur-chercheur à l’Université du Texas à Austin, le rêve lucide possède également une valeur de divertissement. « C’est comme si vous aviez votre propre forme de réalité virtuelle. »

 

HISTOIRE DES RÊVES LUCIDES

Si cela fait plusieurs siècles que l’on est conscients qu’il existe différents états de rêve, ce n’est qu’en 1913 que le psychiatre néerlandais Frederik Van Eeden a inventé le terme « rêve lucide » en s’appuyant sur sa propre expérience. Dans les années 1970 et 1980, des chercheurs, dont le psychophysiologiste de Stanford Stephen LaBerge, ont prouvé que le rêve lucide est un phénomène qui se produit lors de la phase de sommeil paradoxal, moment où l’on avait demandé aux rêveurs de l’expérience de bouger les yeux selon des schémas préconvenus dès lors qu’ils atteignaient un stade de lucidité dans leur rêve.

D’ailleurs, cela fait longtemps que les pratiquants du bouddhisme tibétain sont convaincus qu’il est possible de s’entraîner à être lucide en rêvant grâce à une pratique : le yoga du rêve.

« Tout yoga du rêve est rêve lucide », explique Michael Sheehy, spécialiste du bouddhisme tibétain et directeur des bourses d’étude au Centre des sciences contemplatives de l’Université de Virginie à Charlottesville. « La différence est qu’avec le yoga du rêve vous utilisez intentionnellement des techniques contemplatives pendant que vous êtes dans le rêve. Vous êtes conscient de ce que vous êtes en train de faire tandis que vous rêvez et vous faites des choses que vous ne pouvez pas faire d’ordinaire lorsque vous êtes en état d’éveil. »

Ces actions intentionnelles incluent le fait de faire apparaître des objets inhabituels dans votre rêve, de transformer l’environnement ou le lieu du rêve ou bien de changer un objet en un autre, explique-t-il.

Après le rêve, « vous êtes susceptible de vous trouver dans un état de flexibilité cognitive, de vous rendre compte de toute la facilité avec laquelle vous pouvez modifier vos pensées et votre état d’esprit ou la façon dont vous percevez les circonstances dans lesquelles vous évoluez. Et vous pouvez imaginer de nouvelles possibilités, perspectives et issues pour une même situation », indique Michael Sheehy.

 

L’ÉTENDUE DES BÉNÉFICES

Selon Ken Paller, neuroscientifique de l’Université Northwestern à Evanston, dans l’Illinois, les mécanismes neurobiologiques sous-jacents du rêve lucide sont encore mal compris. Toutefois, des recherches préliminaires suggèrent une plus grande activité dans le cortex préfrontal, qui régule des fonctions exécutives telles que la pensée et la résolution de problèmes mais aussi les émotions, et dans le cortex pariétal, qui joue un rôle dans le traitement et l’intégration des informations sensorielles ainsi que dans l’attention.

À l’aide d’électroencéphalogrammes (EEG), qui mesurent l’activité électrique du cerveau, les chercheurs ont montré que le rêve lucide « constitue un état de conscience hybride » avec des aspects de l’activité cérébrale qui sont caractéristiques à la fois de l’état d’éveil et du sommeil paradoxal.

Quant aux bénéfices potentiels du rêve lucide, ceux-ci varient, selon Benjamin Baird, du bienfait scientifique au bienfait personnel en passant par le bienfait thérapeutique.

« L’étude des rêves a toujours été très difficile, vous essayez de corréler des comptes rendus de rêve avec ce qui se passe d’un point de vue physiologique dans le cerveau », commente-t-il. Avec des techniques conçues pour induire des mouvements oculaires et des rêves lucides durant la phase de sommeil paradoxal, les chercheurs peuvent en substance borner le début et la fin d’un rêve lucide, « ce qui permet un alignement précis des comptes rendus subjectifs et des relevés de physiologie cérébrale, [ce qui] était autrefois impossible », explique-t-il.

À un niveau personnel, les rêves lucides peuvent améliorer la créativité et contribuer au bien-être des individus en les aidant à apprendre sur eux-mêmes des choses qu’ils n’auraient pas connues autrement. « Ils peuvent apprendre des compétences, trouver des solutions à des problèmes et se transformer spirituellement », indique Ken Paller.

Christopher Mazurek a pour la première fois entendu parler des rêves lucides quand il était au lycée et a essayé d’en faire pendant un an et demi en s’aidant d’un livre qu’il avait lu. Ce n’est que lorsqu’il s’est porté volontaire dans le laboratoire de Ken Paller, en 2018, alors qu’il était étudiant à Northwestern, qu’il a fait son premier rêve lucide. Le laboratoire utilise la technique de la réactivation de mémoire ciblée (RMC) qui consiste à utiliser des sons spécifiques pour provoquer un rêve lucide pendant que la personne est endormie.

