Plus durables, éthiques et responsables : les nouveaux safaris
Les safaris en Afrique ont longtemps été synonymes de traques au gros gibier, un fusil à la main. Puis une nouvelle génération d’aventuriers – armés d’appareils photo – a fait son apparition... et a réinventé cette tradition.
Le parc national des Volcans, au nord-ouest du Rwanda, est l’un des derniers refuges du gorille des montagnes. En bordure du parc, le Singita Kwitonda Lodge contribue à protéger cette espèce en danger en restaurant son habitat.
Au XXe siècle, les safaris en Afrique ont longtemps été synonymes de traques au gros gibier un fusil à la main. Puis une nouvelle génération d’aventuriers – armés d’appareils photo – a fait son apparition. C’étaient les années 1970, et le Kenya était l’un des pays faciles d’accès sur un continent qui se débattait encore avec son passé colonial. Le minibus zébré était alors le véhicule de « brousse » à la mode, et tous les guides étaient des hommes.
Cette époque est révolue. Entre l’apparition de sanctuaires d’un nouveau genre et l’émergence d’expéditions menées par des femmes, les « safaris du futur » sont déjà là. « La création d’aires de conservation gérées par les communautés locales (conservancies, en anglais) – comme celle de Naboisho, au Kenya – a marqué un tournant important, explique Judy Kepher-Gona, l’une des meilleures expertes en écotourisme d’Afrique. De simples porteurs ou cuisiniers, les villageois sont devenus des partenaires et des leaders en matière de préservation de la vie sauvage. » Avec des résultats impressionnants : ces aires de conservation communautaires couvrent désormais plus de 60 000 km2 au Kenya, et protègent certaines des espèces les plus rares de la planète, comme le rhinocéros noir.
Devant les difficultés des gouvernements à gérer leurs parcs nationaux, des organismes privés sont venus en renfort, à l’instar d’African Parks, une ONG fondée dans l’unique but de sauver les réserves africaines et leurs habitants, en se concentrant sur le développement économique et la lutte contre la pauvreté.
Parmi ses réussites figure le parc national de Zakouma, au Tchad, qui, après avoir frôlé la ruine, est devenu l’un des hauts lieux de l’observation de la faune locale. « Nous vivons un temps d’innovation qui change la donne et permet aux voyageurs et aux populations locales de tirer profit d’une nouvelle vision du safari », dit Keith Vincent, PDG de Wilderness Safaris, l’une des agences de voyages les plus renommées du continent.
Si les safaris ont pu jadis se résumer à une partie de chasse, ils sont aujourd’hui centrés sur la protection de la nature. Une bonne chose pour les communautés locales et pour la planète.
Lorna Serseri est guide de safari. Elle veut encourager davantage de filles à exercer ce métier. Grâce à lui, elle affirme se sentir « investie de vraies responsabilités. »
IMPLIQUER LES FEMMES
D’Ellen Jonhson Sirleaf, la première présidente du Liberia, à Wangari Maathai, militante écologiste kenyane, l’Afrique n’a pas manqué de leadership au féminin. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’Africaines s’emploient à remettre en cause les normes de genre qui gouvernent l’industrie du safari. « Les hommes répétaient à l’envi que nous n’avions pas les compétences pour être de bons guides », dit Tshepiso Vivian Diphupu, du Chobe Game Lodge, au Botswana, à la tête de la première équipe d’accompagnatrices 100 % féminine d’Afrique. « Mais d’après mon expérience, nous avons toutes les qualités nécessaires pour ce travail. Nous savons mieux communiquer, nous sommes plus à l’écoute des centres d’intérêt des visiteurs, nous sommes sûres de nous et toujours prêtes à apprendre. »
Surnommées les « anges de Chobe », Diphupu et ses 19 collaboratrices sont parmi les premières – mais pas les seules – femmes à forcer la porte d’un club autrefois exclusivement masculin.
« Mon objectif en tant que guide est de rendre chaque safari unique, instructif et distrayant, dit Maggie Duncan Simbeye, fondatrice de Maggie’s Tour Company, l’une des rares agences appartenant à une Africaine. J’ai toujours adoré la nature, et j’ai une connaissance approfondie de la faune et de la flore. » Son expérience comme guide de safari en Tanzanie l’a incitée à créer la Dare Women’s Foundation, ONG locale aidant les femmes et les jeunes filles à poursuivre leurs ambitions professionnelles.
OCTROYER LE POUVOIR AUX PEUPLES
L’une des grandes leçons de ces trente dernières années données par l’Afrique en matière de protection de la nature est la suivante : à moins d’avoir les populations locales pour alliées, sauver les espèces en danger relèvera toujours de la gageure.
Beaucoup d’animaux du continent vivent hors des parcs nationaux, dans des aires de conservation gérées par les habitants. Aujourd’hui, ce sont ces sanctuaires qui accueillent certains des meilleurs safaris du marché, comme ceux qui proposent de pister les éléphants à pied ou de camper à la belle étoile.
