Okinawa, l'île où l'on vit centenaire
Les habitants de cette île japonaise comptent parmi les plus en forme et les plus heureux du monde. Quels sont leurs secrets ?
Des célébrations comme le festival Ungami, qui se tient à Shioya Bay et célèbre le dieu de la mer, rassemblent la communauté d'Ogimi. L'entraide sociale très ancrée dans la région aiderait ses habitants à vivre plus longtemps.
Dans le village d'Ogimi, situé dans le nord rural de l'île principale d'Okinawa, se trouve une petite stèle en pierre où sont inscrites des phrases en japonais. La traduction approximative de ces inscriptions serait : « À 80 ans, vous êtes jeune. À 90 ans, si vos ancêtres vous invitent à les rejoindre au paradis, demandez-leur d'attendre que vous ayez 100 ans - alors, vous pourrez y réfléchir. »
Et ici, il ne s'agit pas de fanfaronnade. Au dernier recensement, 15 des 3 000 villageois d'Ogimi étaient centenaires, 171 d'entre eux avaient plus de 90 ans. Même pour le Japon, qui compte actuellement plus de 70 000 personnes âgées de 100 ans ou plus, c'est une proportion statistique remarquable.
Avant la pandémie de COVID-19, les touristes commençaient à affluer. Masataka Nozato qui fait partie du conseil d'Ogimi indique que la ville, très éloignée des sentiers touristiques, avait commencé à voir une légère augmentation du nombre de visiteurs curieux de la longévité de ses habitants.
Île située au sud du Japon continental, Okinawa fait partie - avec quatre autres endroits dans le monde - de ce que l'auteur et explorateur National Geographic Dan Buettner appelle la « zone bleue », où les gens vivent une vie plus longue et plus heureuse que le reste des Hommes. Les quatre autres endroits sont la Sardaigne (Italie) ; Nicoya (Costa Rica) ; Ikaria (Grèce) ; et Loma Linda (Californie). Bien que les voyages à Okinawa et dans toute la zone bleue soient pour partie suspendus, ces villes nous offrent une leçon de prospérité et de résilience pendant les périodes difficiles, comme celle que nous connaissons aujourd'hui.
« Chaque culture où la longévité est remarquable a connu des périodes plus difficiles », a indiqué Buettner à nos confrères de TODAY. « Ils ont traversé des guerres, des famines, le même genre de stress que nous subissons actuellement, et c'est une leçon pour nous tous. »
Que peuvent nous apprendre les Okinawaïens ? « Pour deux tiers, leur longévité est liée à leur alimentation et à leur mode de vie, le reste est dû à la génétique. De manière générale, vous avez besoin d'un bon capital génétique si vous voulez entrer dans la catégorie des centenaires, une bonne alimentation ne suffit pas », dit Willcox.
« Nous n'avons pas cherché à savoir si les Okinawaïens avaient ou non un avantage génétique sur d'autres régions du Japon, mais la longévité est une histoire de famille ici. »
Pourquoi Ogimi et d'autres villages de l'île abritent-ils tant de nonagénaires et de centenaires ? Cela se résume à trois facteurs principaux - régime alimentaire, pratiques sociales et génétique - explique Craig Willcox, professeur de santé publique et de gérontologie à l'Université internationale d'Okinawa et co-chercheur principal de l'Okinawa Centenarian Study, qui étudie le phénomène de longévité à Okinawa depuis 1975.
UN RÉGIME ALIMENTAIRE SAIN
La génétique mise à part, c'est bien le régime alimentaire Okinawa qui distingue ses habitants. Si vous allez dans un restaurant sur le thème de la cuisine Okinawa à Tokyo ou dans un restaurant touristique à Okinawa, le porc sera quasi omniprésent et l'alcool sera aussi fort qu'au Japon. Mais ces menus ne sont pas représentatifs des habitudes insulaires.
Chouju-zen, ou « nourriture de longévité », est nutritionnellement intéressante mais peu calorique : à la fin de chaque repas, l'estomac n'est rassasié qu'à 80 %, ce qui, selon certains, contribue à la longévité.
En termes de prévention de cancers et de maladies cardiovasculaires, le régime Okinawa paraît exemplaire : plus de cinq portions de fruits et légumes par jour, et au menu, plus de poisson que de viande, dit Willcox.
