Votre taux de cholestérol peut-il être trop bas ?
Des médicaments peuvent désormais faire baisser le cholestérol à des niveaux jamais atteints. Mais quand ce niveau peut-il être trop bas ?
Des millions de personnes prennent des statines, comme la Simvastatine (ci-dessus), pour faire baisser leur niveau de cholestérol. De nouveaux traitement inhibant les PCSK9 peuvent faire chuter ce taux encore plus drastiquement.
Aux États-Unis, une personne meurt de cardiopathie toutes les trente-trois secondes. Cela demeure la principale cause de décès dans le pays. Dès lors, il n’est pas surprenant que les scientifiques s’efforcent de plus en plus de trouver des moyens de réduire encore davantage les lipoprotéines de basse densité (LDL), plus communément appelées mauvais cholestérol, qui jouent un rôle central dans ces maladies. Cette quête a donné naissance à des traitements de plus en plus puissants qui font plonger les LDL, ce qui a conduit certains à se demander si un taux de cholestérol trop faible pourrait présenter un danger pour la santé.
Les LDL sont le principal facteur responsable de l’accumulation dans les artères de plaques graisseuses qui peuvent déclencher une crise cardiaque ou un AVC. « Nous avons un paradigme en cardiologie : moins il y en a, mieux on se porte », explique Erica Spatz, cardiologue à la Faculté de médecine de l’Université Yale, à New Haven, dans le Connecticut. « La question a toujours été : "Existe-t-il une limite basse ?" » Plus on prescrit de traitements puissants, plus la question prend de l’importance. Et des traitements encore plus puissants sont en train d’être mis au point, notamment des thérapies biologiques avancées et des techniques de modification du génome.
Selon Donald Lloyd-Jones, cardiologue à l’Université Northwestern, le corpus de preuves indiquant que les personnes qui se voient prescrire des médicaments faisant baisser le cholestérol est vaste. Y compris des thérapies à haute intensité. Donald Lloyd-Jones était membre du comité de l’American Heart Association (AHA) qui a publié les dernières recommandations sur le traitement du cholestérol en 2018 (une mise à jour est attendue en 2026) ; il en a également été le président.
« Nous n’avons pas encore identifié de taux qui soit "trop bas", indique-t-il. J’aime bien quand c’est bas. Bas, voilà notre objectif ici. »
AVANT LES TRAITEMENTS PUISSANTS, IL Y AVAIT LES STATINES
Les tentatives médicales de réduire les LDL ont véritablement commencé après que le premier traitement à base de statines, la lovastatine, a été approuvé par l’Agence américain des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) en 1987. Les statines inhibent une enzyme cruciale du foie qui, autrement, ferait produire davantage de cholestérol au corps ; elles en réduisent ainsi la quantité qui circule dans le sang. En 2019, date des derniers résultats disponibles, 92 millions d’Américains étaient sous statines.
Au fil des années, près de deux douzaines d’essais cliniques randomisés et contrôlés, ainsi que d’autres études ayant porté sur des centaines de milliers de participants, ont évalué les traitements à base de statines. En 2022, l’Unité opérationnelle américaine des services préventifs (USPSTF) a établi un lien entre la prise de ces médicaments et la baisse des crises cardiaques, des AVC et de la mortalité de manière générale, quelle qu’en soit la cause.
Les recommandations actuelles de l’AHA préconisent aux Américains en bonne santé de faire passer le taux de LDL sous le seuil des 100 mg/dL de sang, tandis que ceux qui ont fait une crise cardiaque ou un AVC sont encouragés à diminuer de moitié leur taux actuel, jusqu’à 70 mg/dL ou, dans l’idéal, en dessous.
Dans certains cas, des statines particulièrement puissantes sont nécessaires pour atteindre ces seuils. Au cours de la décennie passée, des traitements injectables ont été ajoutés à l’arsenal ; ceux-ci font chuter les LDL plus drastiquement encore. Ces nouveaux traitements ciblent une molécule, la proprotéine convertase subtilisine / kexine de type 9 (PCSK9). Ces inhibiteurs de PCSK9 boostent la capacité du foie à détériorer et à éliminer les LDL.
