Alaska : au milieu des glaciers, le havre de paix des baleines à bosse
En Alaska, au milieu des glaciers anciens désormais menacés par le réchauffement climatique, les baleines à bosse ont trouvé un répit salutaire.
Le parc national de Glacier Bay est un havre pour les kayakistes et les touristes qui veulent explorer ces glaciers anciens désormais menacés par le réchauffement climatique.
Dans le sud-est de l’Alaska, au bout d’une langue de terre du sud-est où les routes ne mènent pas, on trouve le Parc national de Glacier Bay, dont les 1 045 glaciers recouvrent 27 % de la superficie. Parmi eux, sept glaciers côtiers se détachent régulièrement dans l’océan, un événement spectaculaire apprécié des touristes qui les observent depuis leur navire de croisière (à eux seuls, ils représentent plus de 95 % des visiteurs du parc).
Les eaux abondantes de Glacier Bay ont beau avoir empêché l’extinction d’espèces comme les lions de mer de Steller ou les baleines à bosse au sein de la baie, les inlandsis du parc n’en ont pas moins subi les effets du réchauffement climatique.
À ce jour, les glaciers côtiers ont reculé de plus de 100 kilomètres par rapport au détroit Icy. Presque tous les glaciers du parc sont en recul, et bien souvent ils fondent à vue d’œil. Entre 1949 et 2016, les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine ont fait augmenter les températures estivales dans la région de Juneau de 1,2°C, et les températures hivernales de 3,8°C. Un pic de chaleur qui a eu lieu en Alaska au milieu des années 1970 a fait tripler la vitesse de la fonte des glaces dans l’État à cette période.
Les visiteurs qui s’aventurent dans ce parc ont toutefois de quoi se réjouir. Les populations de baleines à bosse, espèce autrefois en danger d’extinction, ont augmenté depuis l’interdiction de la chasse à la baleine dans le Pacifique Nord en 1966. En outre, la valorisation du patrimoine autochtone, qui n’a que trop tardé, est aussi l’occasion pour les visiteurs de tisser un lien fort avec le passé.
Sur cette photo prise en 1900, on aperçoit le « Queen », bateau à vapeur navigant à travers glace.
TREMBLEMENTS DE TERRE ET MÉGA-TSUNAMIS
Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, ce sont les glaciers d’Alaska qui ont le plus contribué à la montée du niveau de la mer : chaque année, ils y déversent 512,7 kilomètres cubes d’eau ; cela représente une augmentation annuelle de 0,15 millimètres. Malgré cette valeur faible en apparence, tout cela pourrait virer au cataclysme si l’on ajoute le ruissellement bien plus important des glaces de l’Antarctique et du Groenland. De plus, entre autres bouleversements, l’acidification des océans s’aggrave, car l’eau de fonte fait grimper le taux de dioxyde de carbone.
Ces milliards de tonnes de glacier qui ont fondu au sein du parc ont paradoxalement fait remonter la terre. C’est un phénomène que les chercheurs appellent « rebond isostatique ». Ce phénomène favorise les glissements de terrain et l’instabilité. Mais ce sont surtout les mouvements tectoniques entre les plaques pacifique et nord-américaine qui sont responsables des tremblements de terre dans la région. Ceux-ci morcellent le paysage moins dense qui remonte à la manière de la croûte sur le pain qui lève.
Leur épicentre se situe sur la faille Fairweather qui délimite le bord occidental du parc en longeant le littoral, et dont les 200 kilomètres courent juste au-dessus du point de rencontre des deux plaques tectoniques. Ces 150 dernières années, cette configuration a entraîné quatre tremblements de terre importants et un grave, qui a atteint 8,8 sur l’échelle de Richter. Un autre s’est fait ressentir sur l’ensemble du littoral du sud-est de l’Alaska en 1899. L’effondrement du glacier côtier de Muir a provoqué un tel labyrinthe d’icebergs que les bateaux à vapeur n’ont pu s’y aventurer pendant une décennie.