Amis et hôtes masais se rendent à la cérémonie de renouvellement des voeux de mariage de Luca Belpietro et Antonella Bonomi, les fondateurs de l’écolodge Campi ya Kanzi et du Maasai Wilderness Conservation Trust. Situé dans les collines de Chyulu, au Kenya, ce lodge collabore avec les Masais de la région, depuis la construction des bâtiments jusqu’à la programmation des différentes activités.
Des Masais du Kenya aux Himbas de Namibie, les peuples autochtones ont longtemps vécu en harmonie avec la nature. «Nous avons créé le Maasai Wilderness Conservation Trust sur notre terre ancestrale, près du Kilimandjaro, afin de protéger la nature et de partager notre mode de vie traditionnel avec nos hôtes de façon plus directe et plus authentique », explique le président, Samson Parashina, un leader masai qui a été nommé Champion de la terre par les Nations unies en 2012.
Les visiteurs séjournent au Campi ya Kanzi, un écolodge situé au coeur des 1 200 km2 d’une réserve masai où lions, élands et autres grands mammifères se déplacent entre les parcs nationaux kenyans d’Amboseli et de Tsavo. « Les aires de conservation réinventent les safaris, à la fois en protégeant la faune et en offrant des expériences innovantes aux voyageurs », dit Ashish Sanghrajka, président de Big Five Tours & Expeditions, dont les circuits soutiennent les communautés locales.
L’aire de conservation communautaire de Mara Naboisho, au Kenya, est un havre de paix pour les gros félins comme les guépards.
MISER SUR L'INNOVATION CONTRE LE BRACONNAGE
D’ici à 2030, le tourisme en Afrique devrait générer plus de 240 milliards d’euros par an. Pour une bonne part tirée par les safaris-photos, cette croissance est une source vitale d’emplois pour les habitants. Les agences de safaris financent certaines des initiatives les plus novatrices du continent pour lutter contre le braconnage et protéger la faune sauvage. Comme le projet d’introduction du kangal (ou berger d’Anatolie) à Bushmans Kloof, en Afrique du Sud – un établissement membre du réseau National Geographic Unique Lodges of the World. « Les léopards d’Afrique comptent parmi les grands félins les plus menacés, car les éleveurs les tuent pour que leurs troupeaux soient épargnés. Nous avons appris que les kangals protègent d’instinct les moutons et les chèvres contre les prédateurs », confie Brett Tollman, le PDG de The Travel Corporation, dont Bushmans Kloof fait partie. « Nous avons donc donné ces chiens magnifiques aux villageois pour veiller sur leurs bêtes. Là où nous les avons introduits, nous avons constaté une baisse significative du braconnage des léopards d’Afrique. »
Au Botswana, l’un des projets de préservation de la faune sauvage les plus ambitieux du continent est en cours pour sauver une espèce au bord de l’extinction. « Notre objectif est de transférer au moins 100 rhinocéros africains vers des zones sûres, étroitement surveillées ; 87 individus ont déjà été déplacés avec succès », disent Dereck et Beverly Joubert, explorateurs pour National Geographic et copropriétaires du Duba Plains Camp.
Un rhinocéros blanc d’Afrique du Sud, pays fortement touché par le braconnage, est déplacé au Botswana par l’ONG Rhinos Without Borders (« rhinocéros sans frontières »), une organisation cofondée par deux explorateurs de National Geographic.
EXPLORER DE NOUVEAUX HORIZONS
En 1909, le président des États-Unis Theodore Roosevelt avait quitté Mombasa, au Kenya, avec plus de 250 porteurs chargés de matériel – dont une baignoire. Depuis son expédition d’un an dans la brousse, les safaris faisaient surtout penser aux parcs et aux réserves d’Afrique de l’Est. Mais à mesure que les infrastructures s’améliorent et que la stabilité politique s’étend à d’autres pays du continent, des sites moins connus – mais tout aussi impressionnants – deviennent accessibles.
À commencer par le parc national de Zakouma, au Tchad. « J’ai voyagé pendant trente ans dans toute l’Afrique, et c’est à Zakouma que j’ai assisté à l’un des plus étonnants spectacles que la nature peut offrir. Rien ne vous prépare à la féerie de millions de travailleurs à bec rouge s’envolant au lever du soleil », confie Michael Lorentz, propriétaire de Passage to Africa.
Le parc national de Zakouma, au Tchad, commence à attirer des amateurs de safaris aventureux. Créé en 1963, il s’étend sur 3 000 km² et héberge près de 400 espèces d’oiseaux, comme les grues couronnées.
Autre option : Madagascar et ses dizaines de milliers d’espèces végétales et animales. Soixante-dix pour cent d’entre elles n’existent nulle part ailleurs. Citons enfin la côte occidentale de l’Afrique, qui n’était pas considérée comme une destination safari jusqu’à des expéditions comme celle de Michael Fay au Gabon. Lors de celle-ci, l’explorateur pour National Geographic vit des hippopotames nager dans la mer, des éléphants circuler sur les plages de sable blanc et de grands rassemblements de gorilles dans des clairières au milieu de la forêt.