« Avec ces médicaments, nous pouvons atteindre des taux de cholestérol LDL très bas, sous les 30 et même sous les 20 mg/dL », révèle Erica Spatz.
Une étude ayant porté sur l’évolocumab, un anticorps monoclonal qui cible le PCSK9, a montré que lorsque les personnes atteintes d’une maladie cardiovasculaire combinaient ce médicament à leur traitement par statines, leur taux de LDL diminuait de 59 % au bout de deux ans et leur risque de crise cardiaque, d’AVC et ou de mort cardiovasculaire chutait de 20 %.
Selon Donald Lloyd-Jones, bien que des données de plus long terme soient encore nécessaires, les inhibiteurs de PCSK9 sont sûrs. « Nous n’avons vu aucun problème préoccupant surgir », explique le chercheur qui attribue cela à leur approche ciblée. « Ils sont faites pour n’être capable d’attaquer que cette unique protéine », qui ne comporte aucun effet bénéfique selon lui.
DES ÉTUDES RASSURANTES SUR LA MÉMOIRE
Pourtant, les faibles taux de cholestérol inquiètent certains patients. Certaines craintes trouvent leur source dans des études épidémiologiques d’il y a quelques décennies qui font allusion à de possibles problèmes de santé, notamment en ce qui concerne la santé mentale et la mémoire.
Au fil des années, des études rigoureuses ont réfuté ces mythes, comme le rappelle Laurence Sperling, spécialiste en cardiologie préventive et fondateur du Centre Emory pour la prévention des cardiopathies, à Atlanta, qui a examiné les preuves pour le European Heart Journal.
« Il n’existe pas de données substantielles soutenant l’hypothèse d’un lien entre faible taux de cholestérol et dépression et anxiété », assure-t-il. Il n’existe pas non plus de preuve tangible qu’un faible taux de cholestérol entraînerait problèmes de mémoire ou déclin cognitif. « Le cholestérol qui circule dans nos vaisseaux sanguins est très différent du cholestérol qui circule dans des tissus tels que le cerveau », explique-t-il. Bien plutôt, puisque la santé cardiovasculaire est cruciale pour le corps entier, des taux de LDL plus faibles « se traduiront probablement par une meilleure santé mentale », poursuit-il.
En 2023, l’AHA a publié un communiqué scientifique réitérant que « la majorité des études observationnelles et des données issues d’essais randomisés ne vont pas dans le sens » d’un risque accru de troubles cognitifs ou de démence.
Des scientifiques insistent sur les situations où le cholestérol LDL est naturellement faible pour étayer l’hypothèse selon laquelle de taux drastiquement bas ne sont pas nocifs pour la santé. L’an dernier, dans un éditorial publié dans la revue Circulation, des chercheurs ont avancé l’argument suivant : les taux de LDL chez les nouveau-nés varient généralement de 20 à 40 mg/dL, « ce qui suggère que les taux plus élevés constatés ne sont pas essentiels aux processus cellulaires ». De plus, certains adultes sont nés avec des gènes qui maintiennent les taux de cholestérol à bas niveau tout au long de leur vie, sans que cela n’ait de conséquences néfastes, le tout en gardant un cœur plus sain, observaient-ils.
Le cancer a également constitué un autre domaine de préoccupation. En effet, en 1996, une étude avait mis en évidence une incidence légèrement supérieure des cas de cancer chez les personnes prenant des statines pour faire baisser le cholestérol. Mais les recherches ultérieures n’ont pas confirmé cette tendance. Dans vingt-sept essais randomisés suivant des sujets durant une période médiane de cinq ans, « la thérapie par statines n’a eu aucun effet sur » le taux de cas de cancer ou de décès liés au cancer, comme le concluait une analyse réalisée par un groupe de spécialistes du cholestérol.
