La course contre la montre pour sauver la mémoire de notre planète
Des scientifiques extraient la glace des glaciers avant que la hausse des températures ne détruise les données précieuses qu'elle contient.
Les glaciers situés en haute altitude conservent dans la glace des traces de l'état de notre climat et de l'environnement.
Mais à mesure que les températures augmentent, la fonte de nombreux glaciers menace les précieuses données scientifiques conservées par les montagneuses du monde entier.
Face à ce péril, une équipe de scientifiques s'est empressée d'extraire des carottes de couches de glaciers menacés par le changement climatique. L'objectif de ce projet baptisé Ice Memory est de créer le premier sanctuaire mondial d’archives glaciaires.
Lors de l'expédition la plus récente réalisée dans le cadre de ce projet, 15 chercheurs venus du monde entier ont parcouru plus de 6 300 mètres au-dessus du niveau de la mer jusqu'au glacier de l'Illimani situé en Bolivie. Du 22 mai au 18 juin, les scientifiques sont parvenus à prélever deux carottes de glace issues du soubassement du glacier, d'une longueur de plus de 120 mètres. Faute de temps, ils n'ont pas réussi à en extraire une troisième.
L'expédition a été semée d'embûches : de fortes chutes de neige et des vents violents ont ralenti le projet pendant plus d'une semaine et chaque scientifique a environ perdu 5 kilos en raison des conditions climatiques difficiles lors de la randonnée vers le sommet, a déclaré Jérôme Chappellaz, directeur de recherche au CNRS et coordinateur du projet Ice Memory.
« Les scientifiques savent ce qu'impliquent les conditions climatiques extrêmes et ils s'y étaient préparés mentalement », a déclaré le directeur de recherches. « Leur implication leur a permis d'aller au-delà. »
Suite au forage, les carottes glaciaires sont transportées dans le premier sanctuaire classé au patrimoine mondial situé dans la base Concordia, en Antarctique. Des centaines d'échantillons de carottes glaciaires extraits aux quatre coins du globe seront conservés dans une cave de stockage à une température de -50 °C, au côté des premières carottes glaciaires prélevées au Mont Blanc, dans les Alpes.
Le projet Ice Memory met l'accent sur les glaciers dont l'intérêt scientifique est avéré. L'objectif des chercheurs est d'extraire trois carottes glaciaires dans chaque glacier choisi : un échantillon à analyser à titre de référence et deux autres destinés à être stockés en Antarctique comme archives glaciaires.
Le but est de créer un sanctuaire dédié aux archives glaciaires en Antarctique, « terre de science et de paix », comme le dit Jérôme Chappellaz.
Au centre de recherche, les scientifiques peuvent poursuivre leurs analyses et les technologies futures servant à obtenir les données issues des échantillons permettront leur analyse des décennies, voire même des siècles plus tard.
« À l'avenir, de nouvelles technologies émergeront et nous permettront d'utiliser au mieux ce patrimoine d'archives glaciaires », a déclaré le directeur de recherche du CNRS.
Le projet, géré par la Fondation Université Grenoble Alpes en collaboration avec de nombreux autres organismes, est soutenu par les commissions nationales française et italienne pour l'UNESCO.
Le 8 mars dernier, au siège de l'UNESCO, une cérémonie d'inauguration a marqué le lancement à l'échelle internationale du projet Ice Memory, au cours de laquelle les chercheurs se sont réunis afin de définir une feuille de route des projets d'extraction des carottes glaciaires pour les années à venir.
Selon la glaciologue et exploratrice de National Geographic Erin Pettit, une carotte de glace prélevée peut apporter de nombreuses informations : l'historique de la température de l'air, la composition de l'atmosphère, la configuration des vents, la concentration de glace dans la mer ainsi que l'historique de la nappe glaciaire.
Grâce à la combinaison de plusieurs carottes glaciaires, les scientifiques peuvent obtenir des informations sur l'historique des régimes de circulation atmosphérique et déceler des différences importantes d'une région à une autre.
« Il nous est impossible de prédire l'avenir d'un système que nous ne comprenons pas à l'origine », a affirmé l'exploratrice. « Ces carottes de glace nous indiquent les différentes réactions du système climatique face à divers événements survenus dans le passé ; elles nous permettront de comprendre les réponses potentielles au forçage radiatif que nous affligeons actuellement au climat. »
Dans l'attente du financement, Jérôme Chappellaz a déclaré que dans le cadre du projet Ice Memory, des opérations de forage étaient prévues sur une dizaine d'autres glaciers, dont le Mont Elbrouz, le Kilimandjaro, le pic Mera ainsi que sur différents sites dans les Alpes suisses et dans les montagnes de l'Altaï.
Au vu de l'ampleur que prend le projet, il espère par ailleurs que des équipes de scientifiques du monde entier rejoindront l'aventure.
« J'aurais vraiment aimé que mes prédécesseurs songent à sauver une partie de cette glace précieuse sur laquelle notre science repose, avant qu'elle ne disparaisse à jamais de la surface de la Terre », a déclaré Jérôme Chappellaz. « Aujourd'hui, en tant que génération de scientifiques témoins de l'impact du réchauffement climatique sur les glaciers, c'est notre objectif et notre responsabilité de le faire. »
Retrouvez Casey Smith sur Twitter.