OPTER POUR UNE APPROCHE DURABLE
Il n’y a pas si longtemps, le rugissement nocturne des lions sauvages allait immanquablement de pair avec le ronflement lancinant des générateurs diesel des lodges. Les voyageurs étaient aussi systématiquement approvisionnés en bouteilles d’eau en plastique. Cette contradiction entre le fait de célébrer la nature et de contribuer à la pollution de la planète n’a pas échappé à un nombre croissant de touristes, désormais plus soucieux de développement durable. Le monde du safari l’a compris. En juin prochain, le Xigera Safari Lodge rouvrira dans le delta de l’Okavango, alimenté par une ferme solaire et pourvu de véhicules électriques. « Notre but est de créer l’écolodge de luxe du futur pour les safaris », explique le gérant, Mike Myers.
Au petit matin, en Namibie, un oryx arpente les dunes de sable rouge du Sossusvlei, en plein coeur du désert du Namib. Certaines peuvent atteindre 400 m de haut.
Au Rwanda, l’un des derniers bastions des gorilles des montagnes, en danger, le Singita Kwitonda Lodge pousse le développement durable encore plus loin. Des matériaux naturels ont été utilisés pour la construction des murs et un système d’aération des chambres innovant a été mis au point, qui élimine le recours à l’air conditionné.
En Namibie, le Sossusvlei Desert Lodge se trouve dans l’unique réserve de ciel étoilé du continent. « Les déserts sont fragiles. Nous avons pris soin de minimiser notre impact pendant la construction, et mis en place un programme de réhabilitation une fois le chantier achevé », dit Joss Kent, le PDG de l’entreprise.
Au Kenya, des éléphants mâles de l’aire de conservation communautaire de Naboisho se chamaillent à coups de défenses, très recherchées par les braconniers. L’un des objectifs de la réserve est d’éradiquer le braconnage.
CARNET DE NOTES - UNE SÉLECTION DE SAFARIS AFRICAINS RESPONSABLES
African Travel propose un circuit de 10 jours à Madagascar via des sites extraordinaires, comme le désert épineux ou la forêt primaire d’Analamazaotra. africantravelinc.com
Le Sossusvlei Desert Lodge d’&Beyond, en Namibie, a mis en place un ambitieux programme de gestion de l’eau. andbeyond.com
Les aires de conservation communautaires couvrent près de 20 % du territoire de la Namibie, premier pays d’Afrique à avoir inscrit la protection de l’environnement dans sa constitution. Les safaris de l’agence Big Five passent par les plus beaux spots animaliers de ces réserves. bigfive.com
Bushmans Kloof, en Afrique du Sud, abrite non seulement des léopards et des zèbres de montagne du Cap, mais aussi plus de 130 sites d’art rupestre de l’époque des San, ornant des falaises et des grottes spectaculaires. bushmanskloof.co.za
Au Campi ya Kanzi (Kenya), les guerriers masais guident les visiteurs à travers d’anciennes forêts de nuages à la riche bio diversité, jusqu’au point d’eau qui concentre la faune sauvage. maasai.com
Les « anges » du Chobe Game Lodge, au Botswana, savent toujours où et quand débusquer les grands mammifères, qu’il s’agisse d’arpenter la brousse ou bien d’explorer le cours de la rivière Chobe. chobegamelodge.com
Duba Plains Camp, au Botswana, est situé au coeur d’une nature sauvage où les lions figurent parmi les espèces majestueuses qu’il est possible d’observer. greatplainsconservation.com
Explore vous conduira dans le parc national de Loango, au Gabon, où l’explorateur Michael Fay a vu des hippopotames nager dans l’Atlantique, et des éléphants se promener le long des plages. exploreinc.com
Maggie’s Tour Company organise des safaris sur mesure en Tanzanie, dans les parcs et les réserves parmi les plus célèbres du monde. La visite de villages locaux permet de découvrir la diversité culturelle du pays. maggiestourcompany.com
Passage to Africa est spécialisé dans les rencontres avec la faune sauvage hors des sentiers battus, en particulier dans le parc national de Zakouma (Tchad). passagetoafrica.com
Roar Africa, tour-opérateur de luxe, aide les femmes à devenir guides et pisteurs. roarafrica.com
Singita Kwitonda Lodge, à la lisière du parc national des Volcans, auRwanda, est un camp de base idéal pour aller observer les gorilles des montagnes. rwanda.singita.com
Xigera, au Botswana, est niché sous les ébéniers de la réserve de Moremi. Positionné comme l’un des lodges les plus écologiques d’Afrique, il devait rouvrir ses portes en juin 2020. xigera.com
Article publié dans le numéro 18 du magazine National Geographic Traveler