Stress : comment ne plus compenser par la nourriture ?

Les scientifiques essayent toujours de comprendre comment et pourquoi nos réactions diffèrent face au stress. Si vous avez tendance à manger de manière compulsive, voici quelques conseils.

De Stacey Colino
Publication 25 juil. 2024, 14:14 CEST
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Le stress et l'anxiété peuvent influer sur votre comportement alimentaire de différentes manières, allant de la perte d'appétit à la suralimentation.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Finke

Lorsqu’ils sont tendus et ont irrésistiblement envie de sucreries, les anglosaxons plaisantent sur le fait qu’en épelant « stressed » à l’envers on obtient le mot « desserts ». Cependant, tout le monde ne réagit pas au stress de la même manière. Si certaines personnes mangent davantage ou se tournent vers des aliments plus gras ou plus sucrés lorsqu'elles sont stressées, d'autres perdent l'appétit. D'autres encore ne voient aucun changement dans leurs habitudes alimentaires.

Les raisons de ces différences sont complexes. « La science suggère que, chez l'Homme, c'est l'interaction entre des facteurs comportementaux, environnementaux et génétiques qui détermine la susceptibilité d'une personne à manger sous l'effet du stress », constate Kimberly Smith, maître de conférences au département de psychiatrie et de sciences comportementales de la faculté de médecine de l'université Johns-Hopkins, à Baltimore, qui étudie le comportement alimentaire.

Pour de nombreuses personnes, « la libération de cortisol peut augmenter l'appétit et la consommation de nourriture, en particulier d'aliments riches en matières grasses ou en sucres », explique-t-elle. Bien que le cortisol ait de nombreuses fonctions, il est généralement considéré comme une hormone du stress car son taux augmente en réponse à une pression intense ou à une forte anxiété, ce qui déclenche la faim, le stockage des graisses et une diminution du flux sanguin dans les régions du cerveau qui régulent la consommation de nourriture.

Les personnes qui s’infligent une restriction alimentaire sévère, c'est-à-dire qui désirent limiter leur consommation de nourriture pour gérer leur poids, sont également plus susceptibles de manger sous l'effet du stress. « Elles peuvent perdre ce contrôle et leur inhibition lorsqu'elles sont stressées », explique le gastro-entérologue Lawrence Cheskin, titulaire de la chaire d'études sur la nutrition et l'alimentation au College of Public Health de l’université George Mason et coautrice de l'ouvrage Weight Loss for Life.

Cette dernière poursuit : « la façon dont vous gérez le stress peut également augmenter votre vulnérabilité : si votre stratégie d'adaptation est passive ou évitante, vous serez plus susceptible de consommer de la nourriture sous l'effet du stress. »

 

LA NATURE DU STRESS ET SES EFFETS

Chacun perçoit le stress de diverses manières. Il existe néanmoins des différences marquées entre la façon dont le stress aigu ou chronique affecte l'appétit.

Laura Holsen, neuroscientifique clinique et maître de conférences en psychiatrie au Brigham and Women's Hospital et à la Harvard Medical School, constate qu'en situation de stress aigu, comme dans le cas d’un accident de voiture évité de justesse ou d’une présentation au travail par exemple, l'appétit a généralement tendance à diminuer.

En cas de stress chronique ou sur une longue durée, comme un mariage malheureux ou un environnement professionnel stressant par exemple, l'appétit et la consommation de nourriture augmentent souvent. Le taux de ghréline, hormone qui déclenche une plus grande sensation de faim, a tendance à « augmenter et à rester élevé », explique Laura Holsen.

Quant au taux de leptine, une hormone qui déclenche la sensation de satiété, les recherches indiquent qu’il diminue après un stress aigu, en particulier chez les personnes dont le poids se situe dans l’intervalle dit « normal ». Ces changements hormonaux peuvent stimuler l'appétit et réduire la sensation de satiété d'une personne stressée, ce qui peut l'amener à perdre le contrôle de son alimentation.

« Le stress chronique entraîne également une suractivation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS), ce qui peut se traduire par une augmentation chronique du cortisol qui accroît l'appétit et l'envie de manger », explique Kimberly Smith.

Par ailleurs, la recherche a montré que l'activation du circuit de la récompense du cerveau des personnes ayant l’habitude de manger de manière compulsive en était diminuée. « La satisfaction apportée par les aliments très appétissants est moindre et leur cerveau a besoin de plus d'aliments riches en matières grasses et en sucres pour obtenir une réponse de ce circuit, ce qui perpétue le cycle de la suralimentation », indique Kimberly Smith.

Une étude similaire publiée dans Physiology & Behavior a montré que les femmes qui déclaraient manger de manière compulsive avaient tendance à le faire davantage après avoir accompli des tâches mentales stressantes si leur pression artérielle systolique augmentait. En revanche, une étude publiée en 2020 dans Translational Psychiatry a révélé que les personnes souffrant d’obésité, dont le taux de cortisol grimpe et reste élevé plus longtemps que prévu lorsqu'elles réagissent à un stress aigu, consommaient davantage de nourriture que celles de la même corpulence dont le taux de cortisol est faible. Le stress cumulé au cours de la vie semble également avoir une influence sur la consommation de nourriture sous l’effet du stress. Dans une étude parue dans un numéro de 2023 de Appetite, certaines femmes participantes, ayant enduré plus de stress au cours de leur vie, ont mangé davantage de M&M's après avoir participé à une tâche stressante, telle que la préparation et la prononciation d’un discours, que celles en ayant moins subi.

