La curieuse histoire du döner kebab
Le kebab, qui a assisté à la montée et à la chute d’un empire, a une histoire riche et des origines contestées.
Au début de l'année, la Turquie a demandé à l'UE d'enregistrer le ‘döner kebab’ comme ‘spécialité traditionnelle protégée’, ce qui signifierait que seuls les kebabs préparés avec des méthodes et des ingrédients spécifiques pourraient être appelés de la sorte.
Cet article a été produit par National Geographic Traveller (UK).
Aucun kebab turc n'a atteint les sommets de la célébrité culinaire comme le döner. Sa popularité est telle que dans son deuxième pays d'origine, l'Allemagne, elle a récemment dépassé le currywurst en tant que fast-food préféré des Allemands, selon un sondage YouGov. Certains affirment même que le döner kebab est, en fait, une invention allemande.
Le mot « döner » vient du mot turc « dönmek », qui signifie « tourner ». Pour créer le kebab, de nombreuses piles de viande assaisonnée sont enfilées sur une broche et cuites sur un gril vertical. Une fois que les couches extérieures commencent à croustiller, elles sont tranchées finement et servies.
Traditionnellement, l'agneau était incontournable, mais le bœuf et le poulet sont également devenus populaires. Il existe d'innombrables variantes, mais, généralement, la viande est nappée d'une sauce à l'ail et au piment, accompagnée d'une salade, le tout servi dans un pain pita ou un pain plat turc, appelé lavash.
Au début de l'année, la Turquie a demandé à l'UE d'enregistrer le ‘döner kebab’ comme ‘spécialité traditionnelle protégée’, ce qui signifierait que seules les kebabs préparés selon des méthodes et des ingrédients spécifiques pourraient être appelés de la sorte. Cette décision a suscité un vif débat. L'Allemagne aurait déposé une objection formelle et son ministre de l'Alimentation et de l'Agriculture, d'origine turque, a tweeté que « le döner appartient à l'Allemagne ».
Pour créer le kebab, de nombreuses couches de viande assaisonnée sont enfilées sur une broche et cuites sur un gril vertical.
LES ORIGINES
L'historienne de l'alimentation Mary Işın, spécialiste de la cuisine turque et ottomane, note que le terme « döner kebap », comme on l'appelle en turc, n'a été consigné à l'écrit qu'en 1908. Cependant, l'évolution du döner remonte presque aussi loin que l'Empire ottoman. « Les premières représentations se trouvent dans deux peintures miniatures d'un artiste d'Istanbul datant de 1616 à 1620 », écrit Işın dans son livre Bountiful Empire.
« Au départ, c'était surtout un plat préparé pour les pique-niques, comme c'est encore le cas dans les provinces du nord-est de la Turquie. À l'origine, la broche était horizontale, mais au 19ᵉ siècle, les restaurants de kebab d'Istanbul ont commencé à utiliser des broches verticales, probablement pour gagner de la place ». Cette méthode permet également à la viande de s'arroser elle-même, le jus des couches supérieurs s'écoulant jusqu'en bas. En outre, la cuisson de piles de viande, par opposition à la cuisson de l'animal entier, permet une répartition plus égale de la graisse et des morceaux les plus fins.
Au fur et à mesure de l'évolution du döner, de nombreuses personnes se sont manifestées pour en revendiquer la conception. En Turquie, au milieu du 19ᵉ siècle, Hamdi Usta, de la ville de Kastamonu, et İskender Efendi, de la ville de Bursa, ont tous deux affirmé avoir inventé la méthode de cuisson verticale, créant ainsi la succulente tour de viande döner, facile à découper, que nous connaissons aujourd'hui.
Il est intéressant de noter qu'une photo prise dans l'Empire ottoman entre 1853 et 1855 par le photographe britannique James Robertson serait la première à montrer un döner kebab. Le vendeur non identifié n'est ni Efendi ni Usta. Faisant fi de l'incertitude, Efendi a été immortalisé en donnant son nom au populaire döner kebab iskender. Il se compose de tranches de viande de döner sur des tranches de pain pide recouvertes d'une sauce tomate et garnie de beurre au lait de brebis.
