Découvrir Porto Rico autrement entre pétroglyphes et créatures légendaires
Des pétroglyphes vieux de plusieurs siècles aux sites cérémoniels sacrés dans les montagnes, la route Taína de Porto Rico renferme l’histoire d’une culture indigène qui a failli disparaître.
La route de Taína nous laisse apprécier des sites cérémoniels, des tombes et des caves couvertes de pétroglyphes, comme celle-ci à Arecibo. Ces éléments ont permis de définir les origines culturelles de Porto Rico.
Au cœur des hautes régions luxuriantes de Porto Rico se cache une histoire qui va bien au-delà de la légende des chupacabras, ces chiens mythiques enragés et suceurs de sang, longtemps accusés de tuer le bétail et les animaux.
Cette région isolée est un terrain de chasse de choix pour les cryptozoologues à la recherche des créatures mythiques. Pour les voyageurs en quête d’une aventure plus ancrée dans la réalité, un parcours à travers ces montagnes constitue une expérience souvent délaissée : la route de Taína.
Des pétroglyphes antiques cachés dans des grottes en bord de mer aux sites cérémoniels sacrés dans les montagnes, ce sentier de plus de 64 km nous permet d'explorer la culture du peuple indigène des Taïnos. À partir de l’autoroute 10, il coupe en direction d’Aricebo vers la côte nord, jusqu’à Ponce, au sud.
Le peuple Taïnos descend des communautés migrantes sud-américaines, locutrices de l’Arawak. Il a longtemps été pensé qu’ils avaient été décimés après la conquête espagnole, mais les Taïnos continuent de se développer dans les Caraïbes, en Colombie ou encore au Venezuela. L’héritage du peuple Taïnos est ancré dans l’identité de Porto Rico, des pasteles, des yuccas remplis de viande et de légumes, au tissage traditionnel de hamacs à l’aide de plantes maguey. Même le surnom utilisé pour s’identifier comme Portoricain, Boricua, vient du mot taïno Borinquen.
Christina Gonzalez, chercheuse au Caribbean Indigenous Legacies Project de la Smithsonian Institution écrit que la compréhension de la manière dont les Taïnos respectaient le monde vivant n’implique pas uniquement le passé ou des sites sacrés spécifiques mais aussi la survie de la planète. « Quoi qu’il advienne de la réapparition des Taïnos à l’avenir, les expressions qui ont survécu et qui ont été ravivées sont le signe d'un monde désiré et nécessaire, où l’avenir est ancestral, l’avenir est ancien, l’avenir est Atabey », l’un des deux esprits ancestraux suprêmes de la religion taïno.
Depuis 2016, une collaboration entre des archéologues, l’Instituto de Cultura Puertorriqueña et des défenseurs de l’environnement locaux tente de promouvoir cet héritage à travers le sentier qui longe ce patrimoine. Alors que les groupes taïnos demandent une plus grande inclusion dans la façon dont leur récit est raconté, les voyageurs disposent maintenant de nouvelles occasions de s’immerger dans leur culture. Que vous souhaitiez louer une voiture et aller à votre propre rythme ou que vous rejoigniez un circuit, voici les endroits où vous pourrez vous connecter aux coutumes qui ont contribué à façonner cette île complexe. Mais prenez garde aux chupacabras sur la route !
ESPACES SAUVAGES ET SACRÉS
Quelques-uns des lieux avec le plus de pétroglyphes de l’île se trouvent sur la route Taína, depuis la grotte marine de la Cueva del Indio près du nord d’Arecibo, à 45 minutes de route de San Juan, jusqu’à un site cérémoniel sur la côte sud près de Ponce. Plus que des symboles intrigants, ces gravures datant du 8e au 15e siècle représentent des visages, des animaux et des figures divines. Elles offrent un aperçu de l’histoire essentiellement orale des Taïnos. Les sites côtiers situés aux extrémités de la route valent, certes, la peine d’être visités, mais la section centrale verdoyante renferme l’essence des traditions spirituelles de la communauté.
Des dizaines de pétroglyphes précolombiens parsèment les murs de la Cueva del Indio, un lieu autrefois utilisé par le peuple Taïnos pour des réunions spirituelles.
Au Centro Ceremonial Indígena de Cagüana, niché dans une clairière de montagne, juste à l’ouest d’Utuado, la ville centrale du sentier, de multiples cours sont bordées de pierres de granit gravées de pétroglyphes, dont certaines vous arrivent au moins à la taille. Ces endroits, appelés bateyes, sont considérés comme des lieux sacrés pour les danses rituelles, les pratiques dévotionnelles et les jeux de balle cérémoniels.
« “Taíno” signifie littéralement “bonnes personnes” », explique Roberto Múkaro Agüeibaná Borrero, président de la United Confederation of Taíno People (UCTP). « La manière d’interagir et les cérémonies auxquelles la communauté participait sont ce qui faisait d'eux des Taïnos. »
Les pétroglyphes de Caguana sont également parmi les plus saisissants des îles des Antilles, selon Yvonne Narganes, directrice du centre de recherche archéologique de l’université de Porto Rico. « Ils sont impressionnants et font référence à une tradition mythologique très ancienne et complexe », déclare Mme Narganes.