 

LA NAISSANCE DE CE MÉCANISME D'ADAPTATION

Dans une certaine mesure, les effets du stress sur l’appétit d’une personne peuvent correspondre à une forme de réponse qui a été apprise, remarque Lawrence Cheskin. « Si vous avez grandi dans un environnement où les gens stressés se tournaient vers la nourriture, vous serez peut-être plus enclin à imiter ce comportement dans votre propre vie ». Si vous avez constaté que manger des biscuits ou des chips lorsque vous ressentez du stress vous aidait à vous sentir mieux, au moins à court terme, vous pourriez faire de ce comportement votre stratégie de prédilection.

Malheureusement, manger sous l’effet du stress peut devenir un cercle vicieux. Après tout, consommer des aliments sucrés ou des féculents augmente les taux de sérotonine et de dopamine, substances chimiques cérébrales qui procurent un sentiment de bien-être, explique Rachel Goldman, psychologue clinicienne et professeure adjointe en milieu clinique au département de psychiatrie de la faculté de médecine de l'université de New York. « Manger compulsivement sous l’effet d’une émotion a une utilité. Lorsque vous mangez des aliments réconfortants, vous activez immédiatement le “centre du plaisir” de votre cerveau, ce qui vous procure une sensation de bien-être. » 

Dans une étude publiée dans le numéro de 2022 de la revue Foods, les chercheurs ont demandé à des personnes de participer à deux tâches cognitives différentes un jour sur deux : la résolution d’une anagramme insoluble pour induire du stress et le coloriage d'une page de mandala pour se détendre. Il leur a ensuite fallu évaluer des catégories d'aliments en fonction de ce qu'elles préféreraient comme « en-cas de récompense ». Davantage de personnes ont choisi une collation sucrée riche en matières grasses après la tâche stressante plutôt qu’après l’activité relaxante.

En outre, manger de manière compulsive peut vous faire oublier vos problèmes. « Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, mais si c'est votre seul mécanisme de défense, ou si cela est source de détresse ou de problèmes de santé, cela peut être problématique », indique Kimberly Smith.

Avec le temps, avoir le réflexe de manger sous l’effet du stress peut entraîner une prise de poids. Des recherches ont montré que la dépression et la consommation de nourriture liée aux émotions laissent entrevoir une prise de poids plus importante sur une période de sept ans. Une étude publiée dans le numéro de 2022 de la revue Public Health Nutrition a révélé que le stress perçu couplé à ce comportement alimentaire étaient associés à une prise de poids chez des adultes en bonne santé pendant les premiers temps de confinement imposé par la crise sanitaire du COVID-19.

 

MAÎTRISER LES EFFETS DU STRESS SUR L’APPÉTIT

« Comme pour la plupart des habitudes, la solution consiste d'abord à reconnaître le schéma, c'est-à-dire à identifier ce qui déclenche ces fringales [induites par les émotions] », explique le docteur Lawrence Cheskin. « Une fois que vous les avez identifiées, vous pouvez essayer de reconnaître l'élément déclencheur avant qu'il ne vous conduise à la cuisine, puis de mettre en place une activité alternative. Posez-vous la question : que puis-je faire à la place ? »
Vous pouvez par exemple vous détourner de l'envie de manger en allant vous promener, en appelant un ami ou en lisant quelque chose d'intéressant.

Rachel Goldman conseille de se constituer une liste d’occupations composée d’au moins trois activités : par exemple se livrer à la méditation de pleine conscience, faire de l’exercice physique, pratiquer le yoga ou encore coucher sur le papier ses sentiments sans se censurer ou s'auto-critiquer. Ces activités peuvent permettre de gérer le stress, ainsi que de reprendre le contrôle de son alimentation et de sa vie. « Parfois, plusieurs outils sont nécessaires et celui que vous privilégiez aujourd'hui ne sera peut-être pas celui qui vous conviendra demain. »

Par ailleurs, « si vous êtes susceptible de manger sous l'effet du stress, il peut être utile de limiter la présence d'aliments riches en matières grasses et en sucres à la maison ou au travail », conseille Kimberly Smith. S’ils sont hors de vue et de portée, cela peut vous obliger à cultiver d'autres stratégies d'adaptation.

Si vous avez l'habitude de grignoter sans réfléchir ou de trop manger lorsque vous ressentez du stress, ne culpabilisez pas. Au contraire, montrez-vous aussi compatissant que vous le seriez avec un ami. Une étude publiée dans un numéro récent de International Journal of Behavioral Medicine a révélé que, en plus de vous aider à vous sentir mieux, l'auto-compassion améliorait les choix alimentaires après une expérience stressante.

« L'utilisation de la nourriture pour faire face au stress peut susciter de nombreux sentiments négatifs, mais ce comportement est incroyablement ancré dans notre biologie et notre environnement », explique Laura Holsen. « En parler permet de normaliser le fait qu'il s'agit d'une expérience humaine très courante, ce qui ne peut être qu'une bonne chose. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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