Quant à savoir qui a transformé le döner kebab en sandwich, c'est encore moins clair. Entre 1960 et 1973, près d'un million de travailleurs invités turcs sont arrivés en Allemagne de l'Ouest. Parmi eux, Kadir Nurman, qui, en 1972, a ouvert un magasin à Berlin vendant des pains plats fourrés à la viande de döner. C'est ainsi qu'est né le sandwich döner kebab. D'après feu Nurman, en tout cas. Sa revendication est contestée par d'autres, mais cette histoire a été soutenue par l'Association des fabricants de döners turcs en Europe en 2011.
Si l'on considère que le pain et les kebabs vont de pair depuis des siècles en Turquie et au Moyen-Orient, il est peu probable que Nurman puisse s'en attribuer l'entière paternité. Toutefois, lui et les autres pionniers du döner en Europe occidentale peuvent se targuer d'avoir déclenché le phénomène du döner en dehors de la Turquie. Aujourd'hui, on estime à 40 000 le nombre de restaurants de kebabs en Allemagne, à environ 20 000 au Royaume-Uni et à 14 000 en France.
L'agneau est traditionnellement utilisé, mais le bœuf et le poulet sont également devenus populaires.
CONCEPTION D'UN KEBAB
Le döner peut avoir mauvaise presse. Il est parfois considéré comme un en-cas salé et gras composé de viande transformée non spécifiée. Cependant, tous les döners ne sont pas égaux. Le marché est divisé : certains restaurants achètent leurs broches de döner auprès de grossistes, tandis que d'autres les préparent eux-mêmes.
Au Divan, lauréat du prix du meilleur restaurant de kebab du nord et de l'ouest de Londres aux british Kebab Awards 2023, le chef Ali Divan utilise une épaule d'agneau entière pour préparer ses döner kebabs maison. « Nous le préparons, le hachons et le faisons mariner ; nous le laissons vingt-quatre heures dans un frigo, puis il est rôti à la broche », explique-t-il. La marinade est composée « d'herbes, d'épices et d'une pâte de poivre spéciale provenant de l'est de la Turquie, dans la région d'où nous sommes originaires ». Ce type de döner, préparé à partir de morceaux entiers, est connu sous le nom de döner « yaprak » ou « feuille ».
Lorsque les cuisiniers souhaitent obtenir un morceau de viande de döner plus uniforme, connu sous le nom de döner « kiyma », ils utilisent des hachis. Pour créer son döner d'agneau kiyma, Hakan Topkaya, gérant de l'Archway Kebab de Londres, également lauréat des British Kebab Awards, hache quarante kilos d'épaule d'agneau pour une seule broche. « On arrive à six heures trente du matin pour le préparer tous les jours. C'est comme construire une Ferrari », déclare Topkaya, ajoutant que, par contraste, « les döner kebabs fabriqués en usine sont souvent composés d'ingrédients de mauvaise qualité comme du soja, de la farine, des viandes bon marché, des colorants artificiels et divers additifs, ce qui les rend à la fois mauvais pour la santé et difficiles à digérer. »
Si le döner kebab est traditionnellement un plat à base de viande, des alternatives végétaliennes ont vu le jour, notamment chez Vöner, à Berlin, et What the Pitta, à Londres, qui proposent des variantes à base de plantes.
OÙ MANGER UN KEBAB À ISTANBUL
Situé dans le Grand bazar d'Istanbul, vous remarquerez la file d'attente avant de voir ce trou dans le mur, mais la file avance relativement vite et l'attente en vaut la peine. De tendres döner d'agneau et de bœuf sont découpés dans du pain pide, accompagnés d'oignons, de persil, de tomates et de sumac. Accompagnez votre wrap d'un verre d'ayran, une boisson traditionnelle à base de yaourt salé.
Fondé en 1947, ce restaurant du quartier d'Ümraniye est réputé pour son bœuf yaprak cuit au feu de bois et sa viande d'agneau döner. Vous ne pouvez pas vraiment vous tromper dans le menu, mais si vous êtes d'humeur à sortir des sentiers battus, essayez le guvecte döner, un ragoût de döner dans une sauce tomate avec des échalotes et des poivrons beurrés, servi dans une tarte de pain plat fraîchement cuite, avec son couvercle, parfait pour saucer.
L'iskender döner figure sur les menus des kebabs du monde entier, ainsi que dans le restaurant familial Iskender Efendi à Bursa, et reste l'une des versions les plus populaires en Turquie. Toutefois, il n'est pas nécessaire de parcourir 150 kilomètres vers le sud pour déguster le vrai kebab. Les chefs gèrent également un restaurant à Istanbul, située dans le quartier animé de Kadıköy, près de la station de métro.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.