« Il y a une phrase à Okinawa, nuchi gusui, qui peut se traduire par "laissez la nourriture être votre médicament" », note-t-il. « Les patates douces, le melon amer, les aliments marins riches en caroténoïdes comme les algues, les légumes à feuilles vertes et les fruits sont très présents dans ce mode d'alimentation car ils réduisent les risques d'inflammation et le stress oxydatif. »
« Le régime alimentaire traditionnel Okinawa est pour autant dense sur le plan nutritionnel, mais pauvre en calories, ce qui est idéal », poursuit Willcox, ajoutant que la patate douce a longtemps été l'aliment de base de ce régime alimentaire, avant d'être supplanté par le riz blanc dans les années 1960.
« Si vous limitez les calories ingérées par les mammifères étudiés en laboratoire, ils vivront plus longtemps », dit-il. « Un déficit énergétique persistant déclenche un mode d'autoconservation - vous vous adaptez pour convertir une plus grande proportion d'aliments en énergie utilisable et activez des enzymes qui favorisent la longévité. »
Les résidents de Naha, à Okinawa, profitent d'une longue vie remplie d'échanges et d'activités.
VEILLER LES UNS SUR LES AUTRES
La vie insulaire d'Okinawa est différente de la vie menée dans les autres régions du Japon. Le climat y est subtropical, et les hivers y sont doux. Les Okinawaïens vivent au milieu de la beauté pittoresque de l'île et ont la réputation d'être doux ; leur approche décontractée de la ponctualité est ici connue comme « l'heure d'Okinawa ».
La société est structurée de manière à ce que les résidents les plus âgés de l'île conservent un but, ou ikigai, dans leur vie. À Ogimi, l'un des ikigai les plus courants est la production artisanale textile et notamment le tissage ou basho-fu. Le nettoyage intensif des fibres et le bobinage du fil sont effectués par des groupes de femmes plus âgées. Ce n'est pas seulement un moyen de rester socialement actif ; cela donne aux tisserands plus âgés un moyen de compléter leurs revenus et de contribuer à l'économie du village. Naturellement, le centre de basho-fu est dirigé par un jeune de 98 ans issu d'une famille de centenaires.
À Ogimi, la nature est abondante, offrant une vie sans stress au milieu de paysages somptueux.
Ensuite, il y a la façon dont la société met l'accent sur l'entraide mutuelle à travers le moai. Ce mécanisme social typique d'Okinawa rassemble des groupes de personnes partageant un intérêt commun. Selon Buettner, c'est un élément crucial pour vivre une longue vie : « la solitude est aussi mauvaise pour vous que le tabagisme ».
Takashi Inafuku, chef de l'un des districts d'Ogimi, fait partie de deux moai - l'un avec un groupe d'amis d'enfance et l'autre avec d'anciens collègues. « Ce sont des lieux où vous pouvez échanger et communiquer avec les autres », dit-il. « Je pense que participer au moai, avoir un passe-temps commun et se délester du stress, peut participer à la longévité. »
Willcox note que l'appartenance à plusieurs moai est courante. « Je connais un homme à Ogimi qui appartient à sept moai », dit-il. « Et les gens sont fidèles à leurs moai ; j'ai rencontré un groupe de femmes octogénaires sur une île éloignée qui se connaissent depuis l'école primaire. J'en fais partie - notre intérêt commun est la slow food [mouvement international qui a pour visée de promouvoir l'éco-gastronomie et l'alterconsommation, ndlr]. »
Ce soutien et cette libération du stress sont particulièrement importants en ces temps de pandémie. Avec 2 740 cas de COVID-19 à Okinawa au 12 octobre, de nombreux moai s'adaptent. L'accent est mis sur l'importance de porter un masque, de se laver régulièrement les mains et d'éviter les espaces fermés, les contacts rapprochés et les endroits bondés.
En plus de ces précautions, certains moai organisent désormais des réunions virtuelles. Le terme moai se répand d'ailleurs à l'extérieur du Japon dans des initiatives communautaires, telles que des groupes de marche par quartier et des réunions virtuelles qui aident les gens à rester en contact.
Rob Goss est un journaliste spécialisé dans le voyage basé à Tokyo. Retrouvez-le sur Instagram.
Dan Buettner a passé près de 20 ans à étudier des endroits comme Okinawa pour son projet « Blue Zones ». Vous pouvez lire ses découvertes dans The Blue Zones et tester les recettes qui y sont listées dans The Blue Zones Cookbook.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.