Le 9 juillet 1958, un séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter a soulevé la terre le long de la faille Fairweather sur 6,4 mètres de large et un mètre de haut. À 1 500 kilomètres de là, dans un bras de mer à Seattle, vingt musiciens qui jouaient sur une scène flottante ont subi des remous pendant cinq minutes. À 160 kilomètres de l’épicentre, dans la baie de Yakutat, trois cueilleurs de baies se sont trouvés bien confus quand l’île de Khantaak sur laquelle ils se trouvaient s’est affaissée d’une trentaine de mètres et terminé dans l’eau.
À 21 kilomètres de l’épicentre, le tremblement de terre a déclenché un glissement de terrain dans le glacier Lituya. En même temps que les 90 millions de tonnes de roche qui dévalaient dans la baie de Lituya, l’avant du glacier, long de 365 mètres, s’est effondré, a explosé dans l’eau et a provoqué la plus grande vague jamais enregistrée. Sa taille inédite, amplifiée par la topographie abrupte de la baie, lui a valu le surnom de « méga-tsunami ».
Des lupins (Lupinus nootkatensis) fleurissent près de la maison construite en hommage aux Huna-Tinglits à Bartlett Cove, dans le parc national de Glacier Bay.
LE PASSÉ AUTOCHTONE DU PARC
Bien avant qu’on entende dans ces eaux le chant des baleines, à l’époque où la glace dominait encore, quatre clans (des familles au sens large et des communautés) vivaient à Glacier Bay. D’après les descriptions du clan Chookaendí, au début du XVIIIe siècle, le glacier Grand Pacific s’est avancé dans la vallée à la vitesse d’un chien qui court et a tout emporté sur son passage. Ces clans ont alors dû se disperser dans plusieurs camps. Cela n’empêche pas la plupart des Tlingits (prononcer « klinkit ») de faire remonter leur histoire à la vallée qui était présente à l’endroit du glacier. Ce peuple de chasseur-cueilleur a fini par revenir pour des récoltes saisonnières, mais en 1925, le président Calvin Coolidge a fait de Glacier Bay un monument national et leurs activités ont évolué.
En protégeant de larges portions de territoires, les parcs nationaux ont permis de recréer des paysages pittoresques et de restaurer une faune et une flore riches, mais ils n’ont pas permis le retour des humains qui y vivaient. Dans ces espaces protégés et inhabités, la vision imposée par le Wilderness Act voté en 1964 a dans une majorité de cas fait fi de la culture des personnes qui chassaient et vivaient sur ces terres. De nombreux autochtones comme les Tlingits se considéraient d’ailleurs comme partie intégrante de la nature.
Pour eux, la frugalité était affaire de morale et de croyances et était plus importante que toute activité économique. Ils ne tuaient que pour se nourrir, sans gâcher de chair et sans ridiculiser l’animal. On respectait les poissons en retournant les restes aux ruisseaux ou en les brûlant pour s’assurer de leur réincarnation. Même les baies étaient dotées d’un esprit (yeik) qu’il fallait traiter avec respect.
Dans les années 1930, malgré leur transition vers un mode vie orienté vers la pêche commerciale, la chasse à la trappe, la chasse au phoque et la prospection, les populations qui vivaient là sont restées fidèles aux coutumes de Glacier Bay : elles continuaient de fumer le saumon dans leurs fumoirs en aval des cours d’eau et de récolter des baies et des œufs de mouette. Quand ces activités ont été prohibées dans les années 1960, les liens entre les Huna-Tinglits et l’administration du parc se sont dégradés.
Les grottes de glace sont un des nombreux trésors gelés qu’on trouve à Glacier Bay.