CAS UNIQUE DE DIABÈTE ET EFFETS SECONDAIRES
Un facteur de risque qui a persisté concerne le diabète. D’après une analyse publiée en 2023 dans la revue Acta Diabetologica, chez un petit nombre de personnes qui ne sont pas diabétiques mais qui ont une glycémie supérieure au seuil optimal ou des gènes les prédisposant au diabète, les statines faisant baisser le cholestérol peuvent accroître le risque qu’elles contractent la maladie.
« Cela ne se produit pas chez les personnes ayant une glycémie normale », explique Donal Lloyd-Jones. Et celles atteintes de pré-diabète présentent également un risque accru de contracter des cardiopathies et « ont encore plus besoin de statines ». Vous pouvez déterminer le risque que vous avez de contracter une cardiopathie dans les dix ans grâce au calculateur de l’AHA.
Bien entendu, comme toutes les drogues, les médicaments faisant baisser le cholestérol peuvent avoir des effets secondaires. Certains inhibiteurs de PCSK9, par exemple, entraînent des infections des voies respiratoires supérieures, des douleurs dans le dos et des réactions localisées au niveau du site d’injection. Les statines ont leurs propres effets secondaires, mais ils restent légers. De nombreuses personnes attribuent leurs douleurs musculaires à ces médicaments, mais ces liens sont troubles. En 2019, une étude a montré que les niveaux de douleur étaient similaires chez les personnes sous statines et dans les groupes placebo.
POUR QUI CES MÉDICAMENTS SONT-ILS INDIQUÉS ?
Selon les recommandations de l’AHA, la plupart des adultes présentant un taux élevé de LDL (190 mg/dL et au-delà) ou ceux à qui l’on a diagnostiqué une maladie cardiovasculaire, du diabète ou d’autres facteurs de risque devraient recourir à la thérapie par statines, tandis que ceux qui présentent un risque particulièrement élevé (par exemple, ceux qui ont connu plusieurs épisodes cardiaques ou souffrent de plusieurs maladies à haut risque) devraient évoquer avec leur médecin un potentiel ajout de traitements plus puissants sans statines.
Bien entendu, même les personnes suivant un traitement contre le cholestérol tâchent de faire des progrès en ce qui concerne leur mode de vie et certains facteurs qui sont connus pour protéger contre les cardiopathies. L’AHA recommande de faire de l’exercice physique régulièrement et de modifier ses habitudes alimentaires : plus de légumes, de fruits, de céréales complètes, de légumineuses et de sources de protéines à faible teneur en matières grasses, et moins de sucre et de gras saturés (en particulier, moins de viande rouge).
« Le mode de vie peut totalement miner […] l’efficacité de la thérapie », prévient Donald Lloyd-Jones, qui fait allusion à plusieurs de ses patients dont les LDL étaient sous contrôle grâce à leur traitement et dont le taux de cholestérol a bondi lorsqu’ils ont commencé à consommer régulièrement des huiles hautement saturées.
Actuellement, de nombreuses personnes qui pourraient bénéficier de médicaments contre le cholestérol ne les prennent pas. Les taux sont particulièrement bas chez les personnes noires et hispaniques, et chez celles sans assurance santé, selon une analyse ayant porté sur plusieurs millions d’Américains. (Les inhibiteurs de PCSK9 sont particulièrement onéreux). Les femmes au taux de cholestérol élevé sont d’ailleurs souvent sous-traitées.
« À ma connaissance, il n’y a pas d’autres processus lié à une maladie qui a bénéficié d’autant de temps, d’efforts et de ressources, ni même d’autant de participants à des essais cliniques », observe Donald Lloyd-Jones. À partir de toutes ces recherches, nous pouvons être assurés d’une chose, « ce sont là des médicaments remarquablement sûrs et extraordinairement efficaces ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.