Les rêves lucides de Christopher Mazurek se sont avérés particulièrement thérapeutiques une fois qu’il a été en mesure d’en faire ; ses grands-parents venaient de mourir et il parvenait à leur parler durant ses rêves lucides. « C’était puissant et cela m’a aidé à faire mon deuil », confie celui qui est désormais assistant de recherche à l’Université Northwestern. « Cela a été une expérience particulièrement stimulante et enrichissante. »

Le rêve lucide nous offre également des occasions de perfectionner nos compétences. La recherche a montré que la pratique de compétences motrices dans les rêves lucides est une forme de répétition mentale qui améliore les performances sportives ou ludiques ultérieures dans la vraie vie.

Pendant ce temps, au niveau thérapeutique, on s’est aperçu que le rêve lucide est utile en ce qui concerne l’insomnie et les cauchemars. Si une personne qui fait des cauchemars de manière récurrente apprend à faire des rêves lucides, elle peut s’apercevoir qu’elle est en train de rêver, que ce qu’elle est en train de vivre n’est pas réel, et pourquoi pas modifier l’issue du rêve. « Il peut s’agir d’une expérience transformatrice puissante susceptible de l’aider à atteindre un certain niveau de résolution ou de guérison », explique Benjamin Baird.

 

APPRENDRE À FAIRE DES RÊVES LUCIDES

Si vous ne faites pas naturellement de rêves lucides (la plupart des gens n’en font pas), vous pouvez apprendre à les provoquer grâce à une multitude de techniques, mais il peut y avoir des inconvénients.

Dans le cadre d’une étude publiée dans la revue Sleep Advances, des chercheurs ont examiné et analysé 400 publications d’une discussion d’un forum sur le sujet du rêve lucide et ont découvert à la fois des effets positifs et des expériences négatives. Du bon côté des choses, de nombreuses personnes ont fait état d’une amélioration des rêves, ont affirmé se réveiller de meilleure humeur et faire moins de cauchemars.

Mais point négatif, des personnes ont dit se sentir paralysées, incapables de crier ou de bouger, avoir du mal à savoir si elles étaient endormies ou vraiment éveillées et avoir un sommeil moins réparateur.

« Certaines personnes ne veulent pas faire de rêves lucides, elles veulent juste dormir », remarque Remington Mallett, spécialiste en neurosciences cognitives au Centre de recherche avancée en médecine du sommeil à l’Université de Montréal.

Selon les spécialistes, si vous décidez d’essayer de faire des rêves lucides, avoir un souvenir assez clair d’un rêve est un prérequis. « Si vous tenez un journal des rêves, vous commencerez à mieux vous souvenir de ceux-ci », explique Remington Mallett.

Les techniques utilisées pour induire des rêves lucides ont des taux de succès divers et il n’en existe pas une qui fonctionne pour tout le monde. « C’est une compétence qui s’apprend mais les gens présentent cela comme une chose bien plus facile qu’elle ne l’est réellement », constate Antonio Zadra.

Au rang des techniques les plus éprouvées figurent celles ayant un fondement cognitif qui se pratiquent durant la journée ou au moment de l’endormissement.

La technique du test de la réalité consiste à s’arrêter dans ce que l’on est en train de faire à intervalles réguliers tout au long de la journée et à se demander si l’on se trouve dans un rêve ou dans la réalité avant de revenir à ses activités courantes, explique Antonio Zadra. L’idée est que ces « tests de réalité » finissent par être incorporés dans « le rêve d’une personne et lui permettent de distinguer la réalité du sommeil de celle de l’état d’éveil, ce qui a pour effet d’induire un état de lucidité dans le rêve », selon des recherches publiées cette année.

La technique de l’induction mnémonique de rêves lucides (MILD) consiste quant à elle à répéter un rêve durant la journée et à visualiser la lucidité en train d’advenir tout en vous disant, La prochaine fois que je serai en train de rêver, je serai conscient que je suis dans un rêve.

Avec la technique Wake-Up-Back-to-Bed, le rêveur met un réveil qui doit se déclencher après six heures de sommeil environ, puis il reste éveillé pendant une trentaine de minutes avant de s’endormir de nouveau avec l’intention de devenir lucide s’il lui venait un rêve. Une autre, la technique du rêve lucide initié par les sens implique de se réveiller après cinq heures de sommeil environ et à se focaliser successivement et de manière répétée sur des sensations visuelles, auditives et physiques avant de se rendormir.

De ces trois techniques, une étude de 2023 a montré que celle consistant à répéter un rêve durant la journée était la plus efficace.

En procédant à tâtons, vous pouvez voir laquelle fonctionne le mieux pour vous. Ou alors, « vous pouvez les empiler et les utiliser toutes », affirme Benjamin Baird, car elles peuvent fonctionner de concert.

Qu’importe leur fréquence, les rêves lucides peuvent aider les individus à avoir la sensation de « contrôler ou d’être maître du contenu de leur rêve », indique Remington Mallett. Ce qui est utile, ajoute-t-il, « car les effets des rêves peuvent se répercuter dans la vie éveillée. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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