Ce peuple d’Amazonie vieillit bien mieux que les populations occidentales
Les Tsimanes, un peuple semi-nomade installé en pleine forêt amazonienne, ont la meilleure santé cardiaque du monde !
Les cyprès chauves peuvent atteindre 45 mètres de haut et, comme les arbres de la forêt amazonienne, peuvent créer des écosystèmes aériens entièrement nouveaux loin au-dessus du sol du marais. Des orchidées à casque jaune, l'une des treize espèces d'orchidées de Floride menacées ou en voie de disparition que l'on trouve dans le sanctuaire de Corkscrew Swamp, fleurissent parmi les fougères au sommet d'un grand cyprès chauve.
Un coeur en forme olympique, pas de diabète, quasiment aucun cholestérol, un cerveau en pleine possession de ses moyens... Tous ces signes éclatants de santé résultent d’une vie entière passée dans la forêt, loin des trépidations du monde industriel. Chez les Tsimanes, un peuple semi-nomade de 16 000 âmes qui a élu domicile au fin fond de l’Amazonie bolivienne, la vieillesse n’est pas un naufrage. Et la science le confirme.
Depuis près de vingt ans, l’anthropologue Hillard Kaplan, professeur à l’Université Chapman, aux États-Unis, s’intéresse au mode de vie des Tsimanes. En passant du temps avec les personnes âgées, le chercheur s’est aperçu que la plupart d’entre elles ne dépendaient pas des plus jeunes pour les tâches du quotidien. Il s’est alors penché sur leur forme physique. Accompagné de cardiologues, il a invité 705 Tsimanes de plus de 40 ans à passer dans le scanner de l’hôpital Trinidad. Conclusion ? « Chez les Tsimanes, la fréquence de maladie coronarienne est la plus basse de toutes les populations étudiées à ce jour » relève l’étude publiée dans The Lancet – les maladies coronariennes sont à l’origine des arrêts cardiaques, la cause la plus courante étant l’accumulation de plaques de cholestérol dans les artères.
Selon l’étude, 85 % des Tsinames examinés ne couraient aucun risque de maladies coronariennes, 13 % un risque faible, et seuls 3 % un risque moyen voire élevé. Mêmes résultats (ou presque) chez les plus âgés. Après 75 ans, 65 % ne couraient pas de risque de maladies coronariennes, et seuls 8 % avaient un risque élevé. Chez les populations occidentales, la proportion de personnes âgées avec un risque élevé de maladies coronariennes est cinq fois supérieure.
Les Tsimanes bénéficient d'une alimentation saine, non polluée d'intrants chimiques, basée sur des produits issus de leur propre cueillette avec des ingrédients riches en glucides et en fibres.
Les Tsimanes ne se contentent pas d’avoir un coeur en excellente forme : leur cerveau aussi affiche une santé de fer. Ils décrépissent moins vite ! Le volume des cerveaux des Tsimanes âgés baisse en moyenne 70 % plus lentement que celui des populations occidentales, selon une étude parue en 2021. Ce serait l’un des effets de leur bonne santé cardiaque, supposent les chercheurs. Autre découverte, seuls 1 % des Tsimanés de plus de soixante-cinq ans ont la maladie d'Alzheimer – contre 11 % des Américains du même âge.
Quel est donc leur secret pour bien vieillir ? Depuis leurs huttes sans électricité en pleine forêt, les Tsimanes évitent les pièges du monde moderne – la sédentarité et les aliments industriels. Ils vivent une existence de chasseurs-cueilleurs-agriculteurs. Certaines journées, ils parcourent jusqu’à 18 km à pied pour traquer les singes ou cerfs sauvages. Ou, pour le formuler en des termes modernes, « les Tsimanes font au moins 17 000 pas par jour » constate Hillard Kaplan, ce qui joue un rôle important dans la bonne santé de leurs coeurs, l’absence de diabète ou encore d’obésité. Leur régime, analysé dans cette étude de 2018, est riche en glucides et en fibres (manioc, riz, plantain, maïs... cultivés sur place), complétés de temps à autre par du gibier, le tout sans le moindre additif alimentaire.
Autre piste pour expliquer leur bonne santé, les parasites : « 70 % des Tsimanes testés ont des vers dans les intestins. On suppose que cela stimule leur système immunitaire – jusqu’à empêcher la formation de plaques dans les artères. Les Occidentaux, eux, ont quasiment perdu ce pan de leur défense immunitaire. Nous avons l’habitude de nous battre contre des virus, et plus contre des vers, ce qui pourrait in fine jouer sur la santé de nos artères – même si ce n’est pour l’instant qu’une hypothèse » explique Hillard Kaplan.
Les personnes âgées issues du peuple Tsimane voient leurs fonctions cognitives diminuer 70 % moins rapidement que les Occidentaux.
Quoiqu’il en soit, cette étonnante santé venue du fond des bois pourrait bientôt disparaître. La vie en forêt se modernise. Depuis 2014, les barques des Tsimanes sont équipées de petits moteurs bon marché. Plus besoin de pagayer des heures entières pour se rendre d’un village à un autre. Aller acheter du sucre ou de l’huile au marché devient banal. Et plus les Tsimanes s’éloignent du mode de vie traditionnel, plus leur taux de cholestérol augmente. L’occasion, pour les chercheurs, de souligner que le mode de vie joue un rôle plus important dans la forme physique que la génétique.
Reste que « beaucoup de Tsimanes préfèrent leur vie d’aujourd’hui, avec les moteurs et l’accès facile à l’huile et au sucre » souligne Hillard Kaplan, loin de clamer à leur place que « c’était mieux avant ». Mais l’anthropologue tire tout de même de ces recherches quelques enseignements qui pourraient bénéficier à tous : « Même sans devenir chasseur-cueilleur dans la forêt, privilégier une activité physique régulière et une alimentation saine fait une différence dans la manière de vieillir – les Tsinames âgés sont désormais la preuve vivante que ces conseils font une vraie différence ».