Le système des années bissextiles pourrait être modifié
Pendant des siècles, les humains ont cherché à synchroniser les calendriers civils, religieux et agricoles à l’année solaire. Dans 3300 ans, les années bissextiles ne seront plus une solution.
La majorité du monde moderne a adopté le calendrier grégorien et son système d'années bissextiles pour permettre aux jours et aux mois de suivre le rythme des saisons.
Cette année marque le retour d’un 29 février, jour intercalaire, une particularité de notre calendrier qui n’arrive que (presque) tous les quatre ans.
Pendant des siècles, les tentatives de synchronisation des calendriers avec la durée naturelle d’une année ont semé le chaos, jusqu'à ce que le concept d'année bissextile permette de rattraper le temps perdu.
« En réalité, le nombre de révolutions de la Terre autour de son axe, appelées jours, n'est aucunement lié au temps que met la Terre à faire le tour du soleil », explique John Lowe, qui a dirigé la division Time & Frequency (Temps et fréquence) du National Institute of Standards and Technology (NIST) (Institut national des normes et de la technologie, aux États-Unis) jusqu'à son départ à la retraite.
Une année solaire compte environ 365, 2422 jours. Aucun calendrier composé de jours entiers ne peut correspondre à ce chiffre. Pourtant, il est primordial de prendre cette fraction, en apparence minime, en compte si l’on veut éviter un problème bien plus important qu'on ne pourrait le soupçonner.
L’humain a longtemps organisé sa vie en fonction de ce qu'il observait dans le ciel. Chaque année, les Égyptiens de l'Antiquité semaient leurs cultures pendant la nuit où l'étoile la plus brillante disparaissait. Les historiens de la Grèce et de la Rome antiques s'appuyaient également sur la position des étoiles pour ancrer les événements dans le temps. Les chefs religieux faisaient en sorte que les jours de fête soient alignés sur certaines saisons et phases lunaires.
Ceci explique pourquoi le monde moderne a adopté le calendrier grégorien et son système d’années bissextiles, qui permet aux jours et aux mois d’être synchronisés avec les saisons. « Nous avons créé un calendrier proche de la réalité, mais pour qu’il fonctionne, il faut avoir recours à ces jours intercalaires dont les règles sont un peu étranges », explique Lowe.
DES TECHNIQUES ANCIENNES DE MESURE DU TEMPS
Les premiers Égyptiens, avant environ 3 100 avant notre ère, ainsi que d’autres sociétés, de la Chine à Rome, mesuraient le temps avec le calendrier lunaire.
Cependant, les mois lunaires comptent en moyenne 29,5 jours, ce qui crée des années de seulement 354 jours. Par conséquent, les sociétés qui appliquaient l'heure lunaire se sont rapidement désynchronisées des saisons en raison du décalage de onze jours.
D'autres calendriers anciens, remontant aux Sumériens, soit il y a 5 000 ans, divisaient simplement l'année en douze mois de trente jours chacun. Leur année de 360 jours était presque une semaine plus courte que notre voyage annuel autour du soleil.
La pratique consistant à ajouter quelques jours à l'année est au moins aussi ancienne que ce type de systèmes.
« Lorsque les Égyptiens ont adopté ce calendrier, ils savaient qu'il y avait un problème », explique Lowe. Alors « ils ont simplement ajouté cinq jours de festivals et de fêtes, à la fin de l'année. »
L’ANNUS CONFUSIONIS DE JULES CÉSAR
À l'époque de la célèbre liaison de Jules César avec Cléopâtre, le calendrier lunaire de Rome s'était décalé des saisons d'environ trois mois et ce malgré les efforts déployés pour le modifier en ajoutant des jours ou des mois à l'année de façon irrégulière.
Afin de rétablir l'ordre, César se tourna vers l'année égyptienne de 365 jours qui, dès le 3e siècle avant notre ère, avait établi l'utilité d'un système d'année bissextile tous les quatre ans dans le but de corriger ce type de décalage.
César adopta ce procédé en décrétant une seule « annus confusionis » de 445 jours, en 46 av. J.-C., pour remédier, en une seule fois, aux longues années de dérive. Il imposa ensuite une année de 365,25 jours qui consistait simplement à ajouter un jour intercalaire tous les quatre ans.
Cependant, ce système aussi était imparfait, car le quart de jour que l'année bissextile ajoute chaque année est un peu plus long que le 0, 242 jour restant de l'année solaire. L'année civile était donc plus courte de onze minutes que l'année solaire, de sorte que les deux années divergeaient d'un jour entier tous les 128 ans.
« Il s'avère qu'ajouter un jour tous les quatre ans est un peu excessif », explique James Evans, physicien à l'université de Puget Sound et rédacteur en chef du Journal for the History of Astronomy.
LES RÉFORMES DES JOURS INTERCALAIRES
Entre le moment où César introduisit le système et le 16e siècle, ce petit écart décala les dates importantes, notamment les fêtes chrétiennes, d'une dizaine de jours.
Le pape Grégoire XIII jugea la situation inacceptable et dévoila son calendrier grégorien en 1582, après une nouvelle adoption radicale de tactiques de torsion du temps.
« Cette année-là, Grégoire réforma le calendrier et supprima dix jours du mois d'octobre », explique Evans. « Il modifia ensuite les règles relatives aux jours intercalaires pour corriger le problème. »
Aujourd’hui, on ignore les années bissextiles divisibles par 100, comme l'année 1900, sauf si elles sont également divisibles par 400, comme l'année 2000, auquel cas on les prend en compte. Personne ne se souvient du dernier jour intercalaire ignoré, mais l'abandon de ces trois jours tous les 400 ans permet au calendrier de perdurer.
DES CALENDRIERS MODERNES QUI PRÉSENTENT UNE ALTERNATIVE
Aujourd'hui encore, certains calendriers ne tiennent pas compte de l'année bissextile destinée à nous faire coïncider avec notre orbite et d'autres ignorent complètement le soleil.
Le calendrier islamique est un système lunaire qui ne comprend que 354 jours et avec un décalage de onze jours chaque année par rapport au calendrier grégorien, bien qu'on y ajoute parfois un seul jour intercalaire.
Si officiellement, la Chine utilise le calendrier grégorien, son calendrier lunisolaire traditionnel est toujours d’usage dans la vie de tous les jours. Il suit les phases de la lune et comporte un mois intercalaire tous les trois ans environ.
« Il n'y a rien de sacro-saint dans le fait de caler un calendrier sur l'année solaire comme le fait le nôtre », explique Evans. « Les humains pourraient s'habituer à n'importe quel système de calendrier, mais une fois qu'ils s'y sont habitués, ils n’aiment pas qu’on le modifie. »
DE FUTURES COMPLICATIONS
Le système actuel du calendrier grégorien, qui saute occasionnellement un jour intercalaire, rend presque égales les fractions de jours de l'année solaire et du calendrier des années bissextiles.
Ce système considère qu’une année moyenne comprendrait 365, 2425 jours, soit une demi-minute de plus que l'année solaire. À ce rythme, il faudra attendre 3 300 ans avant que le calendrier grégorien ne s'écarte d'un seul jour de notre cycle saisonnier.
Cela signifie que les générations futures auront une décision à prendre concernant l'année bissextile. Toutefois, ce moment surviendra dans un certain temps.
« Dans 3 000 ans, les humains décideront peut-être de la modifier », explique Lowe. « Seul l’avenir nous le dira. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.