Mais les temps changent. En 2014, Barack Obama a approuvé une loi permettant aux Tlinglits de continuer à ramasser des œufs de mouette. Ces récoltes sont pour eux synonymes de conditions météorologiques clémentes et de satiété. Les Tlinglits appellent d’ailleurs K’wát Aaní (Pays des œufs de mouette) les îles qui parsèment Glacier Bay. Pour eux, les mouettes qui y vivent pondent des œufs plus riches et plus nutritifs que dans le reste du sud-est de l’Alaska et K’wát Aaní est un endroit important dans ce paysage sacré.
Le 25 août 2016, pour le centième anniversaire du Service des parcs nationaux (NPS), des membres de la tribu ont inauguré la Huna Tribal House, espace de 230 mètres carrés construit en leur honneur par le NPS à Bartlett Cove. On peut y admirer le savoir-faire des Tlinglits, et notamment deux totems sculptés de 6 mètres de haut, mais aussi se renseigner sur leur culture et leur histoire 250 ans après que le glacier Grand Pacific les a évincés de leurs terres ancestrales.
LE RETOUR DE LA BALEINE A BOSSE
Les acrobaties des baleines à bosse de Glacier Bay sont au moins aussi impressionnantes que l’effondrement des glaciers. Ces cétacés de la taille d’un car ont beau peser plus de 30 tonnes, cela ne les empêche pas de se hisser à la verticale et de se maintenir une trentaine de secondes à la surface de l’eau comme pour épier les touristes qui leur rendent visite (cette pratique, qu’on appelle « spyhopping » est fréquente chez les cétacés). Puis dans un mouvement habile, les baleines se glissent à nouveau sous la surface. Lorsque par chance elles se propulse en l’air par le flanc, on peut les voir retomber à plat dans un remous tumultueux.
Les touristes peuvent observer les baleines à bosse plonger dans l’eau. Leur nombre a augmenté depuis que la chasse à la baleine à été interdite dans le Pacifique Nord en 1966.
Pour capturer les poissons, les baleines à bosse ont recours à la technique dite du « filet de bulle ». Elles s’immiscent dans les profondeurs de la baie sous les nombreux bancs de poissons et les encerclent. Puis elles rassemblent leurs proies à la manière d’un troupeau en faisant des bulles semblables à celles d’un jacuzzi dans lesquelles les poissons se retrouvent pris au piège. Les baleines n’ont plus qu’à s’élancer ensemble vers la surface la gueule grande ouverte et, grâce à leurs fanons, à faire le tri entre l’eau et le poisson. En une seule de ces grandes gorgées, une baleine est capable d’avaler des centaines d’alevins. Chaque jour, elle en ingère une demi-tonne.
L’administration du parc surveille les baleines de Glacier Bay depuis 1985. Les biologistes ont appris à identifier toutes celles qui pénètrent dans les eaux du parc au printemps après avoir passé l’hiver à Hawaï ou au Mexique pour se reproduire ou mettre bas. Certains individus y reviennent depuis plus de quarante ans.
Après un retard dû à la pandémie, la saison des croisières, qui court d’ordinaire de mai à septembre, a pu reprendre au mois de juillet. Les bateaux en partance de Seattle ne s’arrêtent toutefois plus au Canada, qui ferme pour l’instant ses frontières aux bateaux de croisière. De nombreuses compagnies appliquent désormais les mesures préconisées par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) et ont réduit la fenêtre de validité d’un test négatif à la Covid de trois jours à deux, peu importe le statut vaccinal. Tous les passagers doivent porter un masque à bord comme à terre à cause des risques présentés par le variant Delta en Alaska. Certaines compagnies exigent même une preuve de vaccination, ce qui signifie que les enfants de moins de 12 ans, qui n’ont pour l’instant pas droit au vaccin, ne seront pas admis à bord.
Une version de cet article a d’abord paru dans l’Atlas National Geographic des parcs nationaux, qui emmène les lecteurs dans un périple haletant dans ces contrées sauvages extraordinaires et uniques en leur genre. Traduit de l'anglais.