Les cours du Centro Ceremonial Indígena de Cagüana, appelées bateyes, constituaient un lieu sacré pour les danses rituelles, les pratiques dévotionnelles et les jeux de balle cérémoniels du peuple Taïnos.
Des pierres de granit gravées de pétroglyphes bordent l’une des nombreuses cours du Centro Ceremonial Indígena de Cagüana.
Le plus célèbre est la figure accroupie d’Atabey, décrite comme la mère de la création et la conscience de la terre. Sa figure proéminente rappelle aux Taïnos que chaque chose est vivante et connectée.
À l’est se trouve la région de Jayuya, nommée d’après le chef taïno Hayuya et connue comme la capitale indigène de l’île. Là, Tres Picachos, la montagne à trois sommets vénérée par les Taïnos, domine l’un des endroits les plus populaires de la route. Une promenade bien balisée conduit les voyageurs jusqu’à un rocher de presque 4 mètres de haut, couvert de pétroglyphes et appelé La Piedra Escrita, en français « la pierre écrite ». Ce n’est pas seulement la taille de cet artefact ou le grand nombre de pétroglyphes près de son sommet qui attirent les foules. La pierre se trouve dans la rivière Saliente qui crée une piscine naturelle. Cela aide les visiteurs à comprendre le respect des Taïnos pour un monde interconnecté.
Juste en bas de la route se trouve le Museo el Cemí. La conception de ce musée à trois branches correspond aux objets qu’il expose : les cemí. Généralement sculptées dans la pierre, ces figurines spirituelles représentent et incarnent les esprits gardiens ancestraux. À l’instar des trois sommets sacrés de la montagne, la plupart des cemí disposent également de trois points : l’un pour la création et les autres pour les royaumes spirituels superposés des vivants et des morts.
L’itinéraire se termine à Ponce, près de la région des Indios où vit aujourd’hui une importante population de Taïnos. Rivalisant avec Caguana par sa taille, les fouilles se poursuivent au Centro Ceremonial Indígena de Tibes. Jusqu’à présent, les archéologues ont découvert des objets pré-taïnos et taïnos datant de l’an 25 après J.-C., lesquels peuvent être examinés dans le musée sur site.
FOLKLORE, ESPRITS ET LÉGENDES
Des créatures vampiriques et des goules ont hanté « l’île de l’enchantement » bien avant que Porto Rico ne soit le théâtre d’une chasse internationale au chupacabra en 1995. Les Taïnos croyaient aux hupia, ou esprits des morts. Ces métamorphes pouvaient prendre la forme de hiboux, de chauves-souris et d’humains qui émergeaient la nuit avec des motivations parfois sinistres. L’hupia le plus célèbre, légende urbaine popularisée dans le roman Jurassic Park de 1990, était une bête vampire hargneuse qui enlevait les petits enfants après le coucher du soleil.
Plusieurs bêtes vampiriques auraient été aperçues en train de rôder dans les hautes terres denses et couvertes de forêts tropicales d’Utuado, une étape de la route Taína de 64 km.
En 1975, près de Moca, à Porto Rico, un humanoïde suceur de sang, ressemblant à une chauve-souris, aurait tué du bétail. Un nouveau cryptide vampire appelé la Gargouille a fait son apparition en 2018 près de Barceloneta. Ce prédateur à deux pattes et ailé sentait le soufre comme son prédécesseur, le chupacabra. Que les gens croient ou non à ces bêtes, la légende du chupacabra a pris racine dans ces collines, s’ajoutant à l’histoire de ces terres qui dégagent encore un sens de magie folklorique.
PERSPECTIVES D’AVENIR
Selon Melina Aguilar, guide touristique pour Isla Caribe, l’existence de sites historiques portoricains vieux de plus de 500 ans est surprenante pour la plupart des visiteurs et des Portoricains. « Ce n’est pas seulement que les gens sont surpris par le paysage qu’ils voient en arrivant ici, c’est aussi qu’il y a des sites à découvrir », affirme-t-elle. « Et il y en a encore plus sous terre. »
Les sites encore non fouillés et la poursuite de la restauration nécessitent davantage de fonds. Toutefois, les effets dévastateurs des ouragans Maria en 2017 et Fiona en 2022 entravent la croissance des infrastructures. Les régions déjà isolées le long du sentier sont parmi les dernières à voir les services publics rétablis et les dégâts réparés.
Pourtant, la croissance est possible. Les militants taïnos cherchent à obtenir une gestion coopérative pour apporter des connaissances ancestrales sur les sites. « Pourquoi des personnes qui n’ont pas de lien avec notre patrimoine sont-elles capables de nous dire qui nous sommes et comment présenter notre patrimoine ? », s’interroge Agüeibaná Borrero. « Nous sentons, en tant que membres taïnos, que nous avons des obligations et des responsabilités envers la terre et nos ancêtres. »
M. Borrero indique que l’UCTP et d’autres organisations travaillent à la création d’un centre communautaire centralisé géré par des Taïnos ainsi que d’un répertoire des entreprises taïnos. Il invite les visiteurs désireux d’entrer en contact avec la population locale pour des visites, des histoires orales et des découvertes culturelles à contacter